Africa Ceo Forum à Kigali: Kagamé et le marché unique africain en vedette

Africa Ceo Forum à Kigali: Kagamé et le marché unique africain en vedette

Le Président rwandais, Paul Kagamé, a encore frappé fort hier, à l’ouverture de la septième édition de l’Africa Ceo Forum, une manifestation phare du secteur privé africain organisée par le groupe de presse Jeune Afrique, en partenariat avec la Société financière internationale (SFI ou IFC selon son acronyme anglais), institution du groupe de la Banque mondiale dédiée au financement du secteur privé.

Dans une salle comble du Kigali Convention Centre où avaient pris place, outre le monde des affaires en Afrique, la Présidente de l’Ethiopie, Sahle-Work Zewde, les présidents Faure Gnassingbé du Togo et Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo  de la République démocratique du Congo, le Chef d’Etat rwandais a asséné ses vérités au sujet du retard de développement qu’accuse l’Afrique, et de l’opportunité offerte par le traité instituant la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca). Un sujet au coeur de l’Africa Ceo 2019 de Kigali.

« Le développement de l’Afrique est surtout une question de politiques. Si les politiques sont mauvaises, il ne peut y avoir développement. Il faut donc nous organiser au niveau de la gouvernance. Le secteur privé a un rôle important à jouer dans ce processus. Et nous devons nous assurer que le secteur privé ait les moyens d’ouvrir de nouveaux horizons pour nos enfants, pour nos jeunes. J’entends souvent dire que les infrastructures sont le problème. Non, le problème ce n’est pas la route, c’est d’abord la politique que nous menons, qui n’est pas bonne. Par exemple, nous avons des citoyens rwandais emprisonnés en Ouganda depuis deux ans, sans jugement. Nous avons demandé à l’Ouganda de nous dire quel est le problème, sans obtenir de réponse. Je me suis rendu en Ouganda pour rencontrer mon homologue à ce sujet, mais il n’y a pas eu de suite non plus. La route existe entre deux pays, mais des containers transitant par l’Ouganda restent cinq mois là-bas, et les marchandises transportées, du lait notamment ont connu des avaries ».

Adopter les meilleures pratiques

Outre changer de politiques pour adopter les meilleures pratiques, un domaine dans lequel le Rwanda fait école (meilleur classement africain, avec les Seychelles dans le Doing Business de la Banque mondiale), Paul Kagamé recommande à tous, gouvernants, chefs d’entreprises, citoyens ordinaires, de changer de mentalités. « Pour que l’Afrique avance avec la zone de libre-échange en constitution, il faut opérer un changement de mentalités. Ceci est d’autant plus nécessaire que changer de mentalités apporte beaucoup, mais ne coûte pratiquement rien, si ce n’est des efforts à faire sur soi-même. Nous ne devons pas laisser les détails techniques et autres questions empêcher l’avènement de cet espace de libre-échange que nous attendons tous. Quelles que soient les difficultés, il faut rester concentrés sur la vision globale, qui est le développement et la prospérité pour les Africains ».

Le marché unique africaine n’est pas seulement une opportunité pour l’Afrique ; c’est une nécessité, avait souligné, quant à lui Amir Ben Yahmed, Fondateur de l’Africa Ceo Forum et Directeur général du groupe Jeune Afrique dans son message de bienvenue.

Cette nécessité, le Chief Executive Officer de la SFI, Philippe Le Houérou l’a traduite à travers un chiffre fort saisissant : L’Afrique a besoin de 1,7 million d’emplois supplémentaires chaque mois, pour faire face à la demande de plus en forte notamment en provenance des jeunes. Le secteur privé peut y contribuer à hauteur de 90 %, souligne Le Houérou, démontrant ainsi le caractère incontournable du monde des entreprises privées.

La Zone de libre-échange africaine offre des opportunités inouïes pour le secteur privé. Mais, il faut rompre avec les pesanteurs du passé et travailler à ce que les réglementations et les services financiers puissent répondre aux attentes du secteur privé, afin d’encourager l’entrepreneuriat, de soutenir le développement des entreprises et l’embauche, soutient Le Houérou.

C’est Carlos Lopes, ancien Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies, aujourd’hui professeur à l'Université de Cape Town, en Afrique du Sud, qui a montré le ridicule de la situation créée par les blocages à l’intégration régionale : "il faut jusqu’à 700 heures pour traiter les documents commerciaux dans certains Etats africains. "Est-il urgent de réduire cela ?" A-t-il interrogé relevant que « le coût du transport d’un pays à l’autre est vraiment brutal » car " il faut beaucoup plus de temps pour transporter des marchandises du Rwanda à Mombasa au Kenya que de Mombasa à la Chine. Nous avons été performants en tant que continent et région économique dans les délais de signature de la ZLECA par rapport à d'autres régions du monde qui ont mis en moyenne 10 ans pour concrétiser de tels traités commerciaux. Mais, il faut, à présent, traduire les opportunités en actions concrètes ».

Le secteur privé fait entendre sa voix

C’est tout le combat des dirigeants d’entreprises réunis à Kigali depuis hier : obtenir plus de visibilité sur cette initiative de la Zleca dont ils ont été relégués au dernier plan lors des négociations préliminaires, et faire entendre leurs voix et préoccupations. « Nous voulons replacer le secteur privé au centre du débat sur la Zleca », avait souligné Amir Ben Yahmed.

Quelles priorités pour doper les échanges et investissements intra-régionaux ? Que peut faire une Afrique unie pour mieux protéger ses intérêts et ses industries ? Comment s’assurer de la pleine implication du secteur privé dans les projets d’infrastructures et de logistique transfrontaliers ? Quels enseignements tirer de la Communauté d’Afrique de l’Est – modèle régional considéré comme le plus avancé – alors qu’il est aujourd’hui confronté à ses premières tensions ? Comment accélérer l’émergence d’une réelle industrie continentale des services financiers ? Autant de questions en débat depuis hier, à travers des dizaines de panels, d’ateliers public-privé et de cas pratiques, et qui font intervenir dirigeants et actionnaires d’entreprises, investisseurs, Chefs d’Etat et ministres.

L’’accès des femmes dirigeantes aux conseils d’administration ou encore la modernisation de la gouvernance des entreprises familiales constituent d’autres thématiques fortes de cette édition qui affiche une ambition claire : « faire de l’intégration économique du continent un atout puissant pour la croissance du secteur privé et l’émergence de nouveaux champions africains ! »

Une cérémonie de distinction, les Awards de l’Africa Ceo Forum a eu lieu tard dans la soirée, pour récompenser précisément les champions africains dans différents domaines, selon les critères des organisateurs. L’Africa Ceo Forum s’achève aujourd’hui avec la conférence de presse-bilan attendue pour faire le point de cette édition, la première à se tenir en Afrique de l’Est.

Valentin Mbougueng

Eenvoyé spécial à Kigali