Orpaillage clandestin : L’or qui… appauvrit

Orpaillage clandestin : L’or qui… appauvrit

Orpaillage clandestin : L’or qui… appauvrit

Vous verrez, c’est un désastre écologique ! » Un cadre avec qui, alors que nous étions à Daoukro dans le cadre de notre mission,  nous préparait ainsi au spectacle qui allait s’offrir à nous sur l’axe Bocanda – Dimbokro n’aura rien exagéré.

Sur les 55 kilomètres de voie, la végétation a été proprement saccagée. Le paysage est quasiment rouge, comme cette terre soigneusement extraite des centaines d’excavations qui jonchent le bas-côté de la route, aussi nettes et visibles que le nez au milieu du visage.

La fièvre de l’or

Témoin vivant de la fièvre aurifère qui a gagné la région depuis quelques années, des agglomérations nouvelles, centres d’affaires spontanés, se sont créées par endroits. On y trouve de tout : petits commerces de tous genres, mais aussi prostitution et drogue.

Djakpo, premier bled que nous voulons atteindre sur recommandation expresse d’un cadre très préoccupé par les conséquences de l’orpaillage sur la faune et la flore dans son village. « Vous arrivez un peu trop tard », nous lance un officier de la gendarmerie nationale à qui nous demandons notre chemin.

L’activité d’orpaillage est en baisse dans le village et dans la périphérie, nous signale-t-il. Les nombreux orpailleurs qui y travaillaient ont migré plus loin, sur d’autres terres plus riches du précieux métal recherché, Booré-Akpokro notamment. Les cadres de la région, accuse-t-il, sûr du fait, sont les premiers responsables de l’exploitation des sols de leurs villages par les orpailleurs. Ils feignent de s’en offusquer, mais en réalité ils en sont complices ; analyse-t-il.

C’est un exutoire au chômage des jeunes restés au village, souligne-t-il. En cette fin septembre, le fleuve Comoé, qui traverse la région, est sorti de son lit. La piste menant à Djakpo est coupée par les eaux. Deux pirogues, gracieusement mises à disposition par leur propriétaire, assurent la traversée. Exercice périlleux !

Le voyage sur « l’autre berge »est avorté… Issouf, un habitant d’Andianou, qui attend le retour de la pirogue pour embarquer, nous confie que n’eût-été le mauvais temps, un incessant vaet-vient d’orpailleurs se serait offert à nos yeux…

Booré, tout le monde en parle

Booré-Akpokro, à mi-chemin entre Bocanda et Dimbokro ! C’est la capitale de l’orpaillage dans la région. Booré (diminutif de Booré-Akpokro) ? On trouve ce village sans avoir à le chercher. Tout le monde le connaît. Et on vous souligne d’emblée que c’est le site des chercheurs d’or pour être sûr que c’est bien le village que vous cherchez. A pieds ou à moto, poussiéreux, matériel de travail en mains (instruments de creusage, chapeau chinois pour tamiser la terre, etc.),  des hommes vont et viennent tout le long de la route. Booré n’est pas loin. Sur place, une intense animation d’un côté de la voie principale.

Des baraques de fortune construites dans le désordre servent de restaurants, de bistrots, de garages de véhicules et engins à deux roues et même de dortoirs. De l’autre côté de la voie, une faune devenue squelettique qui ne peut masquer le mouvement de balancier auxquels s’adonnent des dizaines et des dizaines d’hommes. On creuse des trous, on remonte la terre à l’aide de seaux, on renvoie les seaux aux creuseurs restés dans les trous… Les orpailleurs clandestins sont là. Bien visibles. Au travail sur un espace qui s’étend à perte de vue ! Les mottes de terre qu’ils amoncellent et toute la zone sont comme arides, infertiles désormais. Seront-elles jamais utiles à quelque chose ?

Frayeur à Koutoukounou

Plus tôt dans la journée… Koutoukounou, non loin de Daoukro. « Notre région est assise sur de l’or », nous confie Médard Koffi, guide improvisé désigné par le chef du village, Balise Kouadio N’Dri, pour nous conduire sur le site d’orpaillage local. Vaste est l’exploitation. La terre est partout retournée. Creusée en règle, elle a pris la couleur des profondeurs : rouge. Le champ fourmille de monde, tous de poussière rouge « revêtus », la couleur locale. Hommes et femmes sont affairés à des activités diverses.

Ces dernières sont occupées principalement à préparer et vendre du café et des mets aux ouvriers. L’entrée est filtrée à un barrage de fortune tenu par un quidam, un rien taquin, qui se fait appeler « Chef d’Etat-major ». Et qui fait bonne garde ! Journalistes ? Pas les bienvenus. Notre arrivée fait rapidement le tour du camp. L’ambiance est tendue… S’engagent des conciliabules à différents niveaux de responsabilité, puis (au bout d’une heure d’attente) un échange téléphonique entre le grand patron –qui « ne sera pas là »de la journée- et nous.

L’entretien se conclut par une fin de non-recevoir. La présence d’un fils du village à nos côtés nous a évités toute autre déconvenue, nous confie notre guide. En contrebas du camp, quelque 200 mètres plus loin, sur le chemin du retour, s’offre à nos yeux un marché de produits divers, témoin d’une économie locale suscitée par l’activité d’orpaillage. « Cette économie était, jadis, florissante», commente notre guide. « Ces dernières années, les orpailleurs ont migré vers d’autres terres et tous les activités, sources de revenus, qui se sont développées autour de leur présence battent de l’aile », semble regretter notre guide, non sans convenir qu’après avoir été vidées de leur or, les terres retournées resteront sans doute pauvres à jamais… Et pour cause !!! (lire encadré)

ELVIS KODJO ENVOyÉ SPÉCIAL


Néfaste !

Néfaste et désastreux. C’est le condensé d’une étude sur les impacts sociaux et environnementaux de l’orpaillage réalisée par trois enseignants d’université. Affessi Adon Simon, Sangaré Moussa (tous deux de l’université Pèlèfero Gbon Coulibaly de Korhogo) et Koffi Koffi Gnamien JeanClaude de l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, en arrivent à un verdict sans appel : l’action des orpailleurs a des conséquences environnementales néfastes. L’activité, a priori, n’est pas foncièrement mauvaise.

 

Elle est pourvoyeuse d’emplois et contribue à la création de richesse locale. Seulement, voilà, sa mise en œuvre modifie le rapport des individus avec le milieu naturel. Les moyens utilisés sont loin d’être des plus orthodoxes. Outre les outils divers qu’ils utilisent (pelles, pioches, marteaux, pics, sacs, cordes et machettes) les acteurs (creuseurs, concasseurs et laveurs) ont recours aussi à des produits chimiques comme le mercure et le cyanure qui contaminent le sol.

 

Impacts

« Les impacts sur le sol sont l’érosion, l’infertilité, la pollution par les déchets solides et liquides, la contamination par des substances nocives », dénoncent les trois chercheurs. Selon cette étude qui a eu pour terrain la région du Bounkani, mais dont les conclusions sont partout identiques, l’activité aurifère a un impact aussi bien sur la faune que sur la flore, ainsi que sur les ressources en eau, le sol et l’insécurité alimentaire.

Dans le nord-est de la Côte d’Ivoire où se sont déroulés les travaux, comme partout ailleurs où l’orpaillage artisanal se pratique, il est commun de constater que les cours d’eau avoisinant sont souvent pollués et la nappe phréatique menacée, l’eau intervenant dans la réalisation de presque toutes les activités de l’exploitation artisanale de l’or. « Le mercure utilisé contamine les ressources en eau », soulignent nos trois chercheurs. Témoignage des effets désastreux de l’activité sur la faune, le gibier se fait curieusement rare dans certaines régions traditionnellement prisées par les amateurs de « viande de brousse ».

Une tenancière de maquis à Daoukro attestera du reste que son réseau d’approvisionneurs n’arrive plus à lui donner pleinement satisfaction. Pénurie répétée donc du gibier, roi dans les assiettes, au grand mécontentement des clients. Dangers ! La poussière, remarquable sur les sites d’orpaillage, générée par l’activité, n’est pas sans conséquence pour les populations, les orpailleurs en premier. Outre les « accidents de travail »fréquents, des maladies liées à la pollution de l’air et au manque d’hygiène et d’assainissement sont courantes. Sans compter les risques très développés de transmission des infestions sexuellement transmissibles et du Vih/sida avec la dépravation des mœurs induite par le flot d’argent qui circule. « La dégradation de l’environnement demeure aujourd’hui l’une des préoccupations fondamentales des politiques gouvernementales à travers le monde », relèvent les trois chercheurs dans les premières lignes de leur étude.

Du sommet de Rio de Janeiro en 1992 à celui de Johannesburg en 2002, rappellent-ils, « la question environnementale a suscité beaucoup de réflexions et de recommandations relatives à sa conservation, car la planète n’a jamais connu un appauvrissement écologique d’une telle ampleur ». Identifiée par l’Organisation des Nations unies, en 2002, comme l’un des facteurs qui contribuent à cette dégradation, l’exploitation artisanale de l’or gagne cependant du terrain. Jusqu’à quand prospéra-t-elle ?

E KODJO

 


Aux grands maux …

Aux grands maux, les grands moyens. Ainsi pourrait se décliner la riposte que le gouvernement entend donner à la problématique de l’orpaillage clandestin. « L’État est déterminé à agir et à lutter sans répit contre l’orpaillage clandestin », déclarait le ministre des Mines et de la Géologie, il y a quelques mois, à Bonikro. Il annonçait alors la création d’une brigade pour la répression des infractions au code minier (Bricm) qui sera dotée de moyens d’action modernes et performants, notamment des drones et des moyens de surveillance satellitaire.

Trois mois plus tard, c’est chose faite ! Mise sur pied en octobre, la Bricm a officiellement démarré ses activités le 26 décembre dernier. Composée d’une quarantaine de gendarmes, marins, forces paramilitaires et ingénieurs des mines, elle a pour mission de « mettre fin à l’informel et aux clandestins ». Elle devra s’employer à « décourager ceux qui volent la richesse de la Côte d’Ivoire », a insisté le ministre Jean-Claude Kouassi lors du lancement de ses activités.

L’orpaillage clandestin est un véritable fléau en Côte d’Ivoire, favorisé par la générosité de la nature. « Nous sommes assis sur de l’or », nous confiait, non sans fierté, un habitant de Koutoukounou, dans la région de Daoukro. D’après les services du ministère des Mines et de la Géologie, on dénombre au moins 241 sites d’exploitation clandestine du précieux minerai et une population d’orpailleurs évaluée à 23 400 personnes.

La création de cette brigade est à saluer quand on sait que l’orpaillage utilise beaucoup de bois pour le soutènement des parois des puits creusés et favorise la déforestation, une autre préoccupation chère à la Côte d’Ivoire. Il reste à espérer que les résultats de cette brigade soient à la hauteur des espoirs qu’elle suscite

EK

  1. K.