Prix ivoire/3 questions à… Elikia Mbokolo (Historien, invité spécial) : « Il nous faut montrer la culture vivante contemporaine africaine… »
Prix ivoire/3 questions à… Elikia Mbokolo (Historien, invité spécial) : « Il nous faut montrer la culture vivante contemporaine africaine… »
C’est un sentiment de fierté. Une fierté, non pas pour nous-même ou pour les Ivoiriens, mais pour notre continent et pour ses diasporas. Il est clair désormais que nous avons changé de cap, nous sommes passés à une vitesse supérieure. Nous ne considérerons plus, en Afrique que ce qui fait la force d’une nation, ce n’est pas seulement le Pnb, le Pib ou encore les matières premières même s’ils ont leur importance pour notre existence, mais que c’est aussi et surtout la culture. La culture ici, ce n’est pas seulement nos traditions, nos héritages, mais c’est ce qui se fait actuellement ; et le fait que la Côte d’Ivoire est devenue la plaque tournante des prix littéraires en langue française, pour nous Africains, c’est un sentiment de fierté. Un honneur pour les Ivoiriens et du coup, pour nous-même. Et le fait qu’on me sollicite, ici en Côte d’Ivoire, désormais le centre de la culture pour notre continent, je suis particulièrement fier. Avec, en prime, la présence des écrivains et autres acteurs de la chaîne du livre, ivoiriens, africains, des diasporas africaines d’Europe, d’Asie et des Amériques. Aujourd’hui, celui que nous avons couronné est de Madagascar et la Grande Île c’est l’Afrique ! Et l’Afrique de langue française. En plus, à ce rendez-vous, intellectuels et artistes sont présents. C’est un grand moment. Surtout que nous avons (re) découvert des jeunes talents dans tous les domaines et nous pouvons espérer des lendemains qui hantent par la culture.
Vous évoquiez la matière grise comme le levain du renouveau de l’Afrique. Comment inculquer cette donne à la population, mais aussi et surtout à nos dirigeants ?
C’est de montrer ce que nous faisons. Montrer la culture vivante contemporaine. Je m’y attèlerai, mais il appartient surtout aux médias de le faire. En fait, cette matière grise importante, il faut la cerner à deux niveaux au moins. Il y a le côté scientifique et technique qui nécessite une réflexion à formaliser. Mais il y a aussi l’aspect créatif qui incline à inventer de nouvelles choses. Par exemple, j’ai vu ici à Treichville, comment des jeunes gens se déploient à réparer, créer même des smartphones, ce qui démontre que cette technologie-là, nous l’avons maîtrisée. L’autre côté, culturellement parlant, nous avons vu, par exemple à l’Insaac, comment nos jeunes ont du talent. Il appartient donc à tous de nous approprier le sens de l’audace et de la créativité. Un peu comme les pays asiatiques, par exemple la Corée du Sud qui était au même niveau que nous, il y a à peine 50 ans ! Et c’est par une prise de conscience culturelle qu’ils se sont démarqués. Il y a donc un pas à franchir. Nous sommes en avance au niveau culturel, faut-il encore que nous en prenions conscience. Je crois que la presse doit le relayer. La politique c’est important, mais ce qui se passe avec la culture à Abidjan, est fondateur, très important, fondamental.
Les discours et autres thèses africanistes, panafricanistes ont-ils, aujourd’hui, droit de cité ? L’Afrique se réinventant par elle-même n’est-ce pas une gageure dans le prisme de l’universalité, du village planétaire ?
Il est vrai, nous avons l’histoire avec nous et que nous devons assumer. Mais je pense que la culture vivante, celle d’aujourd’hui, contemporaine, nous devons la montrer. Nous devons nous défaire des clichés des masques. C’est notre héritage, mais il appartient aux médias de montrer la vivacité des arts et de la culture contemporaine, de la richesse de notre littérature ; c’est le point de départ d’une prise de conscience des populations et des politiques. Les intellectuels et les journalistes doivent jouer dans le même camp. Il importe de faire savoir notre savoir-faire. Pour aujourd’hui et pour demain. Nous devons, certes, produire, mais surtout consommer nos produits culturels. Nous ne devons pas produire pour les autres, car, ainsi fait, il n’y aura jamais de valeur ajoutée à nos biens culturels qu’ils valoriseront ou dévaloriseront à leur gré. C’est dommage, mais nous devons, d’une certaine manière, « tuer » Senghor. Mais le « tuer » dans l’honneur. En se disant, « Papa, Papi, tu as fait de grandes choses, mais les nouvelles générations sont en train de faire de nouvelles choses allant dans le sens d’affirmer notre négritude autrement, avec d’autres formes d’expression ».
Entretien réalisé par REMI COULIBALY