Les marchés qui brûlent : Incendie criminel ou imprudence ?

Une image de l'incendie du marché d'Abobo le 18 juin 2017
Une image de l'incendie du marché d'Abobo le 18 juin 2017
Une image de l'incendie du marchu00e9 d'Abobo le 18 juin 2017

Les marchés qui brûlent : Incendie criminel ou imprudence ?

Les marchés qui brûlent : Incendie criminel ou imprudence ?

En Côte d’Ivoire, les marchés brûlent. Des flammes qui amènent toujours à se poser des questions dont les réponses ne viendront jamais, en tout cas pas pour l’instant.

La majorité des villes du pays ont vu leur marché partir en flamme. Treichville, Adjamé, Cocody, Marcory, Bouaké, Man, Daloa, Abengourou, San Pedro, Agboville, Yamoussoukro pour ne citer que ces villes. Un phénomène qui va crescendo. Des villes comme Agboville ont vu leur marché partir en feu à quatre reprises. A Abobo quatre cas d’incendies ont été relevés, le dernier en date est celui du 17 septembre 2017.  A Treichville, les deux principaux marchés ont connu l’expérience du feu. Si celui de Belleville a eu plus de chance, l’autre de l’avenue 2 a été complètement brûlé. Réduit en braise, la mairie n’a eu d’autres issues que la reconstruction d’un nouveau marché sur le même site. A Yopougon l’on a pu répertorier cinq cas d’incendie.

En somme, plus de 60 cas d’incendies de marchés enregistrés de 1987 à 2017. L’intérieur du pays en tête avec 34 incendies, selon les conclusions d’une étude menée par la Fédération nationale des acteurs du commerce de Côte d’Ivoire (Fenac-CI).

A Adjamé, les flammes se sont déclenchées à 12 reprises. Le premier a eu lieu le 28 novembre 1990 et le dernier en date 22 juin 2017 (incendie du Black market). Et cette série noire continue d’endeuiller les populations sans qu’aucune garantie ou moyen de prévention pour mettre fin à ce fléau qui ruinent  indirectement l’économie du pays. « Je ne sais pas quel mot employer. Mais je suis plus que déçu de cette situation. J’ai perdu plus de 5 millions de Fcfa de marchandises que je venais de retirer du port », s’est attristé un sinistré du marché du Black market qui a pris feu il y a deux semaines.

Pour lui, ce phénomène ressemble de près à un acte prémédité. Car, « c’est toujours la même cause de court circuit, pourtant les soirs tout le monde rentre chez soi », s’indigne Diakité Amara, commerçant de riz au marché d’Adjamé. Ce dernier qui exerçait dans la même activité a connu des déboires suite à l’incendie du marché d’Adjamé en 1993 où il a tout perdu, même les marchandises des clients qui avaient réservé des produits dans son magasin.

L’incendie a ruiné de nombreux commerçants, en particuliers ceux qui s’adonnaient à la thésaurisation dans le marché. Car ces derniers avaient pris l’habitude d’y garder leur argent.  A preuve, lors de l’incendie du marché de Treichville, l’on a été surpris de voir des billets de banques brûlés éparpillés à même le sol. Des situations qui ont fini par inciter les banques commerciales et micro-finances à s’implanter aux abords des marchés pour capter des épargnants.

Est-ce un acte de pyromane guidé par des intérêts égoïstes ?

Selon Diaby Ibrahim, commerçant, il y a une main occulte derrière ces dégâts. « Lorsqu’on veut chercher de l’argent, on crée des incendies. Et après, ils construisent un nouveau marché où ils vendent les places deux fois plus cher qu’auparavant », soutient ce vendeur de pagne.

En réalité, l’on n’a jamais vu comment se déclenche le feu dans ces marchés. Donc difficile de savoir les mobiles réels ou les causes. Est-ce un acte de pyromane guidé par des intérêts égoïstes ? Au-delà de ce mystère, ce fléau laisse des séquelles dans la vie des commerçants, pour la plupart chefs de famille. Ces derniers devront encore tout reprendre à zéro, pendant ce temps la famille cherche de quoi  vivre, à survivre. A qui la faute des incendies qui se déclarent la plupart du temps la nuit ? La dernière en date a été le marché d’Abobo qui a brûlé dans la nuit du dimanche 17 septembre.

Pour l’Office nationale de la protection civile (Onpc), les cas d’incendies peuvent être provoqués par l’encombrement du marché, l’inexistence d’isolements, présence de câbles non fixés correctement, surcharge des prises électriques et branchements anarchiques. A côté de cela,  il faut reconnaitre que les marchés aujourd’hui sont surpeuplés et les voies encombrées. Car l’estimation moyenne des marchés modernes doit équivaloir à 12.000 places. Malheureusement, l’on assiste à   des installations anarchiques des fils électriques.  Des situations qui favorisent des cas d’incendies. Par exemple lors d’une ronde dans l’un des grands marchés de la commune de Yopougon nous avons été stupéfaits de constater qu’il n’y avait aucun désenfumage. Ce qui rend difficile le travail des sapeurs pompiers, en cas d’incendie.

Building operate transfert (Bot), nouvelle mode opératoire pour la construction des nouveaux marchés

Tous ces facteurs augmentent le malheur des commerçants qui sont ruinés à cause du feu et doivent se relocaliser. C’est encore une autre bataille qui s’annonce pour eux. D’autant plus que l’Etat, en vue de mieux responsabiliser les collectivités, a permis aux maires de s’occuper de ce volet. Ces derniers font  appel à des opérateurs privés pour la reconstruction du marché. Mais cette fois, les places s’acquièrent à des prix d’or. L’on se rappelle la reconstruction du marché d’Adjamé, qui a été le premier Building operate transfert (Bot) réalisé par la Société ivoirienne de concept et de gestion (Sicg). De même que les marchés de Treichville, Marcory, Koumassi  ont été confiés à  des structures privées pour leur réalisation. Cela a coûté des fortunes aux commerçants qui souhaitaient se réinstaller. Par exemple au marché du forum d’Adjamé, le prix des boxs s’élevaient 10 millions Fcfa et 350.000 Fcfa pour les étals. Des sommes exorbitantes qui ont poussé certains vendeurs à s’installer sur la chaussée. Cette relocalisation des commerçants est vue comme un business pour les opérateurs privés. « Je pense que ce sont les pyromanes qui sont à la base de ce business. Ils mettent le feu et après ils se présentent comme de bons samaritains. Tout en nous menant la vie dure », clame Sanfo Moumouni, vendeur de bijoux au marché du forum d’Adjamé.

Il faut  rappeler qu’auparavant l’installation dans un marché ne coutait que 500 Fcfa comme caution. Une somme que le commerçant versait à la mairie de sa commune accompagnée d’une demande manuscrite et d’un certificat de résidence. Mais aujourd’hui, avec le système Building operate transfert (Bot), la place dans le marché se négocie à coût de millions.

Kamagaté Issouf

issouf.kamagate@fratmat.info