
Pr Seka Rémi, Directeur général de l’Institut de cardiologie: " Les négociations pourraient toujours se poursuivre au sein des commissions paritaires "
Après ce débrayage de trois jours des agents, des accords ont-ils été trouvés?
Les porte-parole de ces agents viennent d’arriver de la Fonction publique où ils ont rencontré les inspecteurs. Nous sommes dans l’attente des conclusions de cette rencontre.
Les négociations ont pourtant démarré depuis le mois de juin, pourquoi n’y a-t-il pas eu d’acquis jusque-là?
Plusieurs négociations ont été effectivement menées sans succès depuis le 27 juin dernier où ils ont déposé une motion de protestation. Ils réclament l’exclusion de la liste des agents bénéficiaires de la prime, des médecins qui préparent le Certificat d’études spéciales (CES) de cardiologie. Ils demandent également de ne pas tenir compte de la partie du bulletin de salaire relevant de l’université pour les médecins enseignants.
Que disent les textes ?
L’arrêté interministériel N° 249 du 13 septembre 2000 déterminant les modalités d’application dans les établissements publics nationaux sanitaires de l’indemnité particulière en faveur des personnels stipule, en son article 2, que la « masse de l’indemnité annuelle est à répartir entre les personnels et les internes … ». Par ailleurs, le règlement intérieur de l’Institut de cardiologie d’Abidjan précise bien que les médecins CES font partie du personnel médical. Ce que les agents protestataires contestent. Concernant le deuxième motif de discorde, les contestataires soutiennent que seuls les émoluments hospitaliers devraient être pris en compte pour le calcul des primes des médecins enseignants. Or, là encore, le texte dit dans son article 4 que « la seconde partie résulte de l’application au salaire brut de chaque bénéficiaire d’un coefficient … ». Alors que le salaire brut d’un agent comprend la solde de base plus les émoluments et les indemnités. Selon eux, les autres structures hospitalières ne feraient pas ainsi.
Qu’en est-il dans ces structures ? Les CES sont-ils pris en compte dans le paiement de la prime?
Ailleurs, les autres structures ne prennent pas les CES en compte, et pour certains ne tiennent pas compte de la partie solde de base. Mais on ne peut pas nous demander de respecter un texte et en même temps nous demander de nous aligner sur ce que les autres font. Il faut être cohérent. C’est pourquoi nous avons sollicité, d’un commun accord, l’arbitrage juridique, notamment celui du ministère de la Santé. Nous nous y sommes rendus le 26 juillet 2017. Voici ce que disent les conclusions. Concernant le paiement des primes d’intéressement aux CES, « cette contestation est mal fondée en droit et donc sans objet». Quant à la prise en compte des deux bulletins de paie des enseignants, « cette contestation est également mal fondée en droit». En clair, ils ont été déboutés. A la suite de cela, constatant que l’arrêté interministériel incriminé faisait l’objet d’interprétations diverses, la ministre de la Santé, le Dr Raymonde GOUDOU-COFFIE, s’est impliquée personnellement en invitant les agents à faire des propositions afin de réviser l’arrêté si besoin était. Revenus à l’institut de cardiologie, les représentants des contestataires ont fait une restitution à leurs mandants et désigné leurs représentants pour participer aux travaux de révision avec les commissions statutaires, de sorte que le projet à soumettre au ministère soit consensuel. Malheureusement, un autre groupe de contestataires s’est constitué et a refusé de participer aux travaux. Ils prétextent qu’ils n’ont pas vocation à écrire des arrêtés et que le règlement intérieur doit être modifié afin que les CES soient soustraits, au motif que ce sont des apprenants, donc des stagiaires. Nous leur avons répondu qu’il s’agit de médecins exerçant des responsabilités au sein de l’institution. Nous les avons interpellés sur l’aspect éthique du problème, à savoir le respect des valeurs de notre charte (la responsabilité, l’excellence, l’équité, l’esprit d’équipe et l’intégrité). Comment pouvaient-ils demander au moment du partage de la prime, qu’on écarte des personnes qui contribuent à générer ces ressources? N’était-ce pas gênant ? Ils nous répondent qu’il ne s’agit pas d’une question d’éthique mais plutôt de respect de texte.
Combien de représentants avaient-ils ?
Nous avions recommandé trois personnes pour une question d’efficacité, mais ils ont refusé et ont imposé huit.
Il semblerait que vous étiez supposés prendre vos dispositions pour ne pas garder les malades ici à l’hôpital. Les référer dans les autres Chu par exemple…
Ils l’ont écrit en effet. Mais Madame, y a-t-il des services de cardiologie au Chu de Cocody et de Yopougon…. où ils nous demandent de transférer les malades? Cette exigence doit-elle venir d’un groupe d’agents qui protestent ? Qu’ils commencent par respecter eux-mêmes les lois ! Ils savent bien qu’un service minimum est exigé dans tout centre sanitaire en situation de grève ?
Le deuxième jour de la grève, soit mercredi, ils ont commencé à poser des actes d’une extrême gravité dont notamment la confiscation des dossiers de malades venus pour la consultation, le passage dans les services avec des vuvuzela et des sifflets. Ce qui est interdit dans un hôpital. Nous pouvons nous interroger sur le sens de la responsabilité et de la cohérence de ces personnes. Lorsque des dossiers de malades sont confisqués et que la salle des archives est fermée et les clés emportées, vous comprenez maintenant pourquoi je sors de ma réserve, en tant que responsable de l’établissement, pour dire qu’ils sont allés trop loin. Il ne faudrait pas être surpris que des comptes leur soient demandés demain.
Quelles décisions comptez-vous prendre alors ?
Il s’agit de fonctionnaires et des sanctions sont prévues par le statut général de la Fonction Publique en fonction de la gravité de la faute. Il était surtout important pour nous de rassurer les populations sur la continuité des services et rétablir la réalité de cette crise dont les raisons sont déformées. Ils veulent faire passer le directeur de l’ICA pour quelqu’un qui ne respecte pas les textes, qui veut imposer son point de vue personnel, ce qui est faux. Ayant bien saisi le problème, la ministre de la Santé a instruit les directeurs des EPN de santé, de lui faire des propositions de révision de l’arrêté interministériel et de veiller à ce que l’application de cet arrêté soit uniformisée dans l’ensemble des EPN de santé.
Combien de personnes sont concernées en réalité par cette grève ?
Cette grève est menée par une trentaine d’infirmiers, de personnels administratifs et d’aides-soignants sur un effectif de 476 agents. Cependant, ce n’est pas le nombre qui est le plus important. Car même s’ils n’étaient qu’une dizaine, il fallait les écouter. Et dans le cas d’espèce, nous avons tenu plus d’une dizaine de réunions avec eux. A aucun moment, la direction n’a refusé d’écouter ces agents. La prime que nous avons payée est l’une des plus élevées en ce qui concerne les EPN de soins. Là où les infirmiers d’autres CHU ont perçu environ 40.000 FCFA de prime annuelle, le montant minimum de la prime de 2016 est de 237 000 FCA à l’ICA.
J’ai même proposé aux agents de faire en sorte que dans le cadre de la révision de l’arrêté, il y ait un supplément de 5% accordé aux EPN certifiés par un organisme indépendant. Ce serait une manière pour le ministère de la Santé d’inciter les autres centres à s’engager dans une démarche qualité, comme à l’ICA.
Y a-t-il eu une baisse de l’activité durant ces jours de grève ?
Tant qu’ils manifestaient pacifiquement dans les jardins, les activités se poursuivaient normalement. Par contre, avec les évènements du deuxième et troisième jour, une baisse sensible des activités a été notée.
Des décès en outre ?
Malgré les perturbations, aucun décès n’a été enregistré.
Interview réalisée par
Marcelline Gneproust