Yacouba Zida (Premier ministre du Burkina): ‘‘Nous avons besoin des Ivoiriens...’’
Yacouba Zida (Premier ministre du Burkina): ‘‘Nous avons besoin des Ivoiriens...’’
Le Premier ministre du Faso, Yacouba Isaac Zida, a accordé une interview du directeur général de Fraternité Matin. Il évoque les relations avec la Côte d’Ivoire.
M. le Premier ministre, quel est l’état de la transition, deux mois après la chute du Président Compaoré ?
L’épilogue de la crise politique profonde qui nous a plongés dans cette transition est survenu à l’issue des journées insurrectionnelles des 30 et 31 octobre 2014. Ce sont des moments regrettables et douloureux, en ce sens que non seulement notre pays n’en avait pas besoin et, surtout, ce dénouement avec des conséquences tragiques était évitable. Nous nous sommes ainsi retrouvés au-devant de l’histoire et des responsabilités.
Depuis, nous nous efforçons de donner le meilleur de nous-mêmes pour que la Transition se déroule conformément à la Charte consensuelle que les acteurs se sont donnée. Il est trop tôt pour esquisser un bilan, car deux mois, comme vous le rappelez si justement, c’est assez court.
Toutefois, au regard de nos ambitions et de notre Charte qui est la feuille de route de la Transition, le chemin fait est appréciable. A ce jour, toutes les institutions prévues dans le cadre de la Charte pour une transition consensuelle et apaisée sont créées et, excepté la Commission de réconciliation, toutes sont fonctionnelles.
Pour y parvenir, il nous a fallu sauvegarder l’unité et la cohésion au sein des forces de défense et de sécurité, organiser le transfert pacifique du pouvoir aux autorités civiles, ramener la paix sociale et rassurer nos partenaires et la communauté internationale. En résumé, la Transition poursuit normalement son chemin et nous sommes confiants en une fin heureuse de ce processus.
Quel est l’état d’avancement des préparatifs de l’élection présidentielle de 2015 ?
Nous sommes en pleine concertation avec tous les acteurs pour arrêter un projet de chronogramme dont la mise en œuvre réussie requiert l’adhésion de tous. D’ici la fin du mois de janvier, ce sera chose faite et nous nous consacrerons à l’exécution des différentes tâches qui seront déterminées pour chacune des entités partie prenante.
Le calendrier provisoire que nous avons prévoit la date du 27 février comme le début du processus, avec le lancement de la révision du fichier électoral. Le premier tour de la présidentielle est prévu le 11 octobre 2015. Mais tout ceci reste soumis à l’approbation de l’ensemble de la classe politique.
Le Premier ministre est-il en contact avec l’ancien Président ?
Non. Je suis très absorbé par ma tâche au quotidien. Réussir la transition est un devoir impérieux. C’est ma préoccupation aujourd’hui ; alors, je m’y consacre totalement, nuit et jour.
Qu’en est-il des poursuites annoncées contre lui ?
Nous n’avons pas encore engagé de poursuites contre le Président Compaoré. Du reste, la presse a extrait une phrase dans l’entretien que j’ai accordé à la presse nationale le 27 novembre 2014 et l’a mise en vedette hors de son contexte. En substance, j’ai indiqué au cours de cet entretien que si à la justice, il y a une plainte déposée contre lui, nous allons demander au Maroc de mettre le Président Compaoré à la disposition de la justice du Burkina. Mais, il faut qu’il y ait un juge qui s’en saisisse et que ce n’était pas à nous de gérer cela. En notre qualité de pouvoir exécutif, nous ne pouvons usurper la mission du pouvoir judiciaire et demander sans motif, l’extradition d’un citoyen burkinabè qui réside dans un pays ami. Cependant, pour la bonne exécution des procédures judiciaires, nous avons le devoir de lui faciliter la tâche en prenant les actes réglementaires qui relèvent du pouvoir exécutif.
Avez-vous encore des relations avec le général Diendéré qui était votre patron ?
Nous nous voyons. C’est un officier général qui a servi son pays, qui a des choses à donner, et si nous avons besoin de lui, nous le consultons. Il n’y a aucun problème à ce sujet.
Comment se répartissent les rôles entre le Premier ministre et le Président du Faso ?
Comme dans tout État républicain. Au regard des dispositions des titres III et IV de notre Constitution, les rôles sont très clairement définis.
Le Président du Faso assume les fonctions de Chef de l’État. Il est le Président de la Transition et le Président du conseil des ministres. Il veille au respect de la Constitution, fixe les grandes orientations de la politique de l’État. Il incarne l’unité nationale et est garant de l’Indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la permanence et de la continuité de l’État et du respect des accords et traités signés par notre pays. Dans le contexte de la Transition, il assume en plus, les charges de ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale.
Le titre IV de la Constitution dispose que le Premier ministre est le chef du gouvernement. A ce titre, il dirige et coordonne l’action gouvernementale. Il est responsable de la politique de défense nationale définie par le Président du Faso. Il exerce le pouvoir règlementaire, assure l’exécution des lois notamment. Au regard des obligations de la Charte de la Transition, je suis amené à assumer en plus, la responsabilité du ministère de la Défense et des Anciens combattants.
Vous voyez qu’il n’y a pas de confusion possible dans nos attributions respectives ; et donc, pas de collusion entre nous ; sinon, une intelligence de collaboration ; car, vous le savez bien, le Président et moi ne sommes pas des politiques, avec des agendas secrets ; mais plutôt des hommes de devoir, soucieux de réussir la mission qui est la nôtre, à savoir une transition réussie dans l’intérêt du Burkina Faso.
Quelles sont vos relations avec les forces politiques et la société civile burkinabè?
Nous avons le devoir, selon les termes de la Charte de la Transition, de conduire le processus de sortie de crise dans l’inclusion, la cohésion sociale, dans un esprit de réconciliation nationale. Dans ce contexte, nous avons le devoir d’entretenir un climat propice au dialogue politique et au dialogue social au plan national.
Nous sommes donc à l’écoute de tous les acteurs de la Transition et, à leur disposition pour la prise en compte de leurs suggestions pertinentes et constructives pour une bonne conduite de notre Transition et pour favoriser la pleine atteinte des objectifs que se fixe notre processus.
On parle beaucoup de l’influence des religions, particulièrement de l’église évangélique sur le Premier ministre.
Nos sociétés, heureusement, sont fortement ancrées dans diverses croyances et la croyance en Dieu. Ceci nous offre une bonne soupape qui cultive à tout instant, en toute circonstance, l'apaisement des cœurs, la paix, l’entente, la discipline, le civisme, la concorde et l’entente, le vivre ensemble. Chacun de nous a sa croyance. Je n’échappe pas à cette réalité ; mais, je sais faire la part des choses, quand il le faut et je vous assure qu’il en sera toujours ainsi.
Nous ne cesserons, cependant, de solliciter toutes les autorités religieuses de notre pays à la rescousse de la Transition. Leur accompagnement est un atout majeur pour le succès de la Transition. Toutes nous ont assuré de leur disponibilité, de leur soutien et je profite de vos colonnes pour les en remercier et leur demander de continuer de prier Dieu afin que notre nation demeure dans la paix.
Et l’armée ? A-t-elle de l’influence sur vous ?
Je suis militaire. Je suis ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants. L’armée est présente en tant qu’actrice dans toutes les institutions de la Transition et apporte sa contribution au renforcement du processus.
C’est vous dire que la personne de Zida n’est pas plus influencée que ne le sont toutes les institutions ou personnalités de la Transition par l’armée. Le plus important, je crois, c’est que cette influence, s’il y en a, participe au succès de notre processus et ne constitue pas un handicap dans sa marche.
La rue n’est-elle pas en train de prendre le pouvoir en imposant le retrait de certains ministres ?
Si vous remontez aux origines du mouvement insurrectionnel de fin octobre 2014, et si vous intégrez les conditions qui ont amené le Président Compaoré à quitter le pouvoir, vous comprendrez aisément le phénomène que nous vivons. Nous sommes toujours dans cette dynamique qui a abouti au dénouement des 30 et 31 octobre 2014.
Il est possible que des acteurs souterrains utilisent certains groupes pour compliquer notre tâche ; mais c’est dans la logique des choses aussi et il nous appartient de prendre toutes nos dispositions pour garder le cap et conduire sereinement notre Transition pour ne pas décevoir les légitimes attentes des Burkinabè qui ont placé leur confiance en nous ainsi qu’aux autorités de la Transition. Nous travaillons à restaurer la confiance ; après quoi, l’autorité sera restaurée pour l’intérêt général.
Vous avez limogé les maires, conseillers régionaux et certains directeurs généraux. Pour quelles raisons ?
En ce qui concerne les directeurs généraux, ce sont des personnes qui étaient fortement liées à l’ancien régime et qui ont pensé qu’elles pouvaient continuer avec les mêmes méthodes, alors que le peuple avait réclamé le changement. Si ces DG avaient été capables de changement, nous aurions continué de marcher avec eux. La preuve en est que des directeurs généraux à la tête de société tout aussi importantes sont toujours en place. Ceux qui sont partis ont montré qu’ils ne pouvaient pas faire l’affaire du régime actuel. Pour ce qui est des maires et des conseils régionaux, nous les avons dissous parce qu’il y avait beaucoup de problèmes. De nombreux maires étaient contestés. Il y en a même qui avaient quitté leurs localités. Nous avons estimé qu’il était mieux de dissoudre ces municipalités et laisser au peuple le soin de désigner de nouvelles autorités.
Le peuple a-t-il réclamé le départ de ces maires et conseillers municipaux ? Nous avons cru comprendre que c’était le président Compaoré qu’il ne voulait pas.
Nous nous sommes sentis responsables de la sécurité des Burkinabè. Et s’il y a une institution ou un phénomène qui menace la stabilité et la sécurité, nous devons prendre des mesures. Et vous voyez que depuis que nous avons pris ces mesures, le calme est revenu. Il y a des administrateurs publics qui ne sont pas politiques et qui assument ces fonctions. Tout le monde est d’accord là-dessus. Il est déjà arrivé à l’administration de gérer directement les collectivités. La loi a prévu ces cas de figure et nous n’avons fait qu’appliquer les dispositions de la loi.Ce n’est donc pas une première, ni une exception. Nous sommes en train de voir comment organiser rapidement ces élections locales afin que les maires reprennent la main.
Ce sera avant ou après la présidentielle ?
Nous pensons que ce sera la dernière élection. Le plus urgent, ce sont l’élection présidentielle et les législatives.
Quel est l’état de la coopération avec les pays voisins, la Cedeao et singulièrement la Côte d’Ivoire ?
Vous m’offrez l’occasion de renouveler toute la reconnaissance de la Transition et du Burkina, celle du peuple burkinabè à tous nos voisins, à toutes les organisations sous-régionales, à l’Union africaine, à toutes les organisations internationales, à tous les amis et partenaires du Burkina Faso pour leur compréhension et leur accompagnement. Depuis les douloureux événements que nous avons connus, ils nous ont témoigné leur intérêt, leur attachement, leur amitié, leur appui. Dès le départ, nous avons affirmé que nous respecterons tous nos engagements internationaux, que nous nous inscrivons dans la cohabitation pacifique et le bon voisinage avec tous les États voisins.
Avec la République de Côte d’Ivoire, le Burkina joue et continuera de jouer le rôle de locomotive de l’intégration sous-régionale. La raison est tout à fait simple. Nous avons des relations qui puisent leurs sources dans les racines d’une histoire commune, d’un peuple commun. Notre destin est lié et nous restons convaincus que nos relations se consolideront davantage dans les années à venir.
La présence de l’ancien Président Blaise Compaoré en Côte d’Ivoire est-elle gênante ?
La présence du Président Compaoré en Côte d’Ivoire n’est nullement gênante pour le Burkina. Elle ne peut pas être un casus belli entre nos deux pays. Les États ont des intérêts qui dépassent ceux des personnalités. Nous sommes plutôt attachés aux intérêts supérieurs de nos peuples, de nos nations, de nos États. Nous œuvrerons toujours à les préserver, à les promouvoir et faire en sorte que nos actions communes de développement se renforcent.
Je vous prendrai un seul exemple, le Traité d’amitié et de coopération entre nos pays qui a été signé par les Présidents Gbagbo et Compaoré. Il a connu son impulsion véritable avec le Président Ouattara. Cette année, 2015, les deux gouvernements vont se retrouver en terre ivoirienne pour la cinquième Conférence au Sommet entre les Présidents Alassane Ouattara et Michel Kafando. C’est vous dire que le fait que le Président Compaoré séjourne dans votre pays ne constitue aucunement un obstacle à notre coopération exemplaire.
Avez-vous un message à adresser au peuple ivoirien et aux Burkinabè qui vivent en Côte d’Ivoire ?
C’est un message de fraternité et d’amitié. Le peuple ivoirien est pour nous une partie de nous-mêmes. Nous leur disons que ce que le Burkina Faso a connu est un évènement qui va nous aider à grandir. C’est vrai que cela a été douloureux, parce qu’il y a eu des pertes en vie humaine, mais nous devons regarder résolument vers l’avenir, pour que plus jamais ce qui s’est passé n’arrive ; parce que les dirigeants doivent prendre en compte la volonté de leurs peuples.
Nous voulons rassurer le peuple ivoirien sur le fait que nous ici au Burkina Faso, nous savons exactement où nous allons. Mais nous avons besoin des Ivoiriens, qu’ils puissent continuer de nous faire confiance, de nous soutenir, de nous aider. Que chaque fois si besoin est, nous puissions nous asseoir et trouver une solution.
Nous voulons que nos compatriotes qui vivent en Côte d’Ivoire se sentent chez eux. Il est important pour nous que nos compatriotes là-bas ne se sentent à aucun moment inquiétés. Nous demandons à leurs frères ivoiriens de les intégrer. Il est vrai que chaque pays a ses lois, et nous demandons à nos compatriotes de se soumettre aux lois et règlements ivoiriens et d’être des citoyens exemplaires en termes de comportement. Nous appelons ces deux peuples à beaucoup de solidarité et de travail pour construire nos deux pays.
Venance Konan, Envoyé spécial au Burkina Faso