Tourisme : Des attraits à l’abandon, des sites à problèmes
Man et ses cascades naturelles… ». Ce refrain que l’on entendait ici et là et qui vantait les merveilles touristiques que sont les cascades de Man, relève désormais du passé. En effet, ce site naturel qui contribuait au charme de cette ville, constitue dorénavant une des laideurs de la capitale des 18 montagnes. Grande fut, en effet, notre surprise de voir, en ce mois de décembre 2013, ces cascades naturelles dans un piteux état. Pour y parvenir, il faut avoir suffisamment de souffle pour gravir les 71 marches faites de blocs de rochers bien solides encore. Le pont de lianes qui permettait d’aller d’un bout à un autre n’existe plus que de nom. Le restaurant construit en 2000-2001 est en ruine. Il en est de même pour les deux paillotes construites par l’Onuci en 2006.
Les cascades naturelles de Man font 20 mètres de haut. Ici, une digue permettant de retenir l’eau sert de piscine. Mais comble de malheur, celle-ci n’est pas entretenue. «Le site est à l’abandon», déplore le directeur régional du tourisme à Man, Tehua Tano. Qui estime que la réhabilitation de ce site naguère attractif pourrait coûter plusieurs millions.
Cependant, bien que délabré, ce site continue d’attirer quelques nostalgiques. Qui paient 200 f pour y avoir accès. Dion Lou Gilbert, le fils de Doua Tangbé Antoine, chef du village de Zadepleu (propriétaire du site), est chargé de l’encaissement.
A Man, outre les cascades, on peut citer le mont Tonkpi qui culmine à 1.223m d’altitude, les Dents de Man, etc. «Ces différents attraits ont des problèmes, il ne faut pas se le cacher», fait remarquer le premier responsable régional du tourisme.
Au niveau des curiosités, il y a à Man, la course des masques, les danses traditionnelles, tels le Tématé, typique à la région, le Gba (sortie des masques sacrés), les masques échassiers…
Ici, à cause de la crise, les activités, en termes de visites touristiques, étaient pratique- ment au ralenti. «Maintenant qu’on a la normalité, le tourisme renaît. Nous enregistrons des touristes italiens, allemands, indiens et français. Ils viennent à cinq ou sept. Mais nous voulons qu’ils viennent en grand nombre comme par le passé, même si nous n’avons pas d’archives pour donner des chiffres précis», plaide Tehua Tano.
La désolation à
Waraniene, Fakaha, Niofoin…
Après la sublime région des 18 montagnes, nous continuons notre randonnée. Destination suivante : le Nord du pays. Deux régions différentes, mais la même réalité : la désolation. Le directeur régional du tourisme dans la région du Poro, Kamenan Désiré, se rappelle, avec un certain bonheur, que les touristes y venaient d’Europe, d’Amérique du Nord, d’Asie et même de l’Océanie. Pour contempler les splendides toiles de Fakaha (un village du département de Korhogo), la dextérité des tisserands de Waraniéné, un autre village… et les cases-fétiches de Niofoin. Mais aujourd’hui, le constat est amer : «Le nord, région touristique par excellence de la Côte d’Ivoire, a perdu son lustre d’antan. Plus de festivals de danses et de masques d’envergure nationale et internationale, plus de manifestations culturelles à vocation touristique, plus de fréquentations touristiques importantes », déplore le directeur régional. Qui ajoute : «Après plus d’une décennie de crise militaro-politique, la réhabilitation totale de toutes les infrastructures s’impose».
Quel est l’état des lieux ? A Waraniéné, village situé à 4 km de Korhogo, c’est la désolation. Pendant la crise, la salle d’exposition des produits artisanaux, le magasin de stockage et l’auberge de quelques chambres ont été détruits. Bien que leurs produits restent toujours de qualité, Valy Coulibaly, le président de la coopérative des tisserands de Waraniéné et les 351 membres n’ont plus de débouchés. Ils attendent, désespérément, l’arrivée de touristes pour acheter leurs chemises, couvertures et autres sacs à main bien tissés.
A Katia, un autre village, l’auberge a été détruite depuis 2002. Aujourd’hui, les salles d’exposition des tisserands et de stockage sont en ruines. C’est dans les broussailles qu’ils travaillent. Idem pour le village de Napié, situé à 55 km de Korhogo. Ici aussi, les artisans pleurent la destruction de leur salle d’exposition et l’auberge.
Kapélé est à 5 km de Korhogo. Ce village a une particularité. Ici, ce sont les hommes qui fabriquent les perles. Elles sont faites d’argile et de mixture de feuilles dont on recueille le liquide servant de colorant. Les salles de fabrication et d’exposition étant détruites, les artisans ou plutôt ces artistes travaillent à ciel ouvert.
Un tour à Niofoin, à 60 km de Korhogo, sur la route de Boundiali. Une curiosité : les cases-fétiches qui font de lui un village atypique. Malheureusement, ces attraits sont en voie de disparition. Les cases s’effondrent. Il n’y a pas de clôture. Niofoin : une particularité, pardon, une authenticité à préserver.
éléphants et rhinocéros dans la nature
Avant d’aller au nord, nous nous sommes arrêtés au centre, précisément à Yamoussoukro. Nous rencontrons le capitaine Kouadio Kouassi Rémy, directeur de la zone Centre de l’Office ivoirien des parcs et réserves. Qui nous parle de la réserve d’Abo Kouamékro, dans la sous-préfecture d’Attiégouakro. «C’est une réserve de vision. C’est-à-dire qu’elle a été créée et on a importé des animaux depuis l’Afrique du Sud, du parc national de la Comoé…», dit-il.
En compagnie du capitaine Azani Dédé, nous nous rendons dans cette réserve. Mais avant d’y aller, l’officier de l’Oipr, le capitaine Kouadio Rémy, nous apprend que «suite à une révolte coordonnée, des populations des sept villages riverains de la zone aménagée, à savoir Abo Kouamékro, Tokoré Yaokro, Koimoi-Dibikro, Morokinkro, Agnérékoffikro, Pranoua et Yébouakro, en dépit des dédommagements perçus, ont détruit en avril 2002, la clôture périmétrale, des infrastructures et équipements intérieurs ». Une révolte qui s’expliquerait, selon le premier conseiller du président des jeunes d’Abo Kouamékro, Yao Kouadio Emmanuel, par la non prise en compte de leurs préoccupations : centre de santé, construction du village, adduction d’eau potable, pour ne citer que celles-là. Les populations que nous avons rencontrées soutiennent, avec beaucoup d’humour, que la clôture faite de grilles métalliques est tombée «parce que les génies sont fâchés». Elles protestent aussi contre le fait que les agents des Eaux et Forêts leur interdisent l’accès de la réserve pour y chercher des lianes et autres feuilles pour se soigner, pour enterrer leurs morts, arguant que leurs cimetières sont à l’intérieur. Elles réclament une partie de la réserve dont la zone aménagée, bien marquée par les ruines de la clôture détruite et la piste périmétrale de 40 km. Quant à la zone non aménagée, elle est longue de 43 km et se confond au domaine rural.
Conséquence : éléphant, rhinocéros et autres animaux sont en dehors de la réserve. Cela pose un problème de sécurité. Si un éléphant qui se trouve dans la zone rurale a des petits et qu’il est effrayé, on ne sait pas quelle sera sa réaction. C’est donc un problème et nous cherchons les solutions», dit le capitaine Kouadio Rémy. Qui poursuit : «Lorsque les animaux sont dans leur lieu naturel et qu’on casse les barrières, on ne peut plus contrôler leurs mouvements. Donc la doléance, aujourd’hui, c’est de réhabiliter cette réserve».
Il convient de signaler aussi que la réserve d’Abo Kouamékro, créée en 1993, pour un tourisme de vision (tourisme motivé par l’attrait, la beauté qu’offre le paysage), a connu un repeuplement. En effet, nous avons appris que plus de 750 animaux composés de buffles, de bubales, d’hippotragues, de cobes de buffon… furent introduits ainsi que six éléphants et trois rhinocéros blancs importés d’Afrique du Sud. Mais, affirme le capitaine Kouadio Rémy, «depuis la révolte des populations riveraines, les animaux sont en divagation dans le domaine rural et sont l’objet d’un braconnage intensif». Solution envisageable immédiatement : réhabiliter la réserve, remettre les animaux dans leur biotope et puis procéder à sa gestion comme il se doit. Coût global (réhabilitation et importation des animaux) : 5 milliards.
«Un parc à problèmes»
A partir de Gobazra, un village de la sous-préfecture de Bonon, département de Bouaflé, une pancarte indique l’emplacement du parc de la Marahoué. «C’est un parc à problèmes», soutient le capitaine Kouadio Rémy. Ce lieu, d’une superficie de 101.000 ha est, indique-t-il, «confronté à un problème d’anthropisation». Il fait remarquer qu’aujourd’hui, plus de 60% de sa superficie est occupée par des plantations et des populations. «C’est un grand problème, mais le parc est récupérable si l’on fait sortir toutes les populations». L’objectif de l’Oipr, c’est d’amener le gouvernement à prendre des décisions, comme ce fut le cas à Niégré ce qui a permis de déguerpir toute la population.
Selon nos investigations, il y avait des bandes armées dans ce parc. Les responsables de l’Oipr en sont conscients. «Aujourd’hui, on en peut pas conseiller le parc de la Marahoué à un touriste. Car celui-ci vient voir la nature et non des plantations», indique le capitaine Kouadio Rémy. Qui plaide pour la réhabilitation dudit parc vieux de 51 ans.
Une opération qui s’annonce bien difficile. Quand on sait que depuis plusieurs années, les populations qui s’y sont installées ont construit des écoles. Celles-ci ont souvent servi de bureaux de vote. Et des campagnes de vaccination sont organisées en faveur des populations. Toute chose qui légitime leur présence.
EMMANUEL KOUASSI
(ENVOYE SPECIAL)