Barthélémy Inabo : “ L’État perdra beaucoup d’argent, si la libéralisation n’est pas faite ’’

Barthélémy Inabo
Barthélémy Inabo
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Barthélémy Inabo : “ L’État perdra beaucoup d’argent, si la libéralisation n’est pas faite ’’

Que devenez-vous après votre départ de la télévision ?

Barthélémy Inabo est là ! Je suis bien portant et je fais la navette entre Issia où se trouve ma plantation et la capitale économique. 

Cela veut-il dire que vous avez tourné le dos au métier de journaliste?

Non ! J’ai consacré toute ma vie au métier de journaliste, mais puisque l’on m’a viré de la Rti, je suis obligé de partir, vu qu’il n’y a qu’une seule télévision ! On m’a remis ma lettre de licenciement à la Place Rfk de la Rti comme un vulgaire petit employé, après 32 ans de service ! Cela m’a fait mal ! Je me suis replié sur moi-même. Dans la lettre, il ne m’était pas reproché une insuffisance de rendement, mais il était plutôt évoqué des raisons économiques qui ne tiennent pas la route. Parce que lorsque vous licenciez quelqu’un pour motif économique, vous n’embauchez plus. Je conclus donc que j’ai été viré pour des raisons que j’ignore.

Que voulez-vous insinuer…

Je veux dire que ce sont des règlements de comptes.  Je trouve cela dommage pour notre pays.

Vous êtes donc parti avec un pincement au cœur après ces 32 ans de service?

Bien sûr ! Quand vous entrez dans une maison à dix-huit ans, que vous y passez toute votre vie et que vous avez dépassé la cinquantaine, vous ne pouvez pas en partir heureux dans des conditions pareilles.

Quelles étaient les mesures d’accompagnement ?

On m’a remis un chèque, tout en oubliant que j’étais un fonctionnaire qu’on venait de licencier. Je l’ai pris et je suis parti.

Lorsque M. Aka Sayé a été nommé Directeur général, vous êtes- vous rencontrés pour échanger sur certains points ?

J’avoue que quand il a été nommé Dg, je ne l’ai pas rencontré. Par contre, quand il était Dga, je l’ai vu dès mon retour de France pour lui dire que j’étais à sa disposition s’il voulait qu’on travaille ensemble. Il m’a répondu qu’il appréciait ma démarche et qu’en temps opportun, il allait me convoquer.

Pourquoi n’avez-vous pas fait la même démarche, quand il a été nommé Directeur général ?

Etant donné que j’étais déjà un agent de la Rti, je n’avais pas besoin d’exposer mon expertise à mon directeur qui me connaît bien. Il n’avait qu’à me convoquer, pour que je vienne automatiquement. Mais, il ne l’a pas fait. Je suis donc resté dans mon coin. J’ai toujours préféré qu’on me juge sur mon rendement.

Vous avez été le premier directeur de Rti music, aujourd’hui, avez-vous le sentiment d’y avoir réussi votre mission ? 

En tout cas, je n’ai pas échoué ! Lorsque je quittais Rti Music, les choses marchaient bien, ainsi que M. Kébé Yacouba, le directeur général d’alors, me l’avait demandé. C’est tout à fait normal que plus rien n’aille après notre départ puisque ce dernier avait de grandes ambitions en créant Rti music.

L’objectif principal était de créer une troisième chaîne chargée de la culture.

Le nom «Rti music» n’était qu’une appellation générique. Sinon, en plus de la musique, il devait y avoir d’autres éléments. Nous avions, pour ce faire, recruté du sang neuf. Je pense que si le suivi avait été constant, cela aurait marché.

Ces animateurs recrutés n’arrivent toujours pas à s’imposer. Selon vous, qu’est-ce qui explique cela ?

Les animateurs que j’ai recrutés sont encore présents à la télé. Ce qui veut dire que ce sont les meilleurs que nous avons retenus. Le problème, c’est qu’ils ont été très tôt privés des anciens. Sinon, ils ont d’énormes qualités. On ne peut pas être producteur du jour au lendemain. Il faut une formation minimale de dix ans. Pourtant, nos recrues ont été laissées seules sur le terrain, après trois ans de métier. Comment voulez-vous que ces jeunes puissent s’en sortir? Il fallait poursuivre leur encadrement car moi-même, j’ai été l’assistant de M. Georges Benson pendant dix ans. Serges Fatho Elleingand est resté à mes côtés durant huit ans.

Justement, vous connaissiez tout ce cheminement, mais vous les avez laissés passer à  l’antenne. 

Le problème n’est pas à ce niveau. Moi-même, je suis passé très tôt à l’antenne. Mais à chaque fois que je faisais mon émission, mon maître me suivait. Il décortiquait l’émission jusqu’à ma tenue vestimentaire. Dites-moi qui critique ceux qui sont actuellement à l’antenne ? Du coup, ils se prennent pour des vedettes, pourtant ils n’en sont pas. Mon maître Benson me disait ceci : « Ce n’est pas parce que tu es applaudi à Adjamé que tu es une vedette». Etre vedette, cela se mérite sur le long terme. Sinon, ces jeunes gens font ce qu’ils peuvent, mais il faut des anciens derrière eux pour les encadrer. Mais dites-moi, quel animateur chevronné reste-t-il à la télévision ? On peut citer Yolande Kouadio comme la plus ancienne qui les encadre. Mais elle a été confinée dans un bureau. Didier Bléou, lui, est devenu directeur de la Radio Fréquence 2. Ce qui est un poste administratif. Mariame Coulibaly et lui constituent la jeune crème des animateurs qui ont de l’avenir. En plus des responsabilités qu’on leur a confiées, il faut leur permettre de produire des émissions pour la radio et la télévision. Il ne faut pas les confiner uniquement à la radio.

Pensez-vous qu’aujourd’hui la race des producteurs a disparu à la Rti ?

Il y a un seul producteur d’émissions chevronné à la Rti aujourd’hui. C’est Francis Aka.

Pourtant, il ne produit rien.

Je ne travaille plus à la Rti, donc je n’en sais rien. Je vous dis simplement qu’il y est le seul producteur, en ce moment. Même le directeur de la production est un producteur spécialiste des documentaires, pas des émissions de plateau. Dans notre métier, il existe des spécificités. Moi, par exemple, je suis incapable de faire un documentaire. Selon les informations que j’ai de la Rti, si le nouveau directeur met en pratique ses propos, il est alors sur le bon chemin.

C’est-à-dire ?

Il a décidé, selon les informations que j’ai, de travailler comme on le fait dans les grosses chaînes. C’est-à-dire avoir moins de salariés producteurs, mais passer des commandes avec des structures de production privées pour augmenter sa production à l’antenne.

Est-ce donc dans ce cadre que vous avez été contacté pour l’émission Variétoscope ?

Non ! Il y a eu un appel à candidatures. Je travaille dans une structure de production qui a postulé pour l’émission. C’est moi qui ai rédigé le projet. Si nous sommes retenus, nous la ferons ; dans le cas contraire, nous continuerons notre chemin. Toutefois, le principe est bon, parce qu’une maison de télévision ne doit pas avoir un effectif pléthorique. Et c’est le directeur qui recommande les émissions. Il en donne le canevas, la durée et vous faites le synopsis ; s’il y adhère, il vous fait signer un contrat pour un ou deux ans. Si ça ne marche pas, il met un terme à votre collaboration. Ainsi, la structure de production est amenée à travailler au maximum.

Quel type de collaboration voulez-vous désormais avoir avec la Rti ? Souhaitez-vous y être réintégré ou être un producteur privé ?

Je préfère être à l’extérieur et avoir la pression pour produire des émissions de qualité que je vendrai à la Rti, mais avoir aussi la liberté de vendre mes productions à d’autres maisons de télévision. N’oublions pas que dans quelque temps, nous aurons la libéralisation de l’audiovisuel ; personne n’a envie d’aller s’enfermer dans une structure en tant que salarié. Nous préférons être producteur dans notre propre structure ou dans un groupement de producteurs qui en monte une.  

Pensez-vous que la Rti dispose de moyens pour acheter suffisamment de productions ?

Je pense qu’il y a des choses à faire. Lorsque vous soumettez une émission à M. Kébé, par exemple, il vous demande si vous avez réfléchi à son financement. Dès que vous répondez par l’affirmative, il vous donne le feu vert. La tendance, aujourd’hui, c’est que la Rti ne peut pas employer tous ces jeunes diplômés de nos écoles de communication.  Elle doit donc encourager les structures privées à lui proposer des émissions pour être compétitive. Si l’on me demande de proposer une émission de variétés et que ça ne marche pas, c’est sûr qu’on va la rejeter. J’ai intérêt à travailler à ce qu’elle marche car je dois payer mon personnel. On peut employer le journaliste en tant que salarié, mais pas le producteur. Voilà pourquoi je dis qu’on aurait dû nous poser le problème de la masse salariale élevée et nous proposer des contrats extérieurs en négociant notre départ. Cela aurait été une séparation à l’amiable.

Variétoscope a plus de 20 ans. Si l’émission est confiée à votre structure, que comptez-vous lui apporter pour le plaisir de la jeunesse ?

Nous y avons pensé. Car le temps de Barthélémy Inabo qui animait Variétoscope est révolu. Nous vivons dans une société qui évolue, nous devons donc proposer un contenu en conformité avec l’époque actuelle.

Rti music avait été accusée, à l’époque, d’être à la base de la piraterie audiovisuelle. Avez-vous eu vent de cela ?

Je pense que mes anciens collaborateurs ont travaillé correctement, tout le temps qu’ils ont passé à Rti music. Nous sommes à l’ère des Tic et à partir d’Internet, nous pouvons avoir toutes les informations que nous désirons et faire notre Cd ou notre cassette tranquillement. Aujourd’hui, Rti music n’est plus là, mais la piraterie continue. Bonjour 2010, 2011, 2012… ont été piratés ! Est-ce que ce sont les agents de Rti music qui ont fait cela? Il y a beaucoup de personnes qui travaillent encore à la Rti, il ne faudrait pas rejeter la faute sur elles. Ce sont des techniciens qui ont donné de leur temps à cette maison.

Vous vous êtes remarié de façon clandestine. Pourquoi ?

 Le fait que je ne sois plus à l’antenne ne veut pas dire que je ne suis plus un homme public. Il y a, en outre, des contraintes liées au fait que ma femme soit en France et moi, en Côte d’Ivoire.

Aujourd’hui, vous faites la navette entre Abidjan et Paris, quelles sont vos relations avec Serge Fatho ?

Il m’a appelé ce matin (Ndlr : le jour de l’interview). Il était là, récemment, pour fêter ses cinquante ans et toute l’équipe était à ses côtés. Nos relations vont au-delà du cadre professionnel.  Il est pour moi un petit frère.

La structure à laquelle vous appartenez aujourd’hui est-elle prête pour affronter la libéralisation de l’audiovisuel qui s’annonce ?

Il faut qu’on libéralise l’audiovisuel. Vous savez pourquoi ? Si cela n’est pas fait, la technologie aidant, certains opérateurs vont contourner la loi. Aujourd’hui, je peux créer une chaîne de télévision en Côte d’Ivoire comme Lmtv et autres. J’enregistre mon journal à 19 heures. A 19h30, il est fini. A 19h35, je le mets sur Internet avec une ligne de diffusion hyper rapide. Donc, si la libéralisation n’est pas faite, l’Etat ne pourra rien contrôler et perdra de l’argent. Le plus grave, c’est qu’en 2015, le basculement  au numérique est prévu. Avec ou sans nous, tous ceux qui nous entourent s’y mettront. Cela veut dire qu’ils vont nous envahir. Avec les tablettes et autres, l’information fuse à une vitesse vertigineuse. Pour la libéralisation de l’audiovisuel, nous sommes prêts. Pas pour créer des chaînes de télévision, mais pour mettre en place une structure de production qui sera une machine à fabriquer des émissions que nous pourrons vendre à tout le monde.

Interview réalisée par

Issa T.Yeo