Gaoussou Koné : La fusée des tartans
Gaoussou Koné : La fusée des tartans
« La Côte d’Ivoire, c’est son café, c’est son cacao. Mais la Côte d’Ivoire, c’est aussi Gaoussou Koné ». C’est avec cette phrase que Joseph Diomandé a accueilli le champion, à son retour des Jeux olympiques de Tokyo. L’Ivoirien y est, en effet, revenu avec une 6e place. C’était en 1964.
Ce parallèle entre le café, le cacao, mannes financières de la Côte d’Ivoire, et le coureur Gaoussou Koné, était loin d’être surfait. Gaoussou Koné, selon les témoignages recueillis, fut un athlète performant. Flèche ou fusée ? Les métaphores ne manquent pas pour qualifier la pointe de vitesse de l’homme. C’était un véritable ambassadeur de l’athlétisme ivoirien.
Les chroniqueurs de presse de son époque disent de lui que s’il n’était pas né trop tôt, et qu’il avait été de notre époque, il aurait pu rivaliser avec Carl Lewis et, plus proche de nous dans le temps, Usain Bolt. C’est dire que Gaoussou Koné a réalisé des performances.
Comme toute vedette du sport, il a soulevé des foules sur de nombreux stades du monde, fait peur à de nombreux athlètes sur les tartans dans le 60, 100 et 200 m. Et pourtant, il n’avait jamais envisagé de réaliser un tel parcours dans sa vie. « Je pratiquais le sport pour des raisons purement scolaires, sans aucune ambition de devenir un jour un sportif, encore moins un sportif de haut niveau », nous confie-t-il.
Jeune, Gaoussou Koné était plutôt obsédé par la mécanique. « Comme tous les enfants de mon âge, je tapais dans un ballon de football. Je voulais être diéséliste. A cette fin, mon frère aîné m’avait promis une formation en France. C’était cela ma préoccupation et mon rêve ». Ce rêve ne se réalisera jamais. « J’ai été détourné de la mécanique par plusieurs enseignants d’Education physique qui ont décelé en moi ce don d’athlète, notamment la course ».
Les premiers appels vers l’athlétisme commencent à Adzopé, alors qu’il était en année préparatoire au Centre d’apprentissage en 1960. M. Orichot, son professeur de gym, un expatrié, tombe sous le charme de son talent de coureur et envisage de le faire partir à Marseille, en France. Refus de l’élève de céder aux appels de cette autre sirène des stades. Le sport, pour lui, n’était qu’un passe-temps d’écolier.
1961. Le futur diéséliste est à Bouaké, dans un autre centre d’apprentissage. A l’instar de tous les élèves, il est soumis à des épreuves sportives dont le but était de relever des performances et de déceler des talents, en début d’année scolaire. Gaoussou Koné se souvient des performances qu’il a réalisées ce jour-là : 16 m au lancée du disque ; 1,80 au saut en hauteur ; et au 60 m (6’’02).
Ebahi par cette performance hors pair, le professeur de gym fait faire au performeur, un peu plus tard, une course sur 100 m. La surprise sera de taille : l’élève bat le record de Côte d’Ivoire (11’’02) détenu à cette époque par un certain Fofana Karamoko !
Aucun pédagogue digne de ce nom ne peut lâcher un tel élève et louper pareille chance de faire valoir outre son propre savoir-faire, les qualités d’un apprenant doué. Conséquemment, le professeur et le directeur du centre engagent des pourparlers avec le jeune élève qui se paie le luxe insolent de ne pas savoir qu’il détient un don à … exploiter. La démarche aboutit à une fin heureuse : Gaoussou Koné accepte de se vouer au sport.
Adieu le diésel, bienvenu au sport !
Heureuse coïncidence, c’était la période de préparation des Jeux d’Abidjan. La nouvelle recrue intègre la sélection nationale pour la préparation. Il a, à peine, 15 jours de préparation devant lui. Mais il éblouit déjà par ses performances. D’abord à Dabou, lors de la finale d’une épreuve avant les Jeux d’Abidjan. Gaoussou Koné est opposé aux sept meilleurs nationaux du moment.
Des noms célèbres de l’époque : Fofana Karamoko, Ahmadou Kourouma, Atta Kouakou entre autres. Les pronostics vont en faveur de ces gazelles des stades. Cela n’impressionne nullement le désormais ex-apprenti diéséliste. Gaoussou Koné fait sensation, et crée la surprise en réalisant la meilleure performance sur 100 m : entre 10’’ et 11’’, se souvient-il encore aujourd’hui. C’est une surprise pour ceux qui ne le connaissaient pas, mais pas pour ses professeurs et encadreurs.
En sports, tout comme dans les arts, les légendes naissent vite. Celle de Gaoussou Koné suivra la règle : le jeune athlète accumule les performances : à la finale des jeux d’Abidjan, il confirme sa forme, mais il est au pied du podium, (4e) derrière le Sénégalais Sow Aliou (3e) sur 100 m. La première place avait été occupée par le Français Pic Male. Gaoussou ne se décourage pas. Il atteint les demi-finales sur 200 m. Cette performance lui ouvre déjà les voies du succès.
Au fil des compétitions, il se bonifie comme le vin. Et, tout logiquement, en 1963, il connaît la consécration aux Jeux de l’Amitié, à Dakar. Gaoussou Koné remporte la médaille d’or et devient champion d’Afrique sur 100 m face au Sénégalais Abdou Diouf.
Souvenirs : « La compétition s’est déroulée dans une ambiance très électrique. Ce succès en terre sénégalaise a été l’un des plus merveilleux et mémorables souvenirs dans ma carrière », affirme-t-il. Malgré toutes les intimidations, les provocations du coureur sénégalais, Gaoussou Koné, le jeune prodige de l’athlétisme ivoirien, a bouleversé tous les pronostics en battant Abdou Diouf.
Pour information, ce dernier, meilleur athlète sénégalais et espoir de l’athlétisme sénégalais, était venu de France où il résidait et bénéficiait, conséquemment, de meilleures conditions d’encadrement et de préparation technique. Malgré l’auréole de ce background des plus reluisants, le champion sénégalais terminera seulement à la 3e place avec une médaille de bronze, quand l’Ivoirien Gaoussou Koné montait fièrement sur la marche la plus haute du podium.
Gaoussou Koné ne s’arrêta pas en si bon chemin : il bat aussi le Ghanéen Ayié. « C’était la première victoire ivoirienne sur un ressortissant du Ghana ». Il réalise ainsi deux exploits dans une seule course, au 100 m. Commence alors la multiplication des sacres et des succès à travers le monde.
Sacres et succès à travers le monde
Aux JO de Tokyo (Japon) en 1964, il occupe la 6e place. Véritable ambassadeur de l’athlétisme ivoirien et africain, il l’aura été aux cours de ces JO. L’athlète ivoirien était l’attraction des Japonais, non seulement à cause de la couleur de sa peau, mais aussi, de ses origines (ivoiriennes). Les Japonais ne connaissaient que des pays comme le Ghana et le Nigeria.
Retour en terre africaine. Les exploits continuent. Gaoussou remporte deux médailles d’or en 1965 : champions d’Afrique du 100 m aux Jeux africains de Brazzaville, champion d’Afrique sur 200 m.
A partir de 1967, il atteint le sommet de son art. Plus personne ni rien ne peut l’arrêter. Ces victoires et performances ne se comptent plus. Epoustouflant et plus fringant que jamais, Gaoussou Koné vole de succès en succès.
A Mexico (Mexique) : vainqueur de la Semaine préolympique : 2e et vice-champion militaire à Athènes (Grèce). Pour boucler la boucle au cours de cette année, il devient premier champion du monde universitaire (à Tokyo). « Là-bas, j’ai volé la vedette à l’Américain, Tommy Smith, le recordman du monde sur 100 m. A son arrivée, il a été accueilli en fanfare à l’aéroport Félix Houphouët-Boigny. Et Joseph Diomandé, dans ses commentaires, a dit ceci : « La Côte d’Ivoire, c’est le café, c’est le cacao. Mais la Côte d’Ivoire, c’est aussi Gaoussou Koné ».
2013. 40 années nous séparent de cette époque des grands succès de l’athlète. 40 années de souvenirs, d’émotions, de travail endurant, de persévérance. Le bilan moral et matériel de cette vie glorieuse d’athlète a, sans doute, été fait depuis longtemps.
Malgré les performances réalisées, l’athlétisme ne l’a, apparemment, pas nourri. A-t-il aujourd’hui des regrets de n’avoir pas été diéséliste, son rêve d’enfant ? Est-il amer ? La réponse est empreinte à la fois de lucidité et de sagesse : « La Côte d’Ivoire de cette époque s’était totalement identifiée à Félix Houphouët-Boigny. On est arrivé trop tôt dans un monde vieux ». Il renchérit : « A mon époque, je percevait 5 dollars comme per diem lors des compétitions. A Bouaké, à l’internat du centre d’apprentissage de Bouaké, je me nourrissais de café baoulé après les entraînements ». On peut le dire : autre temps, autres mœurs.
Doué, Gaoussou Koné l’était. Mais c’est à la rigueur et au travail, qu’il doit ses performances. Aujourd’hui, à la retraite, c’est un homme pieux qui vit pleinement ce statut et ne se morfond pas. « Ce qu’Allah prévoit pour quelqu’un, c’est dans sa chambre qu’il le trouve », dit-il, pour s’enrichir davantage de sagesse et de spiritualité. Fait étrange, Gaoussou Koné n’a jamais encouragé un de ses parents ou une de ses progénitures à embrasser la voie de l’athlétisme. « Je ne voulais pas que ceux que j’encadrais aient à penser que je privilégiais l’un de mes parents, alors que ce n’était pas le cas ».
Si ses enfants n’ont pas été de grands sportifs à la dimension de la renommée du père, ils sont, malgré tout, dans les métiers du sport. L’aîné est professeur d’Education physique et sportive (Eps) comme son père ; deux autres enfants, Koné Zacharia et Koné Kader, sont basketteurs, et ils évoluent dans des clubs, aux Usa.
Côté distinction, Gaoussou Koné a été fait : Commandeur de l’Ordre national par Félix Houphouët-Boigny ; Commandeur du Mérite sportif ; Médaillé d’or du Comité olympique international. Récemment, il a été fait Commandeur de l’Ordre national par le ministère de la jeunesse et des sports.
Ses succès, il les doit aussi à ses amitiés comme le ministre Bissouma Tapé, Séry Gnoléba qui ne lui ont pas fait défaut de soutiens moral et financier. Il a accepté de nous donner son avis sur deux autres grands noms de l’athlétisme ivoirien, Murielle Ahouré et Gabriel Tiacoh : « Ahouré a besoin du soutien de la Côte d’Ivoire pour nous ramener une médaille olympique, comme l’a fait Gabriel Tiacoh. Comme Gabriel, elle fait d’énormes sacrifices pour son pays ».
Il ne tarit pas d’éloges à l’endroit de Gaby. « Nos mamans savent faire des enfants ». C’est la réflexion qu’il avait faite, lorsque Gabriel Tiacoh avait franchi, la ligne d’arrivée en deuxième position sur 400m aux jeux olympiques de Los Angeles en 1984. Bien dit champion ! A nous aussi de vous le dire : « Votre maman a su faire un enfant ! ».
Elisabeth Goli