PortraitArsène Angelbert Ablo (écrivain, poète et dramaturge): Une plume engagée, affranchie et tournée vers le futur

Arsène Angelbert Ablo
Arsène Angelbert Ablo
Arsène Angelbert Ablo

PortraitArsène Angelbert Ablo (écrivain, poète et dramaturge): Une plume engagée, affranchie et tournée vers le futur

Le 12/07/25 à 08:33
modifié 12/07/25 à 08:35
Dans le paysage littéraire africain francophone, il est des voix qui, loin de suivre les sentiers battus, tracent leur propre chemin, empreint de révolte, de mémoire et de beauté. Arsène Angelbert Ablo est de celles-là.

Écrivain ivoirien, polymorphe (dramaturge, poète, romancier, essayiste, biographe, conteur), il est aussi scénariste et réalisateur de films institutionnels.

Lauréat du Grand Prix littéraire des régions francophones et finaliste du prestigieux Prix Rfi Théâtre, il revendique avec fierté son appartenance à la nouvelle génération d’écrivains du Sud. Un Sud pluriel, engagé, nourri d’héritages et tourné vers l’avenir.

Une enfance entre

deux mondes

Né en juillet 1973, un mois après qu’un ami de son père demandait à ce dernier de publier ses poèmes, Arsène Ablo semble avoir reçu la vocation en héritage.

« J’ai eu la confirmation depuis le ventre de ma mère. En effet, mon père qui m’a très tôt parlé de théâtre m’a présenté un courrier qu’il avait reçu de son ami Richard Bonneau, daté du 26 juin 1973, dans lequel ce dernier lui demandait de rassembler tous ses poèmes afin d’en faire un recueil. Mon père, je ne sais pour quelle raison, ne l’a pas publié. Mais moi, je naissais un mois après, c’est-à-dire en juillet, et plus tard, j’ai continué là où il s’est arrêté », confie-t-il.

Cadet d’une fratrie de cinq enfants, il grandit au carrefour de deux cultures, ivoirienne et allemande, au sein d’une famille polygame ouverte sur le monde et férue d’art. Son père, Quenum Kouassi Ablo, comédien, metteur en scène, poète, percussionniste et danseur, le berce très tôt de musique classique, de jazz, de poésie et de théâtre.

Une initiation sensorielle et intellectuelle à l’art qui, même si leurs relations fut parfois tumultueuses, posera les fondements d’une vocation inéluctable : écrire. « Il nous faisait écouter du disco, du jazz, de la musique classique. Il nous lisait des poèmes et nous a donné une bonne éducation », se souvient Arsène Ablo qui embrasse tardivement une carrière d’écrivain, après avoir longtemps évolué dans le monde de l’entreprise. Mais dès sa première publication, ‘’Ah ce ventre’’, un recueil de poèmes, chez L’Harmattan, en 2000, le ton est donné : il ne trichera pas. Sa plume sera sincère, travaillée, militante.

De la poésie, sa porte d’entrée dans l’écriture, au théâtre, en passant par le roman et l’essai, son œuvre compte aujourd’hui une quinzaine de publications. S’il se définit comme un écrivain total, c’est le dramaturge qui domine : plus de 70 % de ses œuvres relèvent de l’art dramatique, un genre qu’il considère comme le plus complet.

« J’ai commencé par la poésie parce que mon père nous lisait ses poèmes : ‘’Ne me dis pas sauvage’’ et ‘’le Revers du temps’’. Il nous faisait recopier ses textes. Mes poèmes, c’était de la prose et je les chantais. Ensuite, j’ai écrit ma première pièce de théâtre dans les années 1990, pendant la première année blanche de l’histoire de notre école. J’étais à la maison et mon père m’a initié à l’écriture d’une pièce de théâtre », souligne l’auteur.

Une esthétique du verbe ancrée dans le combat

Chez Arsène Ablo, la forme compte autant que le fond. Ses pièces sont ciselées, poétiques, ironiques, peuplées de symboles et d’esprits, de devins et d’allégories, comme Mama Africa. Elles dénoncent, égratignent, provoquent, tout en convoquant la musicalité du texte. L’objectif est double : écrire pour dire, mais aussi écrire pour jouer. Car le théâtre, pour vivre, doit monter sur scène. L’auteur le sait et rêve de retrouver les planches avec ses nouvelles créations, dont Guantana... maux ou Ko... tik Ayiti.

« Mes pièces sont très sophistiquées. On apprécie l’ironie qui mordille chacun des personnages. Tous, y compris l’Afrique, subissent des reproches et pas seulement l’humanitaire blanc. C’est ce qui fait la force et l’originalité de mon style, reflet énergique de la tragédie. Quand j’écris, la forme est aussi importante que le fond. Et la musicalité que ma plume dégage doit être belle à écouter », poursuit l’auteur qui se positionne comme un écrivain de combat.

Liberté, mondialisation, mémoire africaine, justice sociale, il aborde des thématiques profondes avec une sincérité rare. L’Afrique est au centre de tout : source d’inspiration, creuset d’identité, espace de lutte, sujet d’analyse critique. Il veut déconstruire les stéréotypes, raconter l’Afrique d’hier pour mieux penser celle de demain, parler des sans-voix, des oubliés, des blessés de l’Histoire.

C’est pourquoi la place de l’Afrique dans son engagement littéraire est centrale, fondatrice et plurielle. Elle est à la fois source d’inspiration, objet de réflexion et horizon d’actions.

« Comme matrice identitaire, je puise dans l’histoire, les traditions, les langues et les réalités sociales du continent pour affirmer une identité propre, déconstruire les stéréotypes hérités de la colonisation et réhabiliter les voix longtemps marginalisées ; en clair, pour revaloriser l’Afrique », fait savoir l’auteur dont l’engagement littéraire s’inscrit dans une volonté de résistance face aux injustices : pauvreté, corruption, conflits, néocolonialisme, devenant ainsi le porte-voix des sans-voix. Arsène Ablo ne se contente pas de décrire, il analyse, questionne, provoque des fois, afin de comprendre les rapports entre tradition et modernité, entre local et global, entre mémoire et avenir. L’Afrique devient un laboratoire d’idées, un lieu de réflexion sur l’humanité tout entière, pour avoir été son berceau.

Une voix lucide sur la scène littéraire ivoirienne

L’auteur pose un regard à la fois enthousiaste et critique sur la scène littéraire ivoirienne. S’il salue la vitalité des jeunes auteurs, l’émergence de collectifs et de festivals, il alerte également sur les dérives : manque de professionnalisme, éditeurs fantômes, qualité éditoriale discutable. Pour lui, écrire est un art noble qui exige rigueur et respect. Il appelle à revaloriser la fonction d’écrivain, à préserver la sacralité de la plume. « Le rôle de l’écrivain africain contemporain est à la fois littéraire, social, culturel et politique. Il ne se limite pas à raconter des histoires. Il agit comme une conscience collective, un bâtisseur de mémoire et un passeur de voix. Comme porteur de mémoire et d’identité, l’écrivain contribue à préserver la tradition orale, à raconter l’histoire coloniale et postcoloniale et à explorer les identités plurielles africaines.

Il interroge les racines, tout en participant à la construction d’une modernité propre à l’Afrique », a défini l’auteur qui constate une nouvelle dynamique de la scène littéraire ivoirienne qui connaît un renouveau avec l’émergence de jeunes auteurs, de collectifs littéraires, de rencontres internationales comme le Salon international du livre d’Abidjan (Sila), les prix littéraires nationaux internationalement reconnus et une présence croissante sur les réseaux sociaux qui facilitent une certaine visibilité de ces activités.

Aujourd’hui, Arsène Ablo se projette avec enthousiasme. Il prépare activement, avec l’association Memorialis, le centenaire de Mgr Pierre Marie Coty autour de ‘’L’Abidjanaise’’, l’hymne national ivoirien. Il développe aussi le projet H.A.R.I. (Histoires d’ailleurs racontées ici), une relecture des contes occidentaux dans un contexte africain. Et, bien sûr, il continue d’écrire. Entre théâtre, poésie et roman, ses œuvres en attente de publication témoignent d’une créativité toujours en éveil.

SERGES N’GUESSANT



Le 12/07/25 à 08:33
modifié 12/07/25 à 08:35