Banque africaine de développement : Ce qui attend le nouveau président

Dr Sidi Ould Tah,élu président de la BAD, ce jeudi 29 mai 2025
Dr Sidi Ould Tah,élu président de la BAD, ce jeudi 29 mai 2025
Dr Sidi Ould Tah,élu président de la BAD, ce jeudi 29 mai 2025

Banque africaine de développement : Ce qui attend le nouveau président

Le 29/05/25 à 13:09
modifié 29/05/25 à 16:31
C’est sans doute l’un des plus gros scandales de tous les temps : avec un réservoir de ressources prodigieux, l’Afrique ne compte aucun pays développé et la plupart de sa cinquantaine d’Etat sont classés parmi les pays à revenu intermédiaire de la classe inférieure pour les uns, et parmi les pays les plus pauvres de la planète pour d’autres. Que s’est-il passé ?

A l’occasion de ses Assemblées annuelles 2025 qui se tiennent à Abidjan fin mai, la Banque africaine de développement (BAD) a produit un document d’une rare lucidité, qui sort des sentiers battus du politiquement correct pour décrire la réalité de la situation africaine telle qu’elle est.

Les pratiques actuelles de développement en Afrique et dans le monde, y compris l’architecture financière mondiale dans laquelle les économies africaines évoluent, ont laissé le continent dans un cercle vicieux de pauvreté inacceptable – une situation où le coût élevé du capital et son déploiement dans des secteurs à faible productivité conduisent à de faibles retours sur investissement et à d’autres formes de fragilités économiques, sociales et environnementales. En raison de la faible capacité de l’État à collecter des recettes suffisantes, de nombreux pays africains ne disposent que d’une faible marge de manœuvre budgétaire pour répondre aux besoins fondamentaux des citoyens, ce qui perpétue la pauvreté et l’inégalité. Ainsi commence ce texte qui campe le décor peu glorieux du continent africain après plus de six décennies d’indépendance pour bon nombre d’entre eux.

Ces facteurs plongent les pays dans un endettement insoutenable, les pouvoirs publics empruntant, souvent à un coût élevé, pour combler le déficit de financement croissant. Cette situation a exacerbé la vulnérabilité liée à la dette de l’ensemble du continent.

Par ailleurs, des chocs exogènes récurrents et concomitants, notamment les pandémies, le changement climatique, les tensions géopolitiques et les conflits régionaux, ont érodé la productivité économique et les acquis sociaux au cours des dernières décennies. Dans un scénario de statu quo, 9 des 10 personnes les plus pauvres de la planète se trouveront en Afrique à l’horizon 2030, et il faudra plus d’un siècle à de nombreux pays d’Afrique pour passer à un niveau de revenu plus élevé, se désolent les rédacteurs du document.

La communauté internationale reconnaît la nécessité de réformes et a entrepris plusieurs réformes de l’architecture financière mondiale afin de mobiliser davantage de ressources pour soutenir la transformation de l’Afrique, qui doit passer de secteurs à faible productivité à des secteurs à plus forte productivité. À la suite des recommandations du G-20, les banques multilatérales de développement mettent en œuvre un certain nombre de réformes de grande envergure, notamment les réformes du Cadre d’adéquation des fonds propres du G-20, le triple agenda destiné à rendre les banques multilatérales de développement plus grandes, plus audacieuses et meilleures, la libération des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI et l’accord du conseil d’administration du FMI pour allouer jusqu’à 15 milliards de ses DTS par l’intermédiaire des banques multilatérales de développement régionales pour être utilisés comme capital hybride. Ces initiatives et d’autres, y compris plusieurs formes d’optimisation du bilan et d’innovations financières, sont destinées à aider les banques multilatérales de développement à augmenter les ressources concessionnelles à faible coût en faveur des pays en développement (voir les Perspectives économiques en Afrique 2024).

« Quand bien même ces initiatives constituent des évolutions positives, elles ne permettront pas de combler le déficit de financement de l’Afrique, estimé à 402,2 milliards de dollars par an, pour accélérer la transformation structurelle. Selon les Perspectives économiques en Afrique 2024, les ressources obtenues grâce à ces réformes proposées devraient couvrir environ 42 % du déficit de financement estimé pour la seule transformation structurelle. L’Afrique a besoin de plus de 1,3 billion de dollars pour atteindre les objectifs de développement durable, de 68 à 108 milliards de dollars par an pour le financement des infrastructures et de 242,4 milliards de dollars par an pour le financement de la lutte contre le changement climatique jusqu’en 2050, et plus encore. En résumé, la réforme en cours de l’architecture financière mondiale n’est pas la panacée pour la mobilisation des ressources visant à relever les défis du développement structurel de l’Afrique ».

Besoins énormes, ressources internes insuffisamment exploitées

Et pourtant, les ressources financières domestiques dont dispose le continent sont abondantes voire prodigieuses pour certaines.

Le potentiel de ressources financières de l’Afrique est énorme. Cela confirme que le continent dispose de moyens pour financer son propre développement, si les politiques et les réformes adéquates sont mises en œuvre de manière cohérente, reconnaît la BAD, qui les liste comme suit :

Tout d’abord, le potentiel de ressources des fonds souverains africains est énorme. En 2020, l’ensemble des actifs gérés par 13 fonds souverains africains était estimé à 24 milliards de dollars. Avec des politiques appropriées, ces ressources sont susceptibles de croître dans les années à venir, générant des capitaux indispensables au financement du développement du continent.

Deuxièmement, l’Afrique a l’un des taux d’épargne les plus faibles du monde en développement, avec un taux d’épargne domestique moyen de 20 % pour la période 2010-2020, nettement inférieur à 35 % et 28 % pour l’Asie de l’Est et le Pacifique et l’Asie du Sud, respectivement. Cela signifie qu’il est possible d’améliorer l’épargne intérieure si des réformes appropriées sont mises en place pour renforcer les marchés financiers nationaux.

Troisièmement, l’Afrique dispose d’actifs de fonds de pension publics qui augmentent rapidement et qui, s’ils sont pleinement exploités, pourraient fournir des ressources vitales pour le financement du développement. À titre d’exemple, les actifs gérés par les fonds de pension s’élevaient à 676 milliards de dollars en 2017.

Quatrièmement, les envois de fonds de la diaspora du continent sont passés de 67 milliards de dollars en 2016 à 96 milliards de dollars en 2022. Les envois de fonds sont actuellement la source de financement externe la plus importante et la plus stable en Afrique, représentant une contribution significative des Africains au financement du développement de l’Afrique. La contribution de la diaspora africaine au financement du développement a été reconnue par l’Union africaine comme sa « sixième région ».

Tirer parti de la résilience et de la stabilité relative des flux d’envois de fonds vers le continent grâce à la titrisation, permettra de mobiliser des financements supplémentaires pour les infrastructures et la transformation structurelle. Certains pays – l’Éthiopie et le Nigeria – mobilisent des capitaux pour des infrastructures essentielles en émettant des obligations de la diaspora. Dans les deux cas, la demande a été forte, ce qui montre l’intérêt de la diaspora africaine à contribuer au développement, tout en bénéficiant d’un retour sur investissement. Cet intérêt laisse également penser que les transferts de fonds peuvent être transformés en investissements productifs plutôt que d’être simplement utilisés à des fins de consommation.

Cinquièmement, environ 90 milliards de dollars quittent le continent chaque année sous la forme de flux financiers illicites et 29 milliards de dollars supplémentaires sont volés au continent chaque année dans le cadre de l’exploitation forestière illégale, de la pêche et du commerce des espèces sauvages.

Il est donc essentiel de lutter contre les flux financiers illicites et le vol de ressources pour conserver les capitaux à l’intérieur du continent et contribuer ainsi à relever les défis du développement de l’Afrique.

Le vol de ressources ne se limite pas aux flux financiers illicites. Les grandes entreprises multinationales contribuent aux fuites en transférant leurs bénéfices à l’étranger, ce qui coûte 275 milliards de dollars par an au continent. En outre, on estime que la corruption coûte au continent environ 148 milliards de dollars par an.

Si les politiques appropriées sont mises en œuvre pour stopper ces fuites, le continent sera en mesure de conserver d’importantes ressources nationales pour la transformation structurelle de ses États membres, et donc de mieux tirer parti des ressources supplémentaires mobilisées par le biais d’apports extérieurs sous forme d’investissements directs étrangers, de flux nets de portefeuille, d’aide au développement, etc.

Trois grands défis

Le premier défi du nouveau président sera donc d’écrire une nouvelle histoire du financement du développement africain avec une vision privilégiant la mobilisation efficiente des ressources financières africaines pour minorer le recours aux ressources extérieures dont le coût et le service de la dette constituent des boulets pour les pays africains.

Le deuxième grand défi du président élu le 29 mai, sera de connecter véritablement la Banque aux aspirations d’une population africaine constituée en majorité de jeunes et de jeunes au chômage. Plus de 13 millions de jeunes Africains arrivent chaque année sur le marché du travail qui n’a pas la capacité d’en absorber ne serait-ce que le quart ! Alors qu’un habitant sur 5 dans le monde sera africain en 2050, c’est-à-dire dans seulement 25 ans, il est urgent d’adopter les politiques publiques idoines pour transformer la croissance démographique africaine en dividende pour accélérer le développement et le bien-être économique et social sur le continent.

Le troisième grand défi pour la BAD des prochaines années, sera de pouvoir répondre aux défis énergétiques, climatiques et industriels, aux problématiques de gouvernance par des solutions africaines. Le nouveau président doit pouvoir être un catalyseur de solutions africaines nouvelles pour tourner définitivement la page du psittacisme et des vraies fausses solutions clefs en main élaborées ailleurs et qui sont responsables, en grande partie, du sous-développement africain. De ce point de vue, il ne s’agira plus simplement de lutter contre la pauvreté, mais de bâtir la prospérité africaine, avec le concours de toutes les bonnes volontés.



Le 29/05/25 à 13:09
modifié 29/05/25 à 16:31