Candidature à la présidence de la Bad/Amadou Hott: "L’autonomie de l’Afrique sera une priorité de mon mandat"

Amadou Hott, candidat déclaré à la présidence du Groupe de la Banque africaine du développement. (Ph: Dr)
Amadou Hott, candidat déclaré à la présidence du Groupe de la Banque africaine du développement. (Ph: Dr)
Amadou Hott, candidat déclaré à la présidence du Groupe de la Banque africaine du développement. (Ph: Dr)

Candidature à la présidence de la Bad/Amadou Hott: "L’autonomie de l’Afrique sera une priorité de mon mandat"

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Le 27/05/25 à 10:38
modifié 27/05/25 à 13:40
L'ancien vice-président de la Bad lève un coin de voile sur ses ambitions pour l'institution panafricaine.
Qu’est-ce qui motive votre candidature à la présidence de la Banque Africaine de Développement ?

Premièrement, mes origines. Je suis issu de Yeumbeul, l’une des communes les plus modestes de Dakar, capitale du Sénégal. Mes parents ne sont jamais allés à l’école. Ma mère était femme au foyer, et mon père était chauffeur de camions. Cependant, ils croyaient fermement à l’importance de l’éducation, de l’effort et des opportunités. Cela m’a motivé, cela a alimenté ma passion pour l’impact social et m’a accompagné tout au long de ma carrière de 25 ans dans la finance dédiée à l’Afrique. Je me présente parce que je crois que l’Afrique a le potentiel de générer des opportunités illimitées, particulièrement pour les jeunes et les femmes, grâce à l’intégration régionale et aux investissements ciblés notamment dans l'éducation et le développement des compétences.

Deuxièmement, mon sens du devoir. L’Afrique navigue dans un paysage mondial de plus en plus complexe. Le modèle de développement traditionnel évolue. L’aide internationale diminue. Notre continent ne peut pas se permettre de ralentir sa croissance. Par conséquent le mode de fonctionnement de la Banque africaine de développement doit évoluer dans un court terme afin de s’adapter au contexte économique mondial. La Banque doit évoluer vers une institution plus agile, plus innovante, plus efficace et plus autonome qui exploite les ressources intrinsèques du continent.

Je souhaite diriger la Banque dans une nouvelle ère, avec encore plus de résultats et durant laquelle la Banque devient l’architecte principal de la conception de la propre stratégie de croissance de l’Afrique.

Maintenant plus que jamais, je crois que la Banque a besoin d’un leader qui est à la fois techniquement compétent et politiquement astucieux, un bâtisseur de coalitions qui comprend profondément les défis et opportunités africains et mondiaux tout en étant familier avec le mode de fonctionnement de la Banque, car il n’y a pas de temps à perdre. Je crois que je suis la personne adéquate pour mener à bien ces transformations.

Nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre que d'autres nous montrent la voie. L'avenir de l'Afrique ne reposera pas seulement sur le soutien extérieur, mais sur nos propres richesses, nos talents et notre capacité à structurer des opportunités à grande échelle. Nous devons investir dans le capital humain. Nous devons financer des infrastructures dans les secteurs de l’énergie, l’industrie et l'agriculture. Nous devons mieux exploiter l'épargne domestique et les contributions financières de la diaspora. La Banque doit jouer un rôle majeur et être au centre de la mise en œuvre de ces initiatives. Je suis motivé et prêt pour cette mission.

En quoi vos expériences antérieures vous préparent-elle à diriger efficacement la Bad ?

Au cours des 25 dernières années, j’ai eu le privilège de servir l’Afrique à travers des postes de direction dans les secteurs public et privé, aux niveaux national, continental et international, et au sein d’institutions étatiques et financières.

Ce parcours m’a donné une compréhension large des freins à la croissance, des facteurs clés de succès et des actions à mettre en œuvre pour concrétiser une vision.

J’ai commencé ma carrière dans la finance internationale, travaillant dans les principales places financières mondiales, de New York à Londres, en passant par Dubaï, et Lagos, où j’ai occupé la fonction de Directeur Général d’UBA Capital en début 2009, devenu maintenant United Capital. En seulement deux ans, nous avons construit l’une des banques d’investissement les plus crédibles du continent.

Cette expérience m’a permis de mobiliser des milliards de dollars pour les gouvernements africains et les acteurs du secteur privé, et de développer des outils pratiques pour soutenir la transformation de l’Afrique à grande échelle.

Poussé par le désir de servir, je suis retourné au Sénégal et j’ai conduit la création du fonds souverain du pays, FONSIS. De la note de concept à l’élaboration de la loi FONSIS, au recrutement des équipes et la mise en œuvre du projet en tant que premier DG. Il est rapidement devenu une référence panafricaine en matière de financement des infrastructures prioritaires stratégiques à travers des partenariats public-privé avec des capitaux domestiques et internationaux.

J’ai ensuite été le premier Vice-président du Complexe Énergie, Changement climatique et Croissance verte au sein de la Banque africaine de développement. Dans ce rôle, avec une équipe très performante, nous avons plus que doublé les opérations du guichet privé de la Banque dans le secteur de l’énergie en moins de deux ans. Ce fut une période déterminante qui a démontré comment la Banque pouvait agir avec rapidité, ambition et envergure.

Mon expérience à la Banque me donne un avantage unique : je connais l’institution et son mode de fonctionnement, ce qui signifie que je serai prêt dès ma nomination pour mener à bien la mission. J’ai aussi une compréhension profonde des réformes dont la banque a besoin pour jouer un rôle clé dans la transformation économique de l’Afrique en ces temps difficiles.

Cette expérience m’a ensuite amené à servir comme ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération du Sénégal pendant la crise de COVID-19.

Durant cette période hautement difficile pour notre économie, j’ai piloté les réformes de partenariat public-privé et coordonné les engagements économiques internationaux du Sénégal, incluant la représentation de l’Afrique au G7, G20, J’ai co-présidé le comité directeur du Sommet de Paris pour le financement des économies africaines en mai 2021. Ces expériences ont contribué à façonner ma capacité à être un bâtisseur de coalitions, quelqu’un qui peut amplifier la voix de l’Afrique au plus haut niveau.

Chacun de ces chapitres de ma carrière a façonné mon leadership, mon sens des partenariats et ma capacité à atteindre des objectifs fixés. Ils m’ont également préparé à servir avec clarté, crédibilité, et engagement pour une transformation positive du continent africain. Cette expérience publique, privée et de la banque de développement n’est pas de la théorie mais du vécu profond et palpable.

Quelle est votre vision stratégique pour la Bad au cours des cinq prochaines années ?

Nous vivons une époque sans précédent, caractérisée par des tensions économiques et géopolitiques. Alors que de nombreux pays réduisent les budgets alloués à l’aide pour le développement, l’Afrique fait face à une opportunité formidable : atteindre son plein potentiel avec ses propres ressources.

Ma vision pour la Banque africaine de développement est d’en faire le moteur de la transformation de l’Afrique. La Banque doit jouer un rôle central dans la construction d’un continent plus intégré et autonome qui crée suffisamment d’emplois de qualité et d’opportunités économiques pour ses populations, spécialement les jeunes et les femmes.

Pour y parvenir, la première étape est de moderniser l’institution. La Banque doit devenir plus agile, plus efficace, et plus impactante dans son mode de fonctionnement. Cela signifie moderniser et rationaliser les processus internes, s’assurer que les équipes sont le plus possible réorientées dans les opérations, améliorer les délais de traitement des dossiers, et exécuter de manière efficiente les projets transformateurs prioritaires alignés avec les besoins de développement à travers des indicateurs de suivi des résultats.

Également, nous devons renforcer la capacité financière de la Banque. Nous maintiendrons sa notation de crédit de premier plan tout en débloquant de nouvelles sources de financement. Cela inclut la levée de capitaux hybrides auprès de certains actionnaires en mesure de contribuer du cash ou des Droits de Tirage Spéciaux, ou auprès d’investisseurs institutionnels ou des philanthropes. Nous augmenterons aussi l’utilisation des garanties et des outils de transfert de risque, et étendrons les mécanismes de cofinancement et de syndication. Nous optimiserons également de façon graduelle les capitaux du Fonds africain de développement en recourant à des emprunts sur le marché, tout en garantissant une viabilité financière solide de cet important instrument dédié aux 37 pays africains ayant le plus faible revenu.

Enfin, la Banque doit continuer à plaider en faveur de l’Afrique pour la mise en œuvre des réformes du système financier international.

Nous renforcerons les partenariats stratégiques au sein de l’écosystème des partenaires financiers de développement. Cela inclut de travailler plus étroitement avec d’autres banques de développement multilatérales, les institutions de développement régional, les investisseurs privés, et les organisations philanthropiques pour mobiliser des ressources plus importantes et cocréer des outils de financement adaptés aux besoins de l’Afrique. Ainsi la mise en œuvre dans les meilleurs délais de l’initiative phare Mission300 visant à donner l’accès à l’énergie à 300 millions de personnes en cinq ans et lancée par la BAD, la Banque mondiale et la Fondation Rockefeller seront une grande priorité pour moi si je suis élu Président. Mon expérience pertinente et avérée d’ancien Vice-Président inaugural du Complexe Energie et Climat de la BAD me positionne vraiment pour co-diriger avec efficacité cet ambitieux projet.

Quelle place l’esprit « du développement de l’Afrique par et pour les Africains » qui a prévalu lors de la 12ème édition du Africa CEO Forum occupe-t-il dans votre projet ?

L’autonomie de l’Afrique sera une priorité de mon mandat, en mobilisant plus de ressources nationales en aidant les pays à mieux collecter des recettes et grâce au développement des marchés de capitaux locaux. Il est essentiel d’accompagner certains pays à élargir leur assiette fiscale et d’autres à ajuster leurs taux d’imposition, tout en luttant contre les flux financiers illicites. Par exemple : le ratio recettes fiscales/PIB de l’Afrique s’élève à 15 %, contre 25 % en Amérique latine et une augmentation de seulement 5 points de pourcentage de ce ratio pourrait générer 200 milliards de dollars de recettes publiques supplémentaires par an avec des impacts considérables. Un autre domaine sur lequel je voudrais me concentrer est le renforcement du soutien aux marchés de capitaux locaux et régionaux afin de mobiliser plus de ressources, ce qui représente environ 4 500 milliards de dollars détenus par des investisseurs institutionnels africains et des fortunes privées. Cela aura un impact considérable sur les devises étrangères et la vulnérabilité de la dette. Nous devons également élargir le bilan de la Banque et optimiser les ressources du Fonds Africain de Développement afin que les pays aient accès à plus de ressources concessionnelles et aient moins recours aux prêts commerciaux coûteux, en créant une plateforme mixte de garanties et de capitaux hybrides provenant de certains actionnaires, philanthropes et autres acteurs.

La Banque doit aider les gouvernements à stimuler la participation du secteur privé, notamment via le soutien à l’entreprenariat et les PPP, pour réduire les garanties souveraines et la dette, surtout dans les pays très endettés. Cela exige des réformes ambitieuses, un meilleur climat des affaires, des plateformes administratives numériques, une meilleure préparation des projets et une assistance technique accrue.

Comment la Banque peut-elle mieux collaborer avec le secteur privé pour mobiliser davantage d’investissements ?

La transformation économique de l’Afrique nécessite un fort engagement du secteur privé. Les entreprises doivent contribuer à la croissance inclusive à travers la création d’emplois, le développement des chaînes de valeur locales, et l’émergence des compétences. La Banque doit jouer un rôle de catalyseur pour permettre aux entreprises de contribuer positivement à cette transformation économique du continent.

Pour accroître l’investissement privé, la Banque doit devenir un partenaire plus fort pour les investisseurs et les gouvernements. Cela signifie de mettre en place les conditions favorables permettant d'accroître les investissements privés.

L’une des étapes les plus importantes sera de mettre en place un dispositif de préparation des projets. Une conception de projet optimale signifie moins de risque pour l’investisseur et une exécution plus rapide. La Banque doit travailler plus étroitement avec les gouvernements pour développer un pipeline d’opportunités bancables, attractives pour le secteur privé et prêtes à l’investissement qui sont alignées avec les objectifs de développement national.

Je prévois aussi de convertir une des vice-présidences en une vice-présidence dédiée aux opérations du secteur privé. Sa mission ira au-delà du financement. Ce complexe dirigera les stratégies de co-investissement, en collaboration avec les gouvernements sur des réformes audacieuses qui améliorent l’environnement des affaires, et s’associera avec des structures crédibles pour étendre l’accès au capital pour les entrepreneurs et les PME. Cette organisation nous aidera à adopter une approche systématique qui soutient la croissance du secteur privé à travers les secteurs et les régions.

La Banque doit aussi renforcer son rôle comme plateforme de confiance pour l’investissement structuré et dérisqué à travers l’Afrique. Cela inclut un usage plus efficace des garanties, des outils de co-financement, tout en accompagnant les investisseurs. Car ces derniers ne cherchent pas seulement la rentabilité mais aussi de la clarté, de la fiabilité, et un partenariat stable.

En conclusion, la Banque doit devenir l’endroit où les secteurs public et privé se rassemblent pour résoudre les plus grands défis de développement de l’Afrique. Nous ferons cela en étant présents, proactifs, et concentrés sur les résultats car quand la Banque met en œuvre des projets et réformes, elle instaure un climat de confiance avec ses partenaires. Cela est fondamental pour une meilleure émergence du capital humain et financier du continent.

Interview réalisée par Didier ASSOUMOU


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Le 27/05/25 à 10:38
modifié 27/05/25 à 13:40