La chronique de Venance Konan: Réparer un pays

Ph:DR
Ph:DR
Ph:DR

La chronique de Venance Konan: Réparer un pays

Le 24/10/23 à 15:30
modifié 24/10/23 à 15:30
J’aime beaucoup le sourire du docteur Denis Mukwege. Je me dis toujours que ce doux sourire est de ceux qui suffisent à donner de l’espoir à toutes ces femmes violées, meurtries dans leur chair dont son pays regorge.

Né à Bukavu, dans la République démocratique du Congo en 1955, Denis Mukwege étudie la médecine au Burundi, en France et en Belgique. Son doctorat en poche, il choisit de retourner dans son pays, en 1989 et devient le directeur de l’hôpital de Lemera. En 1996, lors de la première guerre du Congo, son hôpital est détruit et lui-même échappe de justesse à la mort. Il se réfugie quelque temps à Nairobi, puis revient dans son pays et fonde l’hôpital de Panzi, à Bukavu.

Depuis 1996, la guerre ne s’est pas vraiment arrêtée dans l’Est du Congo et le viol est utilisé comme arme de guerre par toutes les factions. Les violeurs ne se contentent pas de violer leurs victimes. Ils mutilent aussi atrocement leur sexe. Et ce sont des femmes, des jeunes filles, des enfants, parfois des bébés ou des vieilles femmes complètement détruites que le docteur Mukwege voit défiler dans son hôpital. Il se spécialise dans leur prise en charge en leur apportant une aide médicale, mais aussi psychique, économique et juridique. Il fait connaître au monde entier ce que subissent les femmes dans cette partie de son pays et on le surnomme « l’homme qui répare les femmes. »

En 2012, le docteur Mukwege est agressé en plein centre de Bukavu. Le gardien de sa maison est abattu, sa voiture incendiée et lui-même ligoté. C’est grâce à l’aide de ses voisins qui sont venus à son secours qu’il a la vie sauve. Il se réfugie en Belgique pendant quelque temps et revient dans son pays, dans son hôpital. Il officie aussi comme pasteur évangélique. Il reçoit régulièrement des menaces de mort, au point que le président de son pays a décidé d’assurer sa sécurité.

Denis Mukwege a reçu plusieurs prix parmi lesquels celui des droits de l’homme de la République française, le prix Olof Palme, celui des droits de l’homme des Nations unies, le prix de la fondation Clinton, le prix international Roi Baudouin pour le développement, le grand prix de la fondation Chirac pour la prévention des conflits, le prix Sakharov remis au Parlement européen lors d’une séance solennelle, le prix Nobel de la paix. Il est, en outre, docteur honoris causa d’une bonne quinzaine d’universités parmi les plus prestigieuses à travers le monde.

Son action en faveur des femmes violées a fait l’objet de deux films, plusieurs livres et, en 2016, il fut classé 35e personnalité la plus influente du monde par le magazine Fortune.

Le docteur Denis Mukwege a décidé de se porter candidat à la présidence de son pays, la République démocratique du Congo. Que veut-il aller chercher dans cette galère ? Je comprends parfaitement qu’il soit ulcéré par l’état de déliquescence dans lequel se trouve son pays. Je comprends que les horreurs qu’il voit tous les jours et l’impuissance de son gouvernement le révoltent.

Mais de là à vouloir être le président de ce pays devenu sauvage, je me disais qu’il y a un pas à ne pas franchir. Mais après tout, les grands présidents de ce monde n’ont pas toujours été des politiciens professionnels. Il arrive qu’il surgisse, ici et là, au moment où l’on s’y attend le moins, des hommes et des femmes providentiels qui viennent sauver leur pays. Mais ce qui arrive le plus souvent, c’est que des hommes et des femmes qui excellaient dans un domaine donné et qui deviennent célèbres prennent la grosse tête et se mettent à rêver d’endosser un costume qui est trop grand pour eux.

Et j’ai bien peur que le costume de président de la République démocratique du Congo ne soit trop grand pour le docteur Denis Mukwege. Non pas qu’il ne soit pas suffisamment futé pour diriger un tel pays, mais je crains qu’il ne soit pas assez retors et cynique pour faire face aux grands bandits qui se trouvent au sein de la classe politique congolaise.

Je lui souhaite néanmoins bonne chance, même si j’ai un peu de tristesse quelque part.


Le 24/10/23 à 15:30
modifié 24/10/23 à 15:30