J’ai entendu siffler le train

Train

J’ai entendu siffler le train

Le 21/10/23 à 06:58
modifié 21/10/23 à 06:58
J’avais passé la nuit à Djassémé, au bord du lac Togo, à une dizaine de kilomètres d’Aneho, la première capitale du Togo au temps colonial, chez mon ami Kossi Assou.

Et au petit matin, aux environs de cinq heures, j’ai entendu un train siffler.

Plus tard, mon hôte m’expliqua que ce train allait chercher le phosphate dont le Togo est l’un des grands producteurs africains, dans une mine située dans les environs, pour l’envoyer au port.

Il y avait si longtemps que je n’avais pas entendu un train siffler. Et cela me ramena loin dans mon enfance. Je vivais à Dimbokro et nous n’allions jamais à Abidjan ou à Bouaké que par le train. J’avais à cette époque retenu les noms de toutes les gares entre Abidjan et Bouaké.

Ma mémoire est-elle encore bonne ? Essayons, sans tricher : Treichville, Plateau, Adjamé, Abobo, Anyama, Agboville, Cechi, Rubino, Anoumaba, Tiémélékro, Dimbokro, Boli, Bouaké. Que sont devenues toutes ces gares ? Que sont devenues toutes ces villes, tous ces villages qui n’existaient que par rapport au train. Que seraient devenues Agboville, Dimbokro et Bouaké sans leurs gares, sans le train ? Qui aurait connu les noms de localités telles que Cechi, Anoumaba ou Tiémélékro sans le train ?

Le train a joué un rôle très important dans la construction de nos pays.

Déjà, la construction du chemin de fer ne fut pas une mince affaire.

On appelait notre ligne de chemin de fer la « Régie Abidjan Niger » (Ran). Le premier coup de pioche pour la construction de cette ligne de chemin de fer fut donné le 11 janvier 1904. La gare de Bouaké fut inaugurée le 15 mars 1912. Il fallut faire venir des milliers de personnes, notamment du Nord du pays qui allait à cette époque jusqu’à Ouagadougou, pour sa construction.

Et les hommes moururent par milliers, tellement le travail était dur.

Sa construction allait aussi de pair avec ce que l’on appelait la « pacification » du pays, c’est-à-dire la mise au pas des populations qui s’opposaient à la colonisation. Il y eut la révolte des Abbey, avec l’assassinat du Français Rubino, dont une ville porte aujourd’hui le nom et qui, dit-on, fut mangé par les insurgés, et aussi celle des Agba de Dimbokro.

Au Congo, la construction de la ligne de chemin de fer appelée Congo-Océan qui relie Pointe-Noire à Brazzaville provoqua une véritable hécatombe au sein des populations, qui fut très bien décrite par Albert Londres dans son livre « terre d’ébène ».

Les Congolais moururent tellement que l’on dut aller jusqu’en Centrafrique, au Cameroun et au Tchad pour trouver des bras valides pour travailler sur le chantier.

Chez nous, la ligne Abidjan-Niger n’alla pas au-delà de Ouagadougou au moment où nous prenions nos indépendances.

Cela ne nous empêcha pas de garder pendant longtemps le nom « Régie Abidjan Niger ».

Et depuis l’indépendance, nous n’avons pas pu ajouter un seul mètre sur ce que les colons nous avaient laissé. Thomas Sankara, en son temps, tenta de prolonger la ligne mais il n’alla pas très loin. Jusqu’à présent, l’un des plus grands hôtels de Bouaké, aujourd’hui quelque peu décrépi, s’appelle toujours « Ran-Hôtel.» Le train contribua pendant longtemps à faire circuler les populations et les marchandises.

En 1981, mes amis Désiré Gaudji, Yaya Pognon et moi empruntâmes le train pour nous rendre en Haute-Volta pour la première fois. Dans les années 1990, nous eûmes deux trains de luxe, parce que climatisés, et à grande vitesse baptisés «Bélier» et «Gazelle».

Ils étaient rapides parce qu’ils ne s’arrêtaient pas dans les petites gares telles que celles de Céchi, ou Tiémélékro. J’en ai pris un, une fois, pour faire un reportage. Je voulais aller jusqu’à Ferkessédougou pour raconter le voyage, mais le train s’arrêta à Katiola. Il y eut un problème sur les rails et nous ne pûmes pas aller plus loin.

C’est la dernière fois que j’ai pris le train en Côte d’Ivoire. On parla pendant longtemps de ce train qui devait transporter le fer du mont Klaodio dans l’Ouest montagneux vers le port de San Pedro.

On ne fit qu’en parler. La Ran est devenue Sitarail. Le train siffle-t-il encore dans notre pays ? J’ai entendu siffler le train de Djassémé et il a réveillé tant de souvenirs en moi, tant de nostalgie.


Le 21/10/23 à 06:58
modifié 21/10/23 à 06:58