Gal Ouassenan: "J'étais au combat lorsque j'ai été appelé"

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Gal Ouassenan: "J'étais au combat lorsque j'ai été appelé"

Le 11/08/23 à 10:27
modifié 11/08/23 à 10:36
Vous avez été l’officier qui, le jour de la proclamation de l’indépendance, a fait descendre le drapeau français et monter celui de la Côte d’ivoire. Pourquoi, de tous les soldats, c’est vous qui avez été commis à cette tâche ?
Parce que j’étais le plus jeune officier ivoirien. Comme vous le savez certainement, dans l’armée, le plus jeune est toujours le corvéable. C’est ainsi que cette tâche incombait au plus jeune que j'étais.
Pour une corvée, ce fut la plus noble et la plus illustre ...
Complètement ! Descendre le drapeau de la colonisation et monter le drapeau de son pays, drapeau qui deviendra le drapeau national, c’était évidemment, un honneur.

A l’époque, l’armée, c’était quoi ? C’était combien de troupes par exemple ?

A l’époque, il n’y avait pas d’armée ivoirienne. Nous étions dans l’armée française. C’est un an après l'indépendance qu’il y a eu le transfert des soldats ivoiriens à l’armée ivoirienne qu’on venait de créer. C’est donc en tant que officier français que j’ai eu à accomplir cette tâche. Si je n’étais pas officier français, je n’aurais pas pu descendre le drapeau français.

J’imagine qu’être officier à l’époque, ça ne courrait pas les rues ?

Bien sûr que non, ça ne courrait pas effectivement les rues en ce sens que la France avait retenu la leçon de l‘histoire.

C’est-à-dire ?
C’est-à-dire que toute colonisation se termine toujours par une décolonisation. Jusqu’au président Houphouët-Boigny, la décolonisation se faisait par une révolte du colonisé vis-à-vis du colonisateur. Les exemples abondent en la matière. Il y a eu la guerre de la Gaule contre Rome, puis la guerre d’Indochine, la guerre du Vietnam, la guerre d’Algérie et même la guerre d’indépendance des États-Unis.
Toutes ces guerres, ce sont les colonisés qui se révoltaient contre le colonisateur à un moment donné de l’histoire. En Côte d’Ivoire, le président Houphouët a estimé qu’on pouvait rester en amitié avec le colonisateur et continuer de coopérer. Il a préféré demander une indépendance négociée pour que notre pays continue de travailler avec la France. C’est ainsi qu’est née la coopération franco-africaine.
Le président Houphouët était le président du Rassemblement démocratique africain (Rda) qui avait été créé par lui à Bamako. Chaque territoire avait sa section du Rda. Chez nous, c’était le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) affilié au Rda. En Guinée, vous aviez le Parti démocratique de Guinée (Pdg). Au Gabon, vous aviez un autre Pdg, le parti démocratique du Gabon. Si vous prenez tous les territoires francophones, chacun avait une section qui portait la particularité du pays. En janvier 1956, le Rda a gagné les élections dans tous les territoires africains sauf au Sénégal où les partis du président Lamine Gueye et du président Senghor avaient remporté ces scrutins. Comme c’était la proportionnelle qui était à l’époque en vigueur en France, le président du conseil du gouvernement, aujourd’hui, on dirait le premier ministre, s’est trouvé contraint de prendre le président du Rda comme ministre dans le gouvernement français. C’est ainsi que, pour la première fois, un noir est rentré dans le gouvernement français comme ministre plein.


Et il s’agissait du président Félix Houphouët-Boigny...

Il s’agissait bel et bien du président Félix Houphouët-Boigny.

Il est rentré en qualité de ministre de la Santé ?
Non, c’est après qu’il le sera. Il a été plusieurs fois ministre. Pour la première fois, il était rentré au gouvernement comme ministre délégué à la présidence du conseil. Devenu ministre délégué de la présidence du conseil, il savait que la Côte d’Ivoire et les autres territoires prendront leur indépendance vis-à-vis de la France eu égard à l’évolution du monde. A l’époque, on ne parlait pas encore d’indépendance. On parlait plutôt d’autonomie interne. Devenue autonome, chaque territoire aurait eu son armée.
Il se trouve qu’avant 1956, la France acceptait que ses colonisés fassent toutes les études supérieures au niveau des jeunes sauf les études militaires. Aucun Africain n’avait le droit, à l’époque, d’entrer dans une grande école militaire. La Raison ? C’est ce que je viens d’évoquer.
La France n’allait pas apprendre la stratégie militaire à des gens qui allaient retourner cette stratégie contre elle ! C’est quand le député Houphouët devient ministre, qu’il demande au général de Gaulle, d’accepter que les grandes écoles militaires soient ouvertes aux Africains. Le Général donne son accord et des instructions pour que le ministre de la France d’outre-mer, Gaston Déferre présente un projet de loi permettant aux jeunes Africains d’entrer dans ces écoles. C’est la fameuse loi cadre de 1957. Lorsqu’elle entre vigueur, le président Houphouët envoie son second qu’était le député Muezzin Coulibaly dans les trois établissements de la Côte d‘Ivoire qui préparaient au baccalauréat.


Trois établissements seulement ?

Oui, c’était le lycée classique d’Abidjan, le lycée classique de Bingerville et le lycée 1 ou lycée classique de Bouaké. Le député s’est rendu dans ces trois établissements et s’est adressé aux promotions de seconde, de première et de terminale. Nous avons été réunis dans une salle et nous avons été informés que les grandes écoles françaises étaient désormais ouvertes aux Africains. Et qu’il serait bon que, parmi nous, certains acceptent d’aller dans ces écoles-là. Pour entrer dans ces grandes écoles, il fallait avoir le baccalauréat et réussir au concours.

C’est ainsi que vous avez postulé...

Non. Dans les conditions d’entrée, il y avait la partie intellectuelle mais il y avait aussi la partie physique : la taille. J’avais 18 ans environ à l’époque, donc plus mince. Je paraissais plus grand que les autres. Le député Ouézzin nous a dit : « nous aussi, nous avons besoin d’avoir nos généraux ». Nous étions assis en face de lui et moi j’étais assis dans un coin dans la salle. Il m’a désigné, en disant : « vous-là, levez-vous ». Je me suis levé. Il a dit : « vous le voyez, il ferait un bel officier. Il pourrait être parmi nos premiers généraux ». Dès que la rencontre s’est achevée, les élèves ont commencé à m’appeler le général.

Le signe du destin...

Sans doute. Du coup, ça m’a orienté. Après mon baccalauréat, j’ai présenté le concours. Admis, j’ai été envoyé dans une école, mais en Algérie. C’était la guerre d’Algérie à l’époque.

Pourquoi en Algérie ?

Parce que la France avait fait une synthèse de ses grandes écoles militaires. Elle avait installé cette grande école militaire spéciale en Algérie, à Cherchell, à 50 kilomètre à l’ouest d’Alger. Dans cette école, nous étions 300 élèves et j’étais le seul noir. La raison, c’est que c’était bien la première fois que l’école était ouverte aux Africains. Tous les camarades m’appelaient « le loup dans la bergerie ». A l’époque, c’était la mentalité coloniale et nous étions un peu considérés comme des sous-hommes. De sorte que certains gradés me taquinaient régulièrement en me demandant : « toi comprend français ? » Je répondais : « un peu un peu ».

Qu’est-ce que vous vous êtes dit ? Quelles sont les résolutions que vous vous êtes imposées pour aborder cette situation ?
Je me suis dit, à partir du moment où les gens me demandent si je parle français et autres choses, il fallait que je fasse un effort pour montrer que le noir a toutes les capacités morales et intellectuelles. C’est ainsi que, quoique ne connaissant personne en Algérie, je restais à l’école les week-ends avec ceux qui étaient consignés ou ceux qui étaient de service. De toute façon, je serais allé où ? Le dimanche matin, j’allais à la messe. Nous avions un emploi du temps. Je profitais du week-end pour étudier les leçons que nous allions apprendre la semaine qui venait. De la sorte, quand l’instructeur entamait la leçon, j’avais une longueur d’avance. Je posais des questions là où il y avait des points d’ombre. Ils ont remarqué et se sont dit : « il a l’esprit très ouvert et très vif ce garçon ». Évidemment, j’ai eu de bonnes notes.
A l’école, les élèves que nous étions ne devions voir le commandant de l’école que deux fois par an. La première fois, c’est quand il vient dans l’amphi pour souhaiter la bienvenue aux élèves. La deuxième fois, c’est quand il vient à l’amphi vous souhaiter bon voyage à votre départ de l’école. A notre grande surprise, le commandant décide de venir lui-même assister à la proclamation des résultats du premier trimestre.
Cela intriguait dans les rangs des instructeurs. Ils se demandaient pourquoi venait-il, là, alors qu’habituellement, il ne vient pas et il fait proclamer les résultats par le commandant en second dont c’est le rôle ? Toujours est-il que nous avons été conduits dans un amphi pour la proclamation des résultats. Le commandant arrive, il entre, son adjoint qui, en principe, devait proclamer les résultats, l’accueille, il nous ordonne : « à vos rangs, fixe ». Nous nous levons tous pour nous mettre en garde-à-vous. Il nous a parcourus du regard, d’un regard furibond. Il a l’air très fâché. Et d’un coup, il nous lance : « je ne suis pas contents de vous » ! Il me montre du doigt.
Et il dit : « vous le voyez, vos parents ont colonisé ses parents. Mais si eux, ils travaillent bien et que vous ne travaillez pas, eh bien, demain, ce sont eux qui vont vous coloniser. Il nous a réprimandés puis il est sorti. Pourquoi tout ça ? J’avais eu 18,24 sur 20 et mon poursuivant, c’est-à-dire le premier des petits blancs, avait 16 sur 20. Cela, le commandant ne pouvait pas l’accepter.
Au sortir de là, les petits blancs me disaient : « de toute façon pour que tu viennes ici, tu ne pouvais pas être un nullard ». Ce que j’ai apprécié, c’est que mes petits camarades ont plutôt montré une solidarité totale à mon égard. Nous sommes fin 1959, quand je finis ma formation. Je suis affecté à Paslestro. C’est la guerre d’Algérie. Nous étions en plein combat, en montagnes, lorsqu’un message a été envoyé disant que je devais, toute affaire cessante, prendre un hélico, pour regagner la ville Palestro car le commandant qui dirigeait la garnison de Palestro voulait me voir. De Palestro, je suis envoyé à Alger à la demande du général qui commandait toute l’armée en Algérie. C’était un général cinq étoiles.


Le 11/08/23 à 10:27
modifié 11/08/23 à 10:36