Adjamé Mirador, Renault, Bracodi...: On vole, on arnaque, on agresse... en toute indifférence ! (Reportage)

A pied ou en voiture, il faut redoubler de vigilance lors de la traversée de l'axe Mirador-Texaco.
A pied ou en voiture, il faut redoubler de vigilance lors de la traversée de l'axe Mirador-Texaco.
A pied ou en voiture, il faut redoubler de vigilance lors de la traversée de l'axe Mirador-Texaco.

Adjamé Mirador, Renault, Bracodi...: On vole, on arnaque, on agresse... en toute indifférence ! (Reportage)

Le 17/07/23 à 11:20
modifié 17/07/23 à 11:20
Les vols à la tire et autres agressions diverses prospèrent à Adjamé Mirador. La solidarité, elle, semble avoir quitté les rues, conséquence d'une peur entretenue par une mafia bien structurée.
Maurice A. n’oubliera pas cette journée cauchemardesque vécue à Adjamé Mirador. Il était 06 h ce jour-là, lorsque le conducteur du minicar (gbaka) qu’il a emprunté à Songon, à destination d’Adjamé-Renault, décide brusquement de déverser ses clients au niveau du feu Mirador. Seul maître à bord, le conducteur n’atteindra donc pas le carrefour Renault situé à deux cents mètres environ plus loin, comme convenu. Les passagers ont beau crier leur indignation, ils devront se résoudre à quitter le véhicule qui a déjà engagé la manœuvre pour rebrousser chemin. A peine Maurice a-t-il foulé le sol et effectué ses premiers pas qu’il est soudainement pris à partie par un groupe d’inconnus aux sombres intentions. « Je reçois un violent coup à la nuque, et le sac contenant l’ordinateur portable que je porte à l’épaule se retrouve aussitôt dans les mains de mes assaillants. Les coups pleuvent. Déstabilisé, j’ai dû me résigner à céder mon téléphone portable sous la menace d’armes blanches. Le forfait accompli, la bande a disparu dans les allées labyrinthiques du Black Market, située non loin, presque aussi soudainement qu’elle est apparue », raconte Maurice. Qui est surpris devant l’indifférence des nombreux témoins de cette scène d’une rare barbarie. En effet, des dizaines de magasins étaient déjà ouverts. De plus, plusieurs passants ainsi que des personnes présentes dans les gares, n’ont rien manqué du spectacle.

L’indifférence des témoins : « Ici, c’est chacun

pour soi »

Si vous avez déjà été victime ou témoin d’une agression ou d’un vol sur l’axe Renault-Mirador à Adjamé, vous avez certainement été sidéré par la sérénité affichée par ces filous dans l’accomplissement de leur forfait. Et vous avez peut-être aussi été interpellé par cette espèce de non-assistance flagrante, ce déni de solidarité, ce sentiment d’abandon des victimes à leur triste sort. Cette situation peut choquer, d’autant que, traditionnellement dans nos quartiers et nos rues, on s’est toujours mobilisé pour soutenir les personnes en danger. A la simple évocation du vocable «voleur !», on se ligue, par instinct, contre la menace. Mais ici, dans ce secteur de la commune d’Adjamé, vous devrez vous défendre tout seul. « Ici, c’est chacun pour soi. Si tu interviens, c’est toi-même qui payeras les frais. Souvent, ils ont des complices autour qui assistent à la scène. Plusieurs fois, des représailles ont été menées contre les commerçants et même des passants qui sont intervenus pour les empêcher d’agir. C’est vraiment très risqué », explique un riverain.

Un environnement anarchique qui fait le lit de l’insécurité

C’est un secret de polichinelle. Le secteur Adjamé Renault-Mirador est infesté de nombreux délinquants. Des filous passés maîtres dans l’art de l’arnaque, du vol à la tire et des agressions à l’arme blanche, perpétrées souvent en réunion. Une situation qui dure, et qui s’empire manifestement au fil des années. A tel point que de nombreuses personnes évitent cet endroit, ou ne l’empruntent qu’en cas d’absolue nécessité. Certains, par contre, n’ont pas vraiment le choix, ce tronçon s’impose à eux. De nombreuses gares et services y sont en effet installés. De plus, à cause de son accès sur des autoroutes et autres voies express, c’est un passage incontournable pour plusieurs lignes de transport en commun, notamment celles qui desservent les communes de Yopougon et d’Abobo. Cacophonie, anarchie, embouteillages... Ici on vend tout, on s’installe partout, on accoste tout le monde, on gare partout. Une confusion qui fait le lit de l’insécurité, notamment la commission de toutes formes d’agressions.

Selon des explications de commerçants qui y sont installés depuis longtemps, les cas de vols et autres agressions ne s’y comptent plus. Bijoux, montres, chaines, téléphones portables, portefeuille, en un mot, tout objet présentant de la valeur vous expose. Seuls ou en groupe, pour arriver à leur fin, ces voleurs disposent d’une large panoplie de méthodes et ne manquent pas d’imagination. «Ils évoluent souvent en groupe. Alors que certains, postés à des endroits stratégiques, obstruent des passages et vous contraignent inconsciemment à vous engouffrer dans de véritables pièges, d’autres vous y attendent et vous agressent tranquillement sous la menace d’armes blanches», expliquent des tenanciers de commerces installés dans la zone. Dans certains cas, un inconnu vous heurte violemment. C’est une astuce pour vous distraire. Alors que vous prêtez attention à lui, un autre quidam vous fait tranquillement la poche à votre insu. Outre le vol, l’arnaque aussi a gagné du terrain ici. «Si vous achetez un téléphone chez des vendeurs ambulants, vous avez toutes les chances de vous retrouver avec des coques vides», préviennent les riverains. Le danger qui gangrène cette rue s’est même propagé jusqu’au niveau de la cité Fairmont, en passant par le pont de la gare nord situé un peu plus haut.

Les occupants des gbaka, une cible prisée

«Bonsoir amis passagers. Faites attention à vos téléphones portables et à tous vos objets, surtout les passagers installés aux fenêtres. Il est préférable de les ranger, et de n’en faire usage qu’une fois arrivé à destination», peut-on entendre au démarrage du gbaka qui s’apprête à quitter la gare Texaco pour la commune de Yopougon. Cette mise en garde, tous les apprentis l’ont à la bouche et la ressassent au moment de quitter la gare. «C’est comme ça. On doit toujours donner ces consignes parce que c’est rageant de voir nos clients se faire voler par les vitres du véhicule à longueur de journée», explique le chauffeur de gbaka qui s’apprête à démarrer son moteur. En effet, les cas de vol à l’arrachée sont si courants que de nombreux transporteurs qui empruntent ce chemin ont décidé d’avertir leurs passagers avant chaque départ. C’est généralement les apprentis de ces minicars qui passent le message. Ils sont souvent aidés dans cette tâche par d’éventuels vendeurs à la criée, ayant pris place à bord dans l’espoir d’écouler quelques marchandises. Pour ces commerçants aussi, cet appel à la vigilance constitue une belle transition afin d’établir le contact avec les passagers en vue de présenter leurs articles. Un moment qu’ils agrémentent bien souvent avec des anecdotes retraçant avec humour, l’histoire de nombreuses victimes de ces vols à l’arrachée, spectaculaires. Mais si vous avez, malgré tout, oublié de prendre vos précautions, et que vous manipulez insouciamment votre téléphone à proximité des fenêtres du véhicule, ce sont bien vos voisins qui, en dernier ressort, vous interpelleront. «Mon frère, fais attention à ton téléphone là hein ! Ils sont très rapides. Ça va très vite», témoignent les uns et les autres. En effet, les personnes ayant été victimes de ces vols vous révèleront qu’elles n’ont rien vu venir. Véhicules de particuliers, véhicules de transport, piétons, personne n’échappe à la terreur imposée par ces hors-la-loi.

Audace et adresse dans

le mode opératoire !

Hasard heureux ou malheureux ? Nous avons été témoin d’un cas de vol lors de nos investigations. La scène s’est déroulée lorsque le minicar que nous avons emprunté a marqué un arrêt, à cause des embouteillages, à hauteur du feu Mirador. Les évènements se sont très vite enchainés. À peine avions-nous entendu le claquement soudain de la portière arrière du véhicule, que le passager assis dans le fond, a réalisé que son téléphone venait de disparaitre. «Han ! L’Afrique a un incroyable talent», s’est exclamée une passagère qui a visiblement suivi la scène. La victime de ce vol décoiffant, un monsieur visiblement autour de la quarantaine, s’est alors résolue à prendre en chasse son agresseur. S’extirpant du véhicule comme il l’a pu, il s’est engagé sur la piste de ce dernier sous les yeux indifférents d’un public ayant suivi la scène de bout en bout. «Mon frère, s’il te plait, il ne faut pas le suivre, il va te faire du mal dans un couloir», s’est exclamée une autre passagère. La scène fut subite...et l’exécution, d’une redoutable précision. Nous n’aurons plus de nouvelles de notre infortuné passager parti à la recherche de «son» voleur. Le chauffeur du minicar ayant tranquillement continué son trajet. C’est une scène de routine par ici, c’est un non-évènement, on ne s’attarde plus sur ces cas de vol. «Autrement, vu leur fréquence, on y passerait toute la journée au détriment des recettes que l’on doit absolument réaliser au quotidien», indique le conducteur. Avant de conclure : «C’est pour éviter cela qu’on prend le soin d’avertir les clients.» Le trajet vers Yopougon se poursuivra allègrement. Agrémenté par les multiples commentaires en lien avec ce fait divers. C’est aussi l’occasion pour certains passagers de partager des témoignages étonnants sur les nombreux cas de vols auxquels ils ont assisté en pratiquant ce trajet au quotidien.

La peur des représailles impose le silence

«On se connait tous ici, en détail. Quand on prend un voleur et qu’on l’envoie au poste, ce dernier se retrouve dehors dans l’heure qui suit», explique un commerçant qui exerce à Adjamé depuis de nombreuses années. «Cela nous expose à des représailles de la part de ces agresseurs qui sont très solidaires et organisés. Nos magasins, nos familles et tous nos biens sont à leur merci. Nous sommes exposés. Alors, nous sommes contraints de fermer les yeux sur beaucoup de situations par dépit», poursuit-il. «Quand on réussit à faire échouer un plan d’agression, ces bandits s’en prennent souvent directement à nous ou promettent de nous le faire payer.» Cette situation a contribué à faire prospérer le banditisme à Adjamé Mirador. Au point où les voleurs ne s’y cachent plus. «Il ne se passe pas un jour sans que des personnes n’en fassent les frais en toute impunité. C’est presque devenu un spectacle divertissant», regrette le propriétaire d’un magasin de vente d’appareils ménagers. Les opérateurs économiques, installés là, soutiennent même que cette situation est préjudiciable à leurs activités. «A partir de 17 h, nous n’avons plus de clients. Effectivement, une fois la nuit tombée, vaut mieux ne pas traîner par ici», confesse le responsable d’une compagnie de transport. Avant de poursuivre : «La situation s’est détériorée à un point où nous avons tenté, à plusieurs reprises, d’organiser nous-mêmes la sécurité de cet endroit en ayant recours à des jeunes. Mais cela a augmenté le taux de l’insécurité au lieu de le réduire.» .


Le 17/07/23 à 11:20
modifié 17/07/23 à 11:20