Environnement familial des marins : Hommes, femmes et enfants à l’épreuve des vagues de la vie

Une épouse de marin. (Ph: Dr)
Une épouse de marin. (Ph: Dr)
Une épouse de marin. (Ph: Dr)

Environnement familial des marins : Hommes, femmes et enfants à l’épreuve des vagues de la vie

Le 01/07/23 à 08:15
modifié 01/07/23 à 10:00
L'absence prolongée de leurs époux partis en mer, pour des raisons professionnelles, est parfois cause de vulnérabilité de la cellule familiale. Rencontre avec ces conjointes réduites à avoir pour compagnons la solitude et l'inquiétude.
Le sous-quartier Selmer-Gotam, dans la commune de Yopougon, grouille de monde. Les clameurs du marché d’à côté ravivent le souvenir du passé bruyant de ce quartier abritant une rue autrefois célèbre pour ses nombreux débits de boissons et bars : la rue-princesse. Mais, la joie que dégage ce quartier contraste avec la vie quelque peu solitaire de Mai Soumahoro, une vendeuse bien connue du quartier.

Épouse d’un marin souvent parti en mer pour son travail, elle a fini par s’habituer à ses longues absences. Pour s’occuper, la jeune femme vend des jus de fruit et des friandises qui font la joie de nombreux enfants.

Dans son magasin situé en face d’un immeuble, ''Mai'', comme l’appellent ses proches, affiche une mine gaie, malgré tout. « Mieux vaut faire envie que pitié », lance-t-elle, avec sourire. Vêtue d’une marinière à la couleur marron, elle se dirige dans son appartement, au deuxième étage au-dessus de son magasin.

Cet après-midi ensoleillé du 12 avril, il y avait des visiteurs chez elle : des cousins, oncles et tantes de son mari. « Ils sont venus saluer leur frère », susurre-t-elle. Cette chaleur, cette joie que lui procure cette visite de ses beaux-parents, cachent pourtant mal la difficile et douloureuse situation qu’elle vit depuis plusieurs années.

Mariée à V.S, un homme de mer, en fonction à la Marine nationale, Kady mène une vie de foyer différente de celle de la plupart des femmes, son époux étant souvent longtemps parti en mer pour des raisons professionnelles.

En effet, la Marine nationale a pour mission de sécuriser les eaux ivoiriennes, de lutter contre la piraterie maritime et la pêche illicite dans les eaux territoriales, dans cette bande d’espace maritime, placée sous l’entière souveraineté juridique de l’État de Côte d’Ivoire.

Selon les informations recueillies, c’est une tâche qui n’est pas de tout repos, et qui mobilise, nuit et jour, les marins, pendant cinq jours en mer, par semaine. Plus encore, ce temps de travail s’étend sur un à trois mois, dans le cadre des missions de coopération.

Des contraintes professionnelles qui, à en croire Kady, font que son mari n’a que peu de temps à consacrer à sa famille, mais surtout que sa présence physique au domicile conjugal devient une fête pour la famille et les proches.

En dehors de ces parenthèses heureuses, comment cette femme vit-elle ces longues absences de son époux ?

Ayant l’air quelque peu résignée, Kady affirme qu’elle s’est résolue à s’accommoder de cette singulière vie de couple qu’elle gère comme si de rien n’était. « Je m’y suis habituée ! Je me suis consacrée à mon petit commerce, et à mes enfants qui occupent mon temps », soupire-t-elle.

Malgré cette séparation momentanée, que lui impose le travail de son mari, cette mère de six enfants s’estime tout de même comblée d’avoir, en dix-huit-neuf ans de mariage, connu des maternités heureuses : « Nous avons six enfants. Au niveau de leur éducation, je fais de mon mieux quand il n’est pas présent », révèle-t-elle. Et d’ajouter : « Mon mari était absent à la naissance de notre sixième enfant. Il était au Maroc. Cette absence fut très difficile pour moi, mais j’ai eu le soutien de ma mère. À son retour, notre fils avait sept mois. »

En réalité, la présence physique du chef de famille manque aussi bien aux mères qu’aux enfants. Lesquels font contre mauvaise fortune bon cœur, en se rabattant sur les applications mobiles et autres plateformes permettant d'échanger des messages audio et des images vidéo via une connexion Internet, pour tenter de combler ce vide.

Kady avoue reconnaître que ces contacts virtuels, sans pour autant pallier l’absence du chef de famille, l’aident à supporter la solitude.

Kady Soumahoro n’est pas la seule femme à vivre cette situation que lui impose le métier qu’exerce son homme. D’autres épouses de gens de mer connaissent le même sort. C’est le cas de Thérèse Gbozé, devenue une veuve depuis 2013, et qui a cinq enfants.

La soixantaine révolue, cette femme vit aujourd’hui au quartier Camp militaire, dans la commune de Yopougon. Sage-femme de formation, elle est sans activité depuis qu’elle a fait valoir ses droits à la retraite.

Habitant une maison spacieuse, composée de quatre pièces, dont la vétusté est le fait d’un manque d’entretien, cette femme est loin d’avoir une vie mirobolante.

L’absence de son époux y serait-elle pour quelque chose ?

Mme Mamory. (Ph: Véronique Dadié)
Mme Mamory. (Ph: Véronique Dadié)



Probablement ! Assise dans son salon, sur un vieux fauteuil, elle se souvient de sa vie d’épouse de marin : « C’était dur ! C’était vraiment pénible ! », aime-t-elle à répéter avec insistance. Car, la présence prolongée de son conjoint en mer, quand il était encore vivant, lui enlevait la joie de vivre.

L’absence de l’homme à qui elle avait dit « oui » devant le maire, il y a plus de 30 ans, l’affligeait et attristait leur mariage qu’elle avait pourtant appelé de tous ses vœux et prières. « Chaque fois qu’il partait, j’étais inquiète à l’idée que quelque chose de grave lui arrive en mer. Et, cela me rendait triste. Je pleurais souvent », se souvient Thérèse Gbozé.

De plus, les longs séjours que passait le mari hors du foyer préoccupaient davantage cette femme, à cause de leurs enfants dont elle s’occupait quasiment seule : « C’était beaucoup plus compliqué quand je pensais aux cinq enfants que nous avons eus. Lorsque j’étais de garde, les enfants étaient souvent livrés à eux-mêmes, surtout quand les servantes s’absentaient sans prévenir », confie-t-elle, le regard rivé vers ce passé chargé de lourds souvenirs.

Contrairement à la famille Soumahoro, Thérèse n’avait pas de moyen de communication pour échanger avec son mari, de son vivant. « On échangeait sur le téléphone fixe, quand il descendait du bateau qui faisait escale dans une ville. Lorsque j’entendais sa voix, j’étais soulagée. Je lui envoyais aussi des photos des enfants », évoquait-elle.

Les expériences de vie vécue par les épouses de marins diffèrent les unes des autres. Dame Bamba Sigbigbê, commerçante et femme d’un marin à la retraite, en est un autre exemple. Du moins, à en croire son histoire : « Les longs temps d’absence de mon mari m’ont souvent fait douter de lui », confie-t-elle, tout d’un coup.

Elle rapporte, à cet égard, la visite-surprise qu’elle s’était une fois permise de lui faire sur son lieu de travail : « Un jour, je me suis rendue à la base navale (Ndlr : de Locodjro) pour m’assurer qu’il était vraiment en mer. Ses collègues, que j’ai trouvés sur place, m’ont confirmé qu’il y était bel et bien ».

Si sa belle-famille fut d’un grand soutien pour elle, ce n’est pas le cas pour son voisinage. Sous prétexte de compatir à sa solitude, des gens la poussaient à ouvrir plus grandement les yeux sur ces longs temps d’absence de son mari.

« Certaines personnes, souvent des voisines et voisins de quartier, se moquaient de moi. Elles me demandaient, avec une pointe d’ironie, si j’étais sûre que mon époux était vraiment en mer. Ce qui affectait quelque peu mon moral », confie Bamba Sigbigbê.

Les longues absences des époux (marins) constituent une cause de vulnérabilité de nombreux foyers. Mais, il n’est pas rare de trouver des familles où l’épouse est souvent absente. Ces situations suscitent des doutes chez leurs époux.

Une marinette (femme marin) que nous avons rencontré a accepté de s’ouvrir à nous sous le couvert de l’anonymat. « J’ai fait 50 jours en mer. Cela a créé des suspicions chez mon mari », fait-elle savoir avant de relater : « un jour, il m’a appelé à plusieurs reprises, je n’ai pas pu décrocher à cause du travail. Et, plus tard lorsqu’on s’est eu au téléphone, il était furieux. Il manifesta des signes de jalousie... ».

Si des conjoints parviennent à gérer les contrariétés liées aux absences, des cas de séparation sont à noter.

Des cas de séparation

L’absence prolongée d’un conjoint crée l’instabilité dans le foyer. C’est ce qu’a vécu Akissi M., institutrice à la retraite et divorcée d’un marin, depuis quinze ans. Elle vit aujourd’hui en France. Mais, pour des raisons familiales, elle est souvent venue à Abidjan.

Au quartier Maroc, dans la commune de Yopougon, Akissi M. vit dans une habitation de trois pièces, qu’elle partage avec son fils et sa mère. Elle avoue, pour sa part, que son mariage n’aurait pas marché, à cause des séjours prolongés de son ex-mari, en mer.

« Il était parti, tout le temps. Nous n’arrivions pas à maintenir les relations dans la stabilité, une situation que je supportais difficilement. Des doutes et des tensions se sont installés. Nous nous sommes séparés. J’ai alors fini par demander le divorce », confie-t-elle, sans regrets.

Aujourd’hui, même si elle ne s’est pas remariée, Akissi Minan affirme qu’elle n’est pas, pour autant, une femme malheureuse.

Les enfants, innocentes victimes de ces couples

Les longues périodes de séparation momentanée, pour des raisons professionnelles, affectent la progéniture des pères marins. Madoussou Bamba, aujourd’hui agent de police, et fille d’un marin, parle de son enfance : « C’était difficile, car papa n’était pas présent. On était avec maman, on avait besoin de lui, mais, il était toujours parti en mission », se souvient la jeune femme, qui ne manque aucune occasion pour témoigner sa reconnaissance à sa mère.

« Notre mère était omniprésente à nos côtés...Grâce à elle, nous avons pu entrer dans la vie active et professionnelle ». L’agent de police affirme que c’est seulement quand leur père a pris sa retraite, qu’il a pu se montrer plus disponible pour ses enfants.

Une chance que n’a pas, de son côté, Aicha Soumahoro, une étudiante dont le père, qui est marin, est toujours en fonction : « Quand il s’absente, c’est pour une ou deux semaines », rapporte-t-elle. Elle se souvient, qu’en 2017, alors qu’elle avait 16 ans, son père, bien que souvent absent, ne manquait pas d’appeler pour prendre de leurs nouvelles : « Il nous appelait pour savoir si nous avions mangé ou étudié, ou si nous dormions déjà. Certes, la chaleur de sa présence nous manquait, mais ma mère suppléait cette absence ».

Ainsi va la vie de ces familles, où la femme est contrainte de prendre la place de l’homme, à cause de l’absence régulière et prolongée de l’époux.



Le 01/07/23 à 08:15
modifié 01/07/23 à 10:00