Prise en charge des autistes et trisomiques : Comment favoriser leur insertion sociale et professionnelle

Une vue de la page blanche. (DR)
Une vue de la page blanche. (DR)
Une vue de la page blanche. (DR)

Prise en charge des autistes et trisomiques : Comment favoriser leur insertion sociale et professionnelle

Le 17/02/23 à 18:53
modifié 17/02/23 à 18:53
Handicapés ou polyhandicapés intellectuels, les enfants de La Page blanche, située à Bingerville, apprennent à se construire grâce à un suivi scolaire efficace, des projets éducatifs et une insertion professionnelle.
Bâti sur un espace de 4272 m2, dans la banlieue abidjanaise, précisément à Bingerville, le centre médico-psycho-pédagogique La page blanche, constitué de trois bâtiments, s’occupe de la prise en charge d’enfants handicapés ou polyhandicapés intellectuels depuis 32 ans.

Il offre un nouveau port d’attache à des enfants, adolescents et jeunes dont l’existence a été malencontreusement bouleversée. Mais bien plus qu’un espace, cette structure se veut un centre de formation, d’éducation, d’insertion sociale et professionnelle. Ainsi, tout enfant qui franchit les portes de l’institution a droit à un package de formation.

Un batiment de la page blanche. (DR)
Un batiment de la page blanche. (DR)



Dr Dem Nacadié, présidente, Bema Touré, directeur, et leurs collaborateurs sont les repères des 42 pensionnaires. 42 enfants avec chacun une histoire et un chemin de vie à tracer ou à retracer. Des autistes-Imc «infirme moteur cérébral», des trisomiques ainsi que des enfants souffrant de troubles du langage et du comportement. Ils sont encadrés par une équipe d’inspectrices d’éducation spécialisée, d’éducateurs spécialisés, éducateurs préscolaires, d’enseignants et une équipe médicale constituée d’un pédopsychiatre, d’un psychologue, d’un kinésithérapeute... Patience, amour, courage, don de soi sont les maîtres-mots des travailleurs de l’institution qui doivent donner à leurs protégés des raisons de croire en la vie. Un jeudi du mois de janvier 2023, en début de matinée, le car de ramassage vient de stationner à 9 heures 50 minutes. Nous y étions pour voir les conditions dans lesquelles sont encadrés les pensionnaires.

Au programme, plusieurs ateliers à partir de 10 heures. L’agropastoral, (atelier d’apprentissage professionnel pour initier les enfants à des activités génératrices de revenus), l’informatique, les arts et l’artisanat, la poterie, l’autonomie et vie quotidienne... Au nombre des pensionnaires, Herbert Camara et ses camarades sont à la tâche. Sur un espace de 2 mètres carrés, on y trouve un champ de maïs, de tomate, d’aubergine, de salade.

A un jet de pierre de là, le poulailler et la cage des lapins occupent un espace. En nous les présentant, Koffi N’Dri Guillaume, Naho Coulibaly Adam, tous deux assistants et Koné Coulibaly Kiffo, inspectrice d’éducation spécialisée, responsable de l’atelier agropastoral, nos guides, sourire aux lèvres, confient qu’ils partagent les plus beaux moments de leur vie avec leurs compagnons.

Nos deux interlocuteurs (pensionnaires) qui peuvent placer des mots sont tout de suite désignés. Herbert Camara et Christian. Bien qu’ils présentent des troubles du langage, font l’effort de se faire entendre. «Nous sommes heureux de travailler dans notre champ de maïs. Nos maîtres nous encadrent très bien. On travaille un peu et on va se reposer et passer à table à midi pour le repas », confient-ils.

Des pensionnaires de la Page blanche
Des pensionnaires de la Page blanche



Adama Camara fait partie des plus anciens pensionnaires. En plus de son handicap, il est asthmatique. Ce qui l’empêche d’être à la tâche avec ses amis. Assis sous le préau, d’un air admirateur, il observe ses camarades travailler. Avec lui, l’on découvre aussi des pensionnaires qui paressent. Quand certains de leurs camarades s’activent pour d’autres ateliers. La poterie, les arts et l’artisanat, l’informatique... Des pots de fleurs, du colorant, des pinceaux sont réunis... Autour d’une table, en compagnie des encadreurs, chacun essaie d’assimiler le cours qu’on lui dispense afin de le reproduire sur les objets. Anna Népa Iris Anaëlle a 11ans. Dévouée, avec un grand sourire, elle partage son envie de réussir à peindre le pot de fleur qui lui a été remis par sa maîtresse.

« Je suis en train de faire un pot de fleur avec la couleur bleue pour l’offrir à ma maman. Quand maman reçoit le pot de fleur, elle me dit que c’est beau. Nos maîtresses sont gentilles. Qu’elles nous amènent à travailler encore plus », forme-t-elle le vœu toujours avec le même large sourire. Après leurs travaux, ils s’éparpillent dans la cour qui épouse les couleurs de leurs blouses et combinaisons vertes, bleues... leur uniforme apporté par les parents en début d’année à l’inscription. « Ils sortent de l’atelier agropastoral et on leur a accordé quelques minutes pour se défouler. Ensuite, on reprend avec les arts et l’artisanat », explique Prunelle Gami, éducatrice préscolaire très passionnée de ce métier pour lequel elle a démissionné du centre social où elle exerçait, il y a trois ans.

Les pensionnaires de La Page Blanche dans l'activité agropastorale. Photo (Véronique Dadié)
Les pensionnaires de La Page Blanche dans l'activité agropastorale. Photo (Véronique Dadié)



Son activité a pour objectif d’amener les pensionnaires à créer, réaliser et confectionner des objets afin de leur permettre de s’insérer un jour dans la société. « Quand les enfants arrivent à peindre les pots de fleur, les perles... cela leur permettra de se prendre en charge demain. C’est vrai qu’ils font les choses selon leur humeur, leurs émotions mais nous ne nous décourageons pas », assure-t-elle.

L’accent, dans chaque activité, est mis sur le sens du partage et l’esprit d’équipeL’éducatrice préscolaire confie d’ailleurs qu’il faut aimer son métier. « Quand tu aimes ce que tu fais, tu ne vois pas le temps passer. On le fait toujours avec le sourire. L’enfant va même essayer de te mordre souvent. Mais il n’y a pas de travail sans difficultés. Une personne en situation de handicap a ses défauts. Donc je ne me décourage pas. Je fais ce travail avec passion et détermination. Nous avons tous une obligation de résultat. L’accent, dans chaque activité, est mis sur le sens du partage et l’esprit d’équipe. Pour atteindre cet objectif, le soutien de tous les travailleurs est sollicité », confie-t-elle.

Avec son aire de jeux, son préau, un espace qui est en train d’être aménagé pour servir de jardin..., tous biens entretenus, il règne dans ce centre un air de tranquillité où il doit faire bon vivre. Des dortoirs aux petits lits propres et bien dressés, des salles d’eau aux salles de classe studieuses en passant par le réfectoire décoré de dessins qui attisent l’appétit, la Page blanche a mis les bouchées doubles pour permettre aux êtres d’être un jour autonomes. Mais surtout pour qu’ils puissent s’insérer dans la société à travers le travail d’apprentissage. Les pensionnaires, sous la supervision des éducateurs, des enseignants et des assistants apprennent à se construire grâce à un suivi scolaire efficace et des projets éducatifs (hygiène corporelle, environnementale, l’art de se tenir à table, le savoir-vivre, le brossage des dents). Autre étape : Les cours d’informatique qui se font à la salle multimédia équipée de plusieurs postes et de connexion internet.

La construction de cette salle multimédia concourt à donner le goût de la lecture aux pensionnaires et aussi à les initier aux nouvelles technologies de l’information. Touré Blandine est inspectrice principale d’éducation spécialisée. Elle est la responsable de l’atelier des activités scolaires et développement des capacités expressives. Dans cet atelier, avec l’appui de trois encadreurs, elle prend en charge 11 enfants. Assis devant leur écran, Jacques Philippe, Régis Koffi et leurs amis de classe saisissent des textes. A la demande des encadreurs, ils apprennent à lire. « Nous sommes dans un monde informatique, et nous voulons apprendre à ces enfants, outre les autres activités, à connaitre l’outil informatique, d’où la nécessité de mettre à leur disposition ces ordinateurs. Notre travail demande beaucoup de patience. Il y a certains enfants qui s’en sortent, qui nous font plaisir. Par contre, pour d’autres ce n’est pas facile. C’est en fonction de leur capacité de réception que nous travaillons avec eux. Quand on voit qu’un enfant n’arrive pas à assimiler vite, on est plus tolérant», explique Touré Blandine. Selon elle, certains pensionnaires sortis de cette institution ont pu réintégrer l’école normale. Son souhait est que chacun des encadreurs puisse, par sa générosité, son amour et sa présence, offrir une chance à ces enfants de se construire un avenir qui tranche avec leur handicap .

FATOU SYLLA

photo autiste 1
photo autiste 1


​​​​Des champions olympiques parmi les pensionnaires

La Page Blanche a été créée par une association de parents d’enfants en situation de handicap dénommée Association pour la réinsertion des enfants par une éducation adaptée, (Aréea) dirigée par Dr Dem Nacadié. Dans ce centre, l’accent est mis sur la prise en charge et les projets éducatifs ou projets thérapeutiques. «Nos programmes sont essentiellement axés sur la recherche de l’autonomie chez nos enfants et celle-ci passe par plusieurs activités. Les enfants ont des ateliers de prise en charge, des activités de vie quotidienne et de l’autonomie et pour les plus grands, les activités agro-pastorales, d’apprentissage professionnel. Ils font de la culture, de l’élevage, l’artisanat... Tout ce qui peut accompagner », confie le directeur, Béma Touré. A l’en croire, vu que ces enfants sont beaucoup plus manuels et intellectuels, la formation à un métier, à une profession leur est beaucoup plus utile que de vouloir se limiter à la prise en charge scolaire. « Nous n’avons pas pour ambition de garder définitivement les pensionnaires que nous recevons. Quand nous voyons une évolution chez l’enfant, nous voyons le stade qu’il a atteint, nous conseillons aux parents de le retirer pour l’inscrire peut-être dans une école ordinaire pour qu’il puisse poursuivre le cursus scolaire normal. Nous avons déjà trois pensionnaires qui ont pu réintégrer l’école. Il y en a deux qui sont allés jusqu’au baccalauréat. Il y en a deux autres qui travaillent dans le domaine de l’informatique », informe-t-il. Béma Touré ajoute que le centre regorge de champions olympiques dans le sport spécial olympique qui sont revenus avec des médailles d’or de la Grèce, de la Chine et des États-Unis. Toutefois, en termes de difficultés, le directeur fait savoir qu’elles sont d’ordre financier. « Nous avons des idées, des projets mais nous n’avons pas suffisamment de moyens pour mettre en œuvre ces projets-là. Notre ambition, c’est de créer au sein de la Page Blanche un centre d’aide par le travail (Cat) parce que nos enfants ont le droit d’apprendre un travail et montrer que la personne en situation de handicap est capable d’être productive. Et c’est ce que nous avons commencé. C’est dommage que ce soit à une échelle encore minime à cause du manque de moyens », déplore-t-il. Non sans préciser que le handicap intellectuel et psychomoteur est transversal et surtout vu que le centre s’occupe des enfants, adolescents et des jeunes adultes, il est donc sous la coupole de plusieurs ministères. A savoir le ministère des Affaires sociales, le ministère de la Santé, le ministère de l’Éducation nationale. «Nous bénéficions de subventions de certains ministères. Mais le ministère dont nous attendons encore plus, qui n’est pas trop actif à la Page Blanche, c’est celui de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation, afin que nos enfants puissent jouir de tous les droits dont jouissent les autres enfants », plaide-t-il .

F. SYLLA
Le bien-être et l’épanouissement de l’enfant comme priorité

AU
AU



Le développement de l’enfant, qu’il soit psychomoteur ou du langage, nécessite un psychologue. Celui qui est chargé de donner une psychoéducation à ces personnes en situation de handicap. Pour Ghislaine Mobio, psychologue, il faut jouer un rôle de médiateur entre les parents et leurs enfants. « On se dit qu’on n’a pas un enfant handicapé, notre enfant n’a rien. Et ensuite, viennent des phases de dépression. Donc, il faut permettre à ces parents de passer par ces différentes phases pour finalement aboutir à la phase d’acceptation. Aujourd’hui, je sais que mon enfant ne pourra pas être médecin, avocat, pilote comme je l’aurais souhaité. Parce qu’à chaque moment, le parent va replonger, ce rêve va revenir. Donc faire le ‘’deuil’’ de cet enfant idéal », conseille-t-elle. Toutefois, Ghislaine Mobio invite les parents à plutôt penser au bien-être, à l’épanouissement de leur enfant. «On doit finir par se dire que quand je vois mon enfant en train de rire, cela doit me faire rire, quand je vois mon enfant heureux, quand je vois mon enfant en train de fabriquer des choses, quand je vois mon enfant en agropastoral en train de semer du maïs, de désherber, je dois être heureux parce que je sens que mon enfant est en train d’apprendre quelque chose », insiste-t-elle. Comme conseils, la psychologue exhorte les parents à surtout impliquer l’enfant dans tout ce qu’ils font. « Il ne faudrait pas laisser l’enfant isolé. S’il a des frères et sœurs, il faudrait que l’enfant puisse participer aux activités familiales. Il faudrait que la fratrie puisse être impliquée dans la prise en charge de l’enfant. Il faudrait en discuter avec tous les enfants. Il faudrait que toute la famille soit au même niveau d’information pour pouvoir mieux vivre, mieux gérer le handicap de l’autre », préconise-t-elle.

FATOU SYLLA


Les recommandations du pédopsychiatre

En matière de prise en charge, l’idéal c’est d’avoir sur le même lieu un kinésithérapeute, un orthophoniste, un psychologue, un médecin pédopsychiatre, les travailleurs sociaux. Parmi ces travailleurs sociaux, il y a les éducateurs spécialisés, des maîtres d’éducation spécialisée. C’est ce que préconise Dr Moké Botthy Lambert, pédopsychiatre qui confie que c’est à la suite d’une consultation poussée qu’on peut déclarer l’enfant handicapé psychomoteur, intellectuel... Et lorsque l’enfant est vu en consultation pour la première fois, on peut demander aux parents un certain nombre d’examens, selon le motif de la consultation. C’est-à-dire selon le trouble mis en avant lorsque les parents viennent en consultation. Et une fois que ces différents examens sont réalisés, informe-t-il, « on se retrouve avec les parents autour des résultats et une décision est prise. Dans un premier temps, en mettant un nom sur le trouble de l’enfant. Et c’est justement après cette prise de décision concernant le diagnostic que la référence peut se faire. On peut estimer que le diagnostic que présente l’enfant du fait de la pathologie peut être pris en charge ou non sur la base d’un projet thérapeutique qui est élaboré. Parce qu’il peut y avoir souvent des erreurs médicales », révèle-t-il. C’est pourquoi Dr Moké Botthy Lambert exhorte les parents à faire des examens approfondis afin d’éviter des situations embarrassantes .

F. SYLLA

PHOTOS AUTISTES 3(1)
PHOTOS AUTISTES 3(1)


Les parents doivent être un relais pour les encadreurs

Les éducateurs spécialisés, encadreurs et autres inspecteurs font face à d’énormes difficultés qui trouvent des explications dans le fait que les enfants oublient tout ce qui leur a été transmis quand ils reviennent des congés. Ce qui amène les encadreurs à tout reprendre afin que les enfants soient à niveau. « Nous constatons ces difficultés parce que il n’y a pas vraiment de collaboration entre encadreurs et parents. Quand nous donnons des consignes aux parents pour suivre les enfants, il est difficile qu’ils le fassent. Cela crée encore d’autres bouleversements alors qu’il doit y avoir une collaboration véritable entre l’Institut et les parents. C’est ce qu’on a toujours recherché. Les parents doivent être un relais pour les éducateurs. Il faut vraiment une collaboration, une complémentarité pour que nos enfants puissent évoluer. Si tout doit reposer sur l’éducateur, cela devient un éternel recommencement », déplore Bolo Emmanuel, maître d’éducation spécialisé. A l’en croire, il a toujours été question pour les parents de s’impliquer dans la formation de leurs enfants. « Nous leur demandons de venir nous rencontrer à tout moment, discuter avec les éducateurs du travail et de l’évolution de leurs enfants. Ils doivent toujours discuter avec les éducateurs mais malheureusement on ne les voit pas et c’est dommage. Ils doivent pouvoir suivre ce que nous faisons ici, avec les enfants. Et c’est pourquoi on leur demande toujours de venir à la rencontre des éducateurs », plaide-t-il .

F. SYLLA


Le 17/02/23 à 18:53
modifié 17/02/23 à 18:53