Valeurs culturelles et migrations humaines: Du site « Adjokpli » aux « Iles Ehotilé », le si long chemin de nos aïeux

La matière première abondante sur le site de Adjokpli. (Ph: Brigitte Guirathé)
La matière première abondante sur le site de Adjokpli. (Ph: Brigitte Guirathé)
La matière première abondante sur le site de Adjokpli. (Ph: Brigitte Guirathé)

Valeurs culturelles et migrations humaines: Du site « Adjokpli » aux « Iles Ehotilé », le si long chemin de nos aïeux

Le 20/04/22 à 10:29
modifié 20/04/22 à 10:29
Mercredi 6 avril à 13h. Nous sommes à Toumodi, ville située à 184 km d’Abidjan, précisément dans le village d’Akwèkouadiokro, sous un soleil de plomb à faire rebrousser chemin toute personne qui manque de volonté. Mais la cause de notre déplacement est noble. Si noble que dans ce village d’à peine 500 âmes, l’investigation entamée aux côtés de la dizaine d’archéologues venus de la Côte d’Ivoire, des États-Unis d’Amérique, d’Angleterre, d’Espagne et d’Allemagne commence par nos civilités au chef du village hôte.

Histoire de lui expliquer les raisons de notre présence à ce rendez-vous des cultures et des civilisations modernes et traditionnelles africaines. Ici, le protocole local est respecté. Échanges de nouvelles, puis une bouteille de gin présentée en guise d’offrande au chef de terre. C’est un cadeau symbolique pour demander aux mânes de nous conduire à bon port et nous assurer un retour sain et sauf.

Toumodi-hum-tourne vers le ciel. (Ph: Brigitte Guirathé)
Toumodi-hum-tourne vers le ciel. (Ph: Brigitte Guirathé)



L’expédition peut alors commencer. Un pas, puis deux...Plus de cinq kilomètres à pied, en direction de ce site éloigné du village. Après quelques heures de marche ponctuée de temps de repos et de pauses pour étancher la soif, nous nous retrouvons au milieu de cette savane arborée où ne trônent que de longues herbes éparses, quelques arbustes, plusieurs troncs de rôniers, des manguiers et quelques arbres centenaires.

La marche est pénible mais la joie s’annonce lorsque nous découvrons à quelques mètres, les premières pierres de taille moyenne qui offrent l’allure d’un village de roches. Elles sont plantées dans le sol avec les pointes tournées vers le ciel. Le paysage est beau, mais ce n’est pas encore la surprise, car ce premier contact donne l’aspect d’un paysage déjà vu ailleurs.

Peut-être à Ahouakro, ce remarquable village granitique situé dans la sous-préfecture de Tiassalé et dont les vestiges ont donné forme au Parc archéologique d’Ahouakro. Ici à Akwèkouadiokro, précisément, sur le site d’Adjokpli, les quelques pas franchis après la découverte des blocs de pierre, éveillent notre conscience.

Une vue à partir du pied de la colline. (Ph: Brigitte Guirathé)
Une vue à partir du pied de la colline. (Ph: Brigitte Guirathé)



Haches, herminettes et grandes pointes... tout en pierre taillée sur le site d’Adjokpli

Au sommet de la colline où nous nous trouvons à présent, l’émotion est grande. Plusieurs milliers de pièces en pierre taillée sont présentées dans une disposition en divers tas. Semblables à des tas d’immondices. Exactement comme elles se présentent dans nos différents livres d’histoire et de civilisations anciennes. Des formes connues ou non. En latérite, en quartz, en quartzite ou en amphibolite que sont ces roches vertes dites plus malléables et plus résistantes.

Dans les différents tas de pierres taillées de petites tailles, l’on remarque très clairement des outils en forme de hache, de herminette, des grandes pointes en pierre polie, ainsi que des objets à bords tranchants. Ce sont visiblement des ébauches d’objets d’utilisation domestique. Couteaux et autres ustensiles tels que nous les avons aujourd’hui. A la seule différence que sur ce site, tout est en pierre taillée.

Une vue à partir du pied de la colline. (Ph: Brigitte Guirathé)
Une vue à partir du pied de la colline. (Ph: Brigitte Guirathé)



Notre regard voyage d’un endroit à l’autre. Non loin du site de roches volumineuses, un bloc de granit à surface aplatie est enfoui dans le sol. Cette pierre nous situe sur sa fonction utilitaire. Il s’agit naturellement d’un polissoir sur lequel les objets taillés sont, comme son nom l’indique, polis. Du haut de la colline, l’on a une vision panoramique de cet espace qui s’étend à perte de vue et révèle toute l’ingéniosité d’un peuple stratège antique.

La découverte sur ce site d’investigation est impressionnante et ouvre la voie à plusieurs questionnements et des préoccupations qui se bousculent dans la tête de tout visiteur lambda. Nous sommes peut-être quelques-uns des produits d’arbres généalogiques des premiers êtres humains ayant séjourné sur ce site d'un passé lointain...Des frissons nous traversent.

Ces frissons viennent certainement des souvenirs de nos corps cellulaires. Qui étaient les habitants de ce cadre préhistorique ? Où dormaient-ils ? Avaient-ils des habitats sur cet espace qui a peut-être changé de décor ou de morphologie au fil du temps ? Comment se nourrissaient-ils ? Pourquoi avaient-ils tous disparu sans souvenir biologique moderne d’un seul rescapé ? Avaient-ils migré ailleurs ou bien avaient-ils tous été emportés par un cataclysme naturel ? Auraient-ils tous succombé à une guerre d’occupation ?... Dur de vouloir se souvenir de tout ce passé lointain. Loin de plusieurs milliers d’années.

La roche granitique servant de polissoir. (Ph: Brigitte Guirathé)
La roche granitique servant de polissoir. (Ph: Brigitte Guirathé)



Plus de 5000 ans de vies humaines

La voix pleine d’émotion, l’archéologue qui nous sert de guide ce jour fait certaines précisions concernant ce site découvert il y a quelques mois.Selon ces précisions, les premières données archéologiques situent l’existence des pierres trouvées à la surface à environ 3350 ans avant Jésus-Christ. Donc 3350 ans avant l’an zéro. En tenant compte de la période actuelle, nous disons facilement que les pierres taillées du site d’Adjokpli, dans le département de Toumodi, existent il y a plus de 5000 ans.

Cet espace emblématique, perçu par les habitants des villages environnants comme le village de leurs génies protecteurs, se dévoile du point de vue scientifique comme une immense richesse archéologique qui garde dans les profondeurs des terres ivoiriennes, plus de 5000 ans de souvenirs de migration et de vies humaines.

Une ébauche de hache. (Ph: Brigitte Guirathé)
Une ébauche de hache. (Ph: Brigitte Guirathé)



Dans son récit toujours émouvant, le guide, l'archéologue, le Dr Bouadi René donne encore quelques précisons : « Les dispositions sur ce site font comprendre qu’il s’ agissait d’un peuple annonçant les débuts de la sédentarisation de l’espèce humaine. C’était l’époque du néolithique. Ici, les grands blocs de pierres qui servaient de matières premières aux travailleurs étaient abondants. Si bien que les populations restaient sur place pour le débitage en vue de donner aux pierres les formes d’outils souhaités. Apparemment, les espaces aux allures de tas d’immondices semblent avoir été des lieux d’ateliers de travail à l’ère du néolithique. Les objets déjà trouvés à la surface de la terre indiquent que l’espace a connu une occupation humaine dense. Les outils montrent qu’ils s’en servaient pour racler des écorces d’arbres ou dépecer les animaux. Au vu de tous ces grands tas d’immondices, ces anciens habitants devaient certainement être des perfectionnistes puisqu’ils abandonnaient aussitôt les ébauches ratées (souvent des déchets de fabrication d'objets ou d'outils). D’où ce nombre important d’éclats retrouvés. Le travail fourni sur place montre qu’il s’agissait de populations sédentaires de la période du néolithique et non des nomades du paléolithique. Mais au début du néolithique, la sédentarisation de l’espèce humaine n’était pas totale. Des populations étaient semi-nomades, puisqu’elles ne se déplaçaient pas sur de longues distances ».

Une vue de la colline qui informe sur la probable existence d'un peuple stratège de l'antiquité. (Ph: Brigitte Guirathé)
Une vue de la colline qui informe sur la probable existence d'un peuple stratège de l'antiquité. (Ph: Brigitte Guirathé)



Le guide met également l’accent sur la nécessité de mener une véritable étude technique du sol en profondeur , ce qui donnera à coup sûr des dates plus lointaines d’existence humaine. Elle permettra également de savoir, avec exactitude, l’utilisation précise de ces objets trouvés sur ce site qui recevait ce jour, pour la deuxième fois, la visite du chercheur qui l’a découvert et considéré comme une richesse archéologique. Il s’agira avant tout, d’une étude qui, par manque de laboratoire spécialisé en Afrique de l’Ouest, imposera un recours à des laboratoires spécialisés en Europe.

L’histoire de ces outils spéciaux considérés à la fois comme outils de coupe, objets d’échanges et symboles de prestige dans les temps anciens se ferme à Akwèkouadiokro pour ouvrir, le lendemain, jeudi 7 avril, avec nous, une autre page importante de la préhistoire et de l'histoire contemporaine vécue sur les îles Ehotilé, dans le Sud-est de la Côte d’Ivoire.

Le parc national des îles Ehotilé

Jeudi 7 avril. Nous poursuivons notre voyage d’investigation. Entre les villes d’Adiaké et Assinie, nous voici précisément au parc national des îles Ehotilé. Un espace riche de six îles dont les caractéristiques diffèrent les unes des autres.

Après environ 30 minutes de navigation, sur la lagune Aby, le premier site qui nous reçoit est l’île de Nyamouan. Ici, à l’entrée où nous sommes précisément, le sol tient sa particularité de son mélange avec de nombreuses particules de coquillages et de sa couleur d’un blanc laiteux, semblable au kaolin blanc des rituels africains.

De son verbe fluide, la guide du jour, Kienon-Timpoko Kaboré Hélène, professeur titulaire en Archéologie à l’université Félix Houphouët-Boigny de Cocody nous situe sur la spécificité du parc national des îles Ehotilé classées patrimoine naturel et historique le 25 avril 1974 et dont les vestiges (amas coquilliers au pied, vestiges céramiques, quelques sites du royaume d’Issiny) datent dans l’ensemble du 12e siècle.

L'entrée de l'île de Nyamouan. (Ph: Brigitte Guirathé)
L'entrée de l'île de Nyamouan. (Ph: Brigitte Guirathé)



En effet, une datation obtenue lors des fouilles de sépultures permet de dater certains sites au moins au 12e siècle de notre ère. Pour cette île que la densité du feuillage a rendue impraticable, nous nous contentons du récit de la guide qui laisse comprendre que les premiers habitants de ce site l'ont quitté pour qu'il serve de lieu d’enterrement de leurs dignitaires. L'enterrement dans les amas coquilliers participait à une conservation des corps sur une longue période.

L’histoire ici se confond avec celle des migrations humaines en Côte d’Ivoire et avec l’un de ses corollaires entretenus par les guerres de conquête et des conflits d’occupation des terres. Des réalités lointaines relayées par les peuples Ehotilé, Essoma et Agni, qui ont, pour certains, vécu sur cet espace.

Les sources du père Loyer vers 1600, puis les recherches d'archéologues et d'historiens comme Jean Polet, Claude Hélène Perrot et du professeur Henriette Dagri Diabaté donnent des précisions sur cette histoire particulière des îles Ehotilé et des peuples qui y ont vécu.

Particules de poteries du 12e siècle et canon de type européen, sur l’île Balouaté

La dernière escale de ce voyage qui a duré deux jours nous conduit sur l’île Balouaté. Un autre scandale de beauté naturelle ! Avec d’innombrables pièces à conviction sur ce site entièrement marécageux et essentiellement constitué de mangrove. Le premier objet qui nous accueille avant même de prendre le chemin de l’ancien site d’habitation palafitte est un canon européen, vieux de plusieurs siècles et posé à même le sol.

Pour être sur le lieu d’habitation antique indiqué, il faut bien s’armer. S’équiper de chaussures adaptées. De bottes par exemple. Mais ce n'est pas grave. Quand on veut, on peut dit l’adage ! Notre volonté de découvrir ce site de notre historique contemporaine est grande.

Particules de poteries. (Ph: Brigitte Guirathé)
Particules de poteries. (Ph: Brigitte Guirathé)



Quelques mètres parcourus dans cette eau boueuse qui nous prend jusqu’au-dessus des chevilles et nous voilà sur ledit ancien site d’habitation. « Quand le niveau de l’eau diminue, il nous arrive de percevoir quelques restes d’habitat à cet endroit », fait savoir le Professeur Kienon-Kaboré Hélène.

L’émotion et la surprise sont grandes. Asséché par endroits, le sol met à nu de milliers de petites particules de poteries dont les motifs anciens montrent la finesse du travail réalisé. Un travail dont les fouilles archéologiques datent de la moitié du 18e siècle.

Sur ce lieu chargé d’histoire, nos souvenirs voyagent à travers l’espace et le temps et suivent le rythme des migrations et des vies humaines qui se sont succédé dans cette zone d’une richesse archéologique incommensurable.

Envoyée spéciale



Le 20/04/22 à 10:29
modifié 20/04/22 à 10:29