Burkina Faso : Comment Ouagadougou a vécu 96 heures sans l’internet mobile ?

Ouaga by night (DR)
Ouaga by night (DR)
Cappuccino_Ouagadougou (DR)

Burkina Faso : Comment Ouagadougou a vécu 96 heures sans l’internet mobile ?

Le 05/12/21 à 14:11
modifié 05/12/21 à 14:11
A Ouagadougou la capitale politique du Burkina Faso, les 25, 26, 27 et 28 novembre 2021 dans le cadre du Kundé 2021, à l’invitation de Salfo Soré dit Jah Press, initiateur de cette cérémonie de distinction des meilleurs artistes du Faso et d’Afrique, nous avons vécu la suspension par le gouvernement du pays des Hommes intègres de l’internet mobile.
Les Ouagalais supportaient mal cette situation difficile des journées entières sans être en contact avec la toile. Comment vivre sans l’internet mobile. C'est à ce défi qu'étaient confrontés les Ouagalais. Notre témoignage.

Aéroport international de Ouagadougou (DR)
Aéroport international de Ouagadougou (DR)



Les suspensions de l’internet mobile sont intervenues au Burkina Faso dans un contexte de manifestation de la population locale contre la présence de l’armée française dans les villes de Ouagadougou, Bobo Dioulasso et Kaya. Le 19 novembre 2021, un groupe de manifestants a bloqué un convoi militaire français de passage dans la ville de Kaya.

Pour le visiteur qui atterrissait dans cette période à Ouaga, une fois les portes de l’aéroport international franchies, il s’aperçoit très vite de l’isolement dont il est victime. L’internet mobile est hors service. Des téléphones portables et des tablettes, plus de connexion. Le gouvernement justifie sa décision en évoquant des questions de sécurité nationale.

En effet, le Burkina Faso est en proie depuis 2015 à des attaques jihadistes présumés, régulières et meurtrières, en particulier dans les régions du nord et de l’est. Celle du poste d’Inata survenue, le dimanche 14 novembre 2021, avec 49 gendarmes et quatre civils tués a provoqué une grande colère au sein de la population.

L’annonce d’une manifestation de la société civile en soutien aux Forces de défense et de sécurité (Fds) tuées est venue créer une grande psychose dans la ville. En plus de l’interruption de l’internet mobile, la ville est isolée. Mieux, c’est dans une ville morte que le visiteur devra passer son séjour. Et ce pendant 96 heures, volonté du gouvernement burkinabè oblige.

Des gendarmes à la place de la nation
Des gendarmes à la place de la nation



Des députés exigent la levée de suspension de l’internet mobile

En effet, dans un communiqué en date du 22 novembre 2021, paradoxe des paradoxes, diffusé sur la toile et consultable depuis l’extérieur ou par l’entremise de l’internet fixe, le ministère de la Communication et des Relations avec le parlement informe les habitants de la suspension de l’Internet mobile.

Le libellé dudit communiqué : « En application des dispositions des articles 44 et 46 de la loi N°061-2008/ du 28 novembre 2008, ensemble des modificatifs, relatifs à la ‘‘qualité et sécurité des réseaux et des services et respect des obligations de défense nationale et de sécurité publique’’, sur réquisitions N°2021-0463/MSECU/CAB et N° 2021-000651/MSECU/MENPTD du 22 novembre 2021, le Gouvernement a procédé à une suspension de l’internet mobile pour une durée de quatre-vingt-seize (96) heures à compter du samedi 20 novembre 2021, à vingt (20) heures sur toutes l’étendue du territoire national. L’internet fixe n’est pas concerné par cette décision ».

Dans cette note, comme on peut s’en apercevoir, le ministère de la Communication et des relations avec le Parlement n'explique pas en quoi la suspension de l'internet mobile et pas de l'internet fixe répond aux exigences de défense nationale et de sécurité publique.

Lire aussi: Burkina Faso/Marche de la société civile : Après des tensions dans la matinée Ouagadougou retrouve son calme 
Ce communiqué signé du ministre Ousseni Tamboura n’a pas laissé les Ouagalais indifférents qui ruminaient leur colère. « C’est un déni de démocratie et surtout une atteinte à notre liberté d’expression », rumine Arouna Ouédraogo l’un des chauffeurs mis à notre disposition pour assurer un meilleur séjour aux invités du Kundé 2021. Outre le citoyen lambda, des parlementaires burkinabè ont donné de la voix comme en témoigne la session extraordinaire du vendredi 26 novembre 2021 où ils ont demandé le rétablissement « immédiat » de l’internet mobile. C’est le dimanche 28 novembre finalement qu’à travers une autre décision que le gouvernement burkinabè a annoncé le rétablissement de l’internet mobile.

L’internet fixe étant en service, nous a indiqué un journaliste ivoirien vivant à Ouagadougou, des Burkinabè généreux n’hésitaient pas à ouvrir leur accès Wifi, permettant ainsi aux détenteurs d’ordinateurs portables de se connecter à internet. Toutefois avec les petits périphériques, téléphones portables et tablettes, réussir à se connecter sortait de l’extraordinaire. Il n’était donc pas rare de voir des personnes dans les halls des hôtels prétextant d’une visite chercher à se connecter à internet. Pour ceux qui habitent à proximité des entreprises qui ont laissé par exprès leur wifi ouvert au public, les abords de leur société étaient fréquentés.

C’est dans cette atmosphère que des Burkinabè dans un excès de colère se sont joints à la marche, du Samedi 28 novembre 2021, de soutien aux forces de défense et de sécurité, pourtant interdite, pour réclamer la levée de suspension de l’internet mobile. Et surtout la démission du Président Marc Roch Christian Kaboré qui, selon eux, n’arrive pas à assurer et à préserver l’intégrité territoriale du Faso.

C’est le cas de cette jeune dame que nous avons rencontré qui affirme qu’elle est allée à la marche pour exiger le rétablissement d’internet. « C’est vrai que la marche n’était pas autorisée. Mais la suspension de l’internet mobile était une raison d’exprimer notre ras-le-bol au gouvernement », nous a-t-elle confié.

Un artiste, nous racontent des Ouagalais, a demandé à ses compatriotes de venir se connecter sur le wifi de son internet fixe. Tous ceux qui s’y sont rués ont vite déchanté. Est-ce un canular ? Sans nul doute de l’artiste Kayawoto la coqueluche du public burkinabè qui a remporté le Kundé de l’artiste le plus joué en discothèque et celui de la révélation était à la recherche de buzz.

Cappuccino_Ouagadougou (DR)
Cappuccino_Ouagadougou (DR)



Une nuit dans la psychose à Ouaga

La nuit tombée, ce qui aurait pu bien être un Ouaga by night s’est très tôt transformé à une inspection des impacts de la marche dans la matinée du samedi 27 novembre 2021. A l’invitation d’un confrère, nous voici aux environs de 21 heures à bord de sa grosse cylindrée, une Chevrolet non encore immatriculée, qu’il a fait venir des Etats Unis d’Amérique. Le tour de la cité, nous permet de nous apercevoir des impacts de la marche dans la ville. C’est un calme plat qui règne sur la ville après une chaude matinée. De Ouaga 2000 au centre-ville en passant par quelques quartiers, les traces de la marche meeting de soutien aux Forces de défense et de sécurité (Fds) sont indélébiles. Pneus brûlés dégradant le bitume, l'état civil de la mairie de Ouagadougou saccagé.

A notre passage en cette nuit du samedi 27 novembre 2021, devant la mairie de Ouagadougou, les forces de sécurité et de défense qui ont dressé des barrages veillaient sur la sécurité des bâtiments de la mairie. Un tour dans d’autre coins et recoins de la ville, nous observons une première escale non loin de la résidence attenante à l’ex-IAM, bien connu des Ouagalais, où nous avons logé dans le cadre du Fespaco 2021. « Le vendeur de poulet flambé n’est pas sorti aujourd’hui. Nous avons seulement de la boisson », nous informe le jeune serveur qui est venu nous accueillir.

Nous poursuivons donc notre randonnée. Sur le prolongement de la voie qui passe devant l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique dans la zone chic de Ouaga 2000 n’ont loin du palais de Kosyam, nous observions une escale pour déguster du poulet. Le coin que nous avons choisi ne grouillait pas de monde comme dans le tout Ouagadougou, ce samedi après de chaudes empoignades entre manifestants et forces de l’ordre.

La police dispercant les manifestants
La police dispercant les manifestants



La psychose qui s’était emparée de la ville à l’annonce de cette marche s’est véritablement traduite le lendemain sur le terrain. Devant la mairie de Ouagadougou, des documents, des mobiliers de bureaux sont dispersés aux abords de la route. Signe de la présence des manifestants qui ont emporté dans leur passage l’état civil tout en faisant voler ses vitres en l’éclat. Suite aux violences et actes de destruction de bien public perpétuées dans la ville, entrainant la fermeture des stations et des banques, l’effet de la psychose s’est amplifié.

Les services de l’état civil de la commune de Ouagadougou ont été misà sac par les manifestants (Ph Sidwaya)
Les services de l’état civil de la commune de Ouagadougou ont été misà sac par les manifestants (Ph Sidwaya)



Une ivoirienne, employée dans une multinationale ne nous cache pas ses craintes. Elle nous raconte avoir fait le plein de vivres dans son congélateur. Mieux, au pire des cas, elle a même prévu prendre le premier vol pour regagner Abidjan.

Salif D. CHEICKNA

Envoyé spécial à Ouagadougou


Des manifestants vers la place des-cineastes
Des manifestants vers la place des-cineastes



Le Burkina Faso accusé d’atteinte au droit universel humanitaire

Les parlementaires burkinabè chargés du contrôle de l’action gouvernementale n’ont pas du tout prêché dans le désert suite à la suspension par l’exécutif burkinabè de l’internet mobile. Même si cela s’est passé après les 96 heures d’interruption voulue. A la suite des parlementaires, l’activisme de la Ligue Africaine des Blogueurs et Web activistes pour la Démocratie (AfricTivistes) qui a évoqué une violation de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (Dudh) a également payé. « Les coupures d'internet, quelles qu’elles soient, violent la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, et la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (Cadhp). Elles constituent une atteinte grave à la liberté d’expression et à la démocratie », affirme AfricTivistes dans une note transmise à Fratmat.info, le samedi 27 novembre 2021 au moment où nous étions à Ouagadougou. Et de souligner qu’en 2021, Internet est un facteur clé de l'exercice et la jouissance de nombreux droits humains, en particulier le droit à la liberté d'expression et d'accès à l’information.

Cette attitude du gouvernement burkinabè, selon AfricTivistes, vise à restreindre également la liberté d'expression, l'accès à l'information et le droit de réunion pacifique. Et surtout d'exercer une activité génératrice de revenus, droits garantis par les Institutions nationales, régionales et internationales. Il faut rappeler qu’internet mobile avait été suspendu une première fois pour une durée de 96 heures épargnant toujours l’internet fixe. C’est donc dire que le Burkina Faso est resté pendant 192 heures sans l’internet mobile. Et pourtant le Burkina Faso consacre le respect des droits humains dans sa Constitution et est partie aux principaux instruments régionaux et universels de protection des droits humains, rappelle AfricTivistes. Et cela, « bien que le droit burkinabé et le droit international en matière des droits humains prévoient la possibilité de limiter ou de déroger à certains droits, ces options sont soumises à plusieurs conditions strictement encadrées.

Salif D. CHEICKNA

Envoyé spécial à Ouagadougou



Le 05/12/21 à 14:11
modifié 05/12/21 à 14:11