La chronique de Venance Konan: Empreinte

La statue "Atou" de la place Akwaba (DR)
La statue "Atou" de la place Akwaba (DR)
La statue "Atou" de la place Akwaba (DR)

La chronique de Venance Konan: Empreinte

Le 21/09/21 à 08:26
modifié 21/09/21 à 08:26
Dans une précédente chronique, j’avais parlé de l’importance des monuments dans la construction de la culture des peuples. Qu’il me soit permis de revenir sur ce sujet parce qu’il me semble capital pour nous, pays africains, qui rêvons de voir le reste du monde s’intéresser à nous. Nous voulons attirer des touristes étrangers chez nous ? Oui, mais, pour leur montrer quoi ? Nous détruisons tout ce qui fait notre spécificité, nous détruisons nos parcs nationaux qui abritent des faunes particulières, même nos éléphants qui sont l’emblème de notre pays, nous copions très mal ce que les autres ont déjà réalisé chez eux, et nous voulons qu’ils dépensent leur argent pour venir voir ça ! Sans compter que nous ne sommes même pas capables de débarrasser nos villes de leurs ordures, par ces temps où tant de maladies circulent !

Soyons conséquents de temps en temps. Honnêtement, qu’avons-nous d’original dans nos villes qui pourrait inciter quelqu’un à se déplacer pour aller voir ? Si ce n’est pour des raisons familiales, amicales ou professionnelles, qu’est-ce qui mériterait que l’on se déplace pour aller à Adzopé, Abengourou, Agnibilékrou, Daoukro, Dimbokro, Daloa, Issia, Vavoua, Séguéla, etc. ? On y irait pour visiter quoi ? Rien, si ce n’est quelquefois des curiosités laissées par la nature telles que les cascades et les montagnes de Man, ou les plages de certaines cités du sud-ouest par exemple, et que nous ne savons même pas valoriser. Et de plus, nous ne sommes même pas capables d’entretenir les quelques édifices chargées d’histoire que nous avons.

Si Tombouctou, Djenné, Mopti et le pays Dogon étaient des hauts lieux de tourisme au Mali avant que les djihadistes d’un autre âge ne prennent le contrôle de ce pays, c’est parce que ces lieux offraient des architectures originales et surtout de nombreux monuments chargés d’histoire. Qu’avons-nous fait de la Pyramide, ce bâtiment tant décrié lors de sa construction, mais qui a fini par devenir le symbole de la ville d’Abidjan, comme ce fut le cas de la Tour Eiffel à Paris ? Que reste-t-il de la maison habitée par Samory Touré, des premières résidences d’Houphouët-Boigny avant qu’il ne devienne président ? Et celles qu’il a habitées lorsqu’il était président ? Qu’a fait le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de son siège historique de Treichville ? Et celui de Yamoussoukro ? Houphouët-Boigny y avait installé une horloge florale, comme celle de Genève. Celle-là existe toujours, depuis je ne sais combien de siècles. Celle de Yamoussoukro par contre a disparu en même temps que le créateur du Yamoussoukro moderne. Le bâtiment qu’elle ornait a aussi disparu, saccagé. Le beau lycée scientifique construit par Houphouët-Boigny est aussi en ruine. Ô peuple de margouillat qui détruit de la queue ce qu’il a construit de ses pattes !

A Paris, Londres, Rome, Lyon, Pise, Florence, Munich, Washington, Moscou, chaque bâtiment, chaque rue, chaque place, chaque station de métro, chaque arrêt de bus raconte une partie de l’histoire de ces villes, de ces pays. Dans ces pays, chaque souverain a tenu à laisser son empreinte avant de disparaître. Chaque roi a laissé un palais, un château, ou en a achevé un qui était en construction. Les grands évêques ont laissé des cathédrales et des églises magnifiques partout. Des monuments que le plus souvent ils ont commencé à construire en sachant qu’ils ne les verront pas achevés. Plus près de nous, en France, Georges Pompidou a laissé Beaubourg, François Mitterrand a laissé la Grande Bibliothèque de France, la grande Arche de la Défense, Chirac, le musée du quai Branly... le plus souvent lorsque nous visitons ces pays européens nous passons à côté de ces merveilles sans les voir, parce que tout ce qui nous intéresse, nous autres Africains, est les endroits où l’on peut acheter des habits et autres biens de consommation pas cher. Combien d’Ivoiriens vivant à Paris ou Rome ou visitant ces villes ont déjà mis les pieds dans un musée ?

Qu’ont laissé comme empreintes ceux qui nous ont dirigé ici en Côte d’Ivoire ? Je ne parle pas des infrastructures comme les routes, les hôpitaux, université, ponts et autres. Prenons Houphouët-Boigny. Il a pratiquement construit toutes les fondations de ce pays. Mais il a surtout laissé son Versailles, très controversé lors de sa réalisation, qui est Yamoussoukro, avec son palais, sa basilique, sa Fondation pour la recherche de la paix, les grandes écoles entre autres. Quoique l’on ait pu en penser à l’époque, il nous appartient aujourd’hui de les entretenir, d’en faire bon usage et de les transmettre aux futures générations. J’ai du mal à citer ce que son successeur Henri Konan Bédié a laissé comme empreinte, à part le palais de la culture, ce qui est beaucoup. Il a par contre démoli la maison qu’habitait Houphouët-Boigny pour la transformer à son goût. Mais il n’a pas pu l’habiter et notre guerre de 2011 l’a complètement détruite. Robert Guéï est passé en coup de vent et n’a donc rien laissé. Laurent Gbagbo est resté dix ans au pouvoir et avait construit des monuments, au demeurant pour la plupart très moches, à mon goût, à plusieurs carrefours et ronds-points. Ils ont tous été détruits par une population qui croyait qu’ils contenaient des gris-gris qui permettaient aux « refondateurs » de se maintenir au pouvoir. A moins que ce ne soit pour des raisons esthétiques. Alassane Ouattara s’est concentré pour le moment sur les infrastructures. On attend encore son empreinte dans le domaine des monuments. Peut-on citer le nouveau bâtiment de la présidence ?

C’est en fonction de ce qu’ils laissent que les hommes d’Etat occupent une place grande ou petite dans l’histoire de leurs pays.


Le 21/09/21 à 08:26
modifié 21/09/21 à 08:26