Dorris Haron Kasco (photographe, cinéaste) à propos de Hamed Bakayoko: "Il aimait en plus de la musique, l’art pictural"

Dorris Haron Kasco (photographe, cinéaste). (Photo : DR)
Dorris Haron Kasco (photographe, cinéaste). (Photo : DR)
Dorris Haron Kasco (photographe, cinéaste). (Photo : DR)

Dorris Haron Kasco (photographe, cinéaste) à propos de Hamed Bakayoko: "Il aimait en plus de la musique, l’art pictural"

Vous exposez à Abobo depuis quelques jours...
Je suis effectivement présent au Musée des cultures contemporaines Adama Toungara dans une expo collective. Je suis d’autant plus honoré que je partage l’espace avec plusieurs confrères piochés ici et là pour la pertinence de leur travail. Je ne suis pas loin, par exemple, des dessins de notre devancier Bruly Bouabré avec qui je partage le même agent, en la personne d’André Magnin. Et pour cette expo, je propose une série intitulée « Dilogie » qui est une forme de lutte contre les cancers.Il y a tellement de types de cancer que je n’aurai pas pu tous les photographier. J’ai donc choisi d’utiliser le pouvoir de suggestion de l’appareil photo par ses formes hybrides dont l’ordre apparent dissimule le chaos à travers cette dualité de couleurs et de formes. C’est vrai que le résultat fait songer à de la peinture. Mais il s’agit plutôt d’un procédé entièrement photographique, il n’y a aucune goutte de peinture, il s’agit strictement de pixel. C’est ce qui provoque ce mystère qui finit par se dégager avec intensité et sérénité, puissance et douceur, avec couleur et noirceur en clair-obscur.

Et l’expo « Les fous d’Abidjan » qui vous colle à la peau, pourquoi n’en a-t-on pas un bout ?
Je ne peux pas reprocher à des collectionneurs, à des professionnels ou amateurs de photographie d’avoir apprécié et de continuer d’apprécier une série, en l’occurrence « Les fous d’Abidjan ». C’est peut-être la preuve que ce travail a atteint son but qui était d’interpeller les humains, de les inviter à poser un meilleur regard sur ces autres humains, leurs semblables, qu’ils dépassent hélas avec mépris et indifférence. Pour répondre à votre question, Les fous ne sont pas exposés. En revanche, je prépare une rétrospective avec une Fondation de la place qui est crédible et très professionnelle. Comme c’est un travail qui se veut d’envergure, ça prend du temps.

On a tendance à oublier que vous êtes cinéaste. Votre documentaire sur Augustt Cornélius est projeté actuellement.
J’ai fait une prospection à travers tout le pays pour déterminer le patrimoine photographique existant en Côte d’Ivoire. C’était en 1994. Cette prospection a abouti à une exposition intitulée « L’œil du temps » qui a permis de révéler, pour la première fois, le travail de 13 photographes dont Augustt Cornélius Azaglo. Le film documentaire qui est projeté actuellement au musée Adama Toungara est un hommage au photographe né en 1924 et décédé en 2001. Je l’ai filmé une semaine avant sa mort. Une façon de pérenniser nos envies, nos préoccupations dans la mémoire collective.

Vous êtes venu de France pour préparer, semble-t-il, un documentaire ou une exposition relative à la route. Où en êtes-vous avec ce projet ?
C’est exact. Je prépare tous les deux, c’est-à-dire un documentaire, une expo auquel il faut ajouter un beau livre sous la houlette de l’écrivain Alex Kipré. La route a toujours été pour moi l’artère d’une nation. J’avais entamé ce projet sur la route depuis l’Europe où j’arpentais les routes à moto pour en saisir les traits et le tracé. De retour au pays pour une tout autre raison et un tout autre projet, j’avais toujours en tête ce projet conçu que j’ai finalement adapté à nos infrastructures routières et ouvrages d’art depuis décembre 2014, année d’inauguration du pont Henri Konan Bédié. Ce projet de mise en lumière de nos infrastructures est actuellement soumis aux acteurs de la construction et de l’entretien routier. Je suis juste en attente de sa validation car la route est pour moi l’artère de la nation. Et ce type de projets doit être transmis aux plus petits, aux élèves des lycées collèges, afin qu’ils s’approprient davantage leur environnement et assurent la relève. Nous autres artistes et enseignants devons être de véritables passeurs résolument inscrits dans la transmission. Je rêve d’améliorer le regard que les plus jeunes posent sur la société.

Avec le décès d’Hamed Bakayoko, vous perdez un ami de longue date et d’importance.
Vous évoquez Hamed et justement, je m’en étais ouvert à lui par rapport à cette exposition à laquelle il adhérait à 1000%. Il avait promis d'apporter sa caution morale et son haut patronage. Ne perdons pas de vue que c’était certes un ami de plus de 30 ans, mais c'était aussi un amoureux de l’art visuel qui était présent aux différents vernissages. Il réservait assez souvent des pièces. Il aimait, en plus de la musique, l’art pictural. Un tel amoureux de l'art et de la culture ne meurt pas. Son départ est ressenti comme une grande affliction qui me consterne encore et m'invite au déni de cette réalité tragique. Hamed a toujours été un homme d'actions positives. Comme tout bon martial, il a su allier rigueur et détermination. Aimer l'autre ne lui causait aucun problème. Aimable, lui-même, il était singulier et n'a toujours ressemblé qu'à lui-même. Le pire de la mort, faucheuse de vie, c'est de laisser les proches dans une consternation et une irréversible impuissance. Toutes mes condoléances à Yolande et leurs enfants ainsi qu'à sa famille biologique. Que son âme repose en paix. La nation tout entière se souviendra de lui et ce, à travers les actes positifs qu'il a posés ici-bas.

Entretien réalisé par SERGES N’GUESSANT