L'éditorial de Venance Konan: culture et richesse

L'éditorial de Venance Konan: culture et richesse

Le 28/12/20 à 08:52
modifié 28/12/20 à 08:52
Il y a quelques jours, le président de la Fédération interprofessionnelle des boulangers et pâtissiers de Côte d’Ivoire a annoncé que le prix de la baguette de pain pourrait passer de 150 à 350FCfa dans le mois de janvier. Ces propos ont suscité beaucoup d’émotion chez certains Ivoiriens. A cette occasion, nous vous proposons, à nouveau, cette chronique publiée il y a deux ans.
C’est le premier Président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, qui répétait inlassablement cette phrase : « Un homme qui a faim n’est pas un homme libre ; celui qui est écrasé par les préoccupations matérielles n’a ni le temps, ni la force, ni le courage de s’élever au-dessus des contingences immédiates et de se conduire en être pensant. » Il en est de même pour les pays. Comment un pays qui n’arrive pas à nourrir sa population peut-il penser à son industrialisation, à sa modernisation et y parvenir ? Aussi verrons-nous que tous les États industrialisés du monde sont, avant tout, des pays agricoles qui produisent de quoi nourrir leurs populations. Qu’en est-il de nous ? J’ai passé mon enfance dans la petite ville de Ouellé qui était alors un gros village sans électricité ni eau courante et la localité la plus proche était Daoukro. Et chaque fois que quelqu’un y allait, il savait qu’il y avait une chose qu’il devait absolument ramener. C’était du pain. Une camionnette venait de temps en temps de Daoukro pour nous vendre du pain et l’on se bousculait pour se faire servir, jusqu’à ce qu’un Libanais du nom de Hassan construise la première boulangerie de Ouellé. Le pain fait partie, depuis de longues années, de notre culture culinaire. Au kiosque, pour accompagner nos spaghettis, nos salades, nos rognons, notre café « Aboki », dans nos restaurants chics ou le matin, lors du petit-déjeuner dans nos domiciles, il nous faut manger du pain. Du pain fait avec du blé, tartiné de beurre et trempé dans du lait. Et les boulangeries ont fleuri partout, certaines se qualifiant de françaises, ce qui, je suppose, est synonyme de bonne qualité. Pourtant, nous ne produisons pas une seule tige de blé. Le beurre et le lait non plus. Ou très peu. En réalité, plus nous nous élevons dans la hiérarchie sociale, moins nous mangeons africain. Le must étant, bien entendu, la cuisine française accompagnée de vin de grande qualité et de fromage. Ceux qui sont au bas de l’échelle sociale mangent, eux, en plus du pain, le plus souvent, du riz. Du riz qui nous vient, en grande partie, d’Asie. En clair, chaque fois que nous nous nourrissons, nous enrichissons un paysan d’Europe ou d’Asie. Et nous ne comprenons pas pourquoi nos paysans sont si désespérément pauvres, pendant que ceux des autres continents vivent dans ce qui, à nos yeux, est du luxe.

De même, l’élégance chez nous consiste, pour les hommes, à porter un costume avec une cravate. Pour la femme, cela va de la robe à la jupe, en passant par le complet pagne. Quand les hommes ne sont pas en costume, ils portent souvent des chemises sur des pantalons. Ce qui est à noter, c'est que les tissus qui servent à confectionner tous ces habits sont fabriqués ailleurs ou, lorsqu’ils sont fabriqués chez nous tels que le pagne par exemple, les usines sont détenues par des capitaux étrangers. Les chaussures, les chaussettes et tous les autres accessoires tels que les sacs, les montres ou les téléphones portables sont fabriqués ailleurs. Et généralement, lorsque l’on est en haut de l’échelle sociale, on achète rarement ses habits occidentaux ici, malgré la dextérité de nos couturiers. Ce que je veux dire, c'est que lorsque nous nous habillons aussi, nous enrichissons les autres. Sauf nous-mêmes. Et après, nous sommes étonnés que les autres soient riches et nous pauvres.

Qu’en est-il alors lorsque nous voulons entrer en communion avec notre Créateur ? Nous allons en pèlerinage dans un lieu saint. Lieu saint toujours situé sur un autre continent, puisque nous sommes tous, pour l’essentiel, soit chrétiens, soit musulmans. Et comme il faut bien se loger et se nourrir lorsque l’on va en pèlerinage, nous contribuons aussi à enrichir les pays où se trouvent ces lieux saints.

La façon de nous nourrir, de nous habiller, d’entrer en contact avec l’invisible, voilà quelques éléments de notre culture d’Africains d’aujourd’hui qui ne font que nous appauvrir au profit d’autres peuples. On pourrait aussi ajouter les matériaux qui servent à construire nos maisons, à les meubler, les décorer, les appareils qui équipent nos cuisines, nos salons, nos chambres, qui nous permettent de nous déplacer. Que produisons-nous donc ? Nous affirmons, en Côte d’Ivoire, que « le succès de ce pays repose sur l’agriculture. » Mais que produit-elle, cette agriculture ? Du café, du cacao, de l’hévéa, de l’anacarde, de l’huile de palme. Bref, nous sommes, nous Africains, dans ce monde, le peuple qui produit tout ce qu’il ne consomme pas et dont il ne contrôle donc pas les prix. Le peuple qui ne consomme que ce qu’il ne produit pas et dont il ne contrôle pas non plus les prix. Est-ce sorcier de comprendre pourquoi nous resterons toujours pauvres ? Est-il possible d’inverser les choses ? Violente question, comme dirait l’autre. Mais la vraie question est de savoir si nous en avons envie.

Venance Konan


Le 28/12/20 à 08:52
modifié 28/12/20 à 08:52