ENQUETE / Congés anticipés dans les lycées et collèges: Sur les traces des « missionnaires » du délogement des élèves studieux

Mini PP Dessin de presse. ( Rédaction 2 )
Mini PP Dessin de presse. ( Rédaction 2 )
Mini PP Dessin de presse. ( Rédaction 2 )

ENQUETE / Congés anticipés dans les lycées et collèges: Sur les traces des « missionnaires » du délogement des élèves studieux

Université Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan-Cocody, il est 13 H quand débutent nos échanges avec N’Seth Odilon, deuxième secrétaire adjoint à la communication de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI). D’emblée, notre interlocuteur n’hésite pas à dédouaner ses pairs : « Il y a une différence entre une grève et un délogement. Ce sont nos bases qui lancent des mots d’ordre de grève et quand, sur le terrain, on nous barre la route, on utilise la force », clarifie-t-il, furieux.

Le colosse barbu à la chevelure brune explique qu’au lancement de la grève, la FESCI le fait savoir à l’opinion publique et que sur le terrain, elle se sert effectivement de pierres et de gourdins qu’elle trouve pour concrétiser ses intentions. Ce phénomène perturbe profondément les écoles des communes du district d’Abidjan dont Adjamé et Abobo qui sont parmi les plus touchées par la violence.

Tirangué KABA, Directrice du Groupe Scolaire Jacob Williams de la circonscription Adjamé-Attécoubé et présidente de l’Amicale des directeurs d’écoles de ladite circonscription, sur un ton extrêmement posé, élégante derrière ses verres pharmaceutiques, explique : « C’est généralement le matin, entre 09h et 11h que les élèves convergent vers notre école. Ils sont plus d’une vingtaine et sont majoritairement armés de gourdins, pierres et d’armes blanches. Ils s’entassent devant l’école pour semer la zizanie ». Il y a quelques années, continue-t-elle, cette violence a fait une victime chez les policiers avec un agent grièvement blessé, aux alentours du Groupe Scolaire CEMA, théâtre d’un affrontement entre manifestants et forces de l’ordre.

Aux 220 Logements d’Adjamé, même « La Croix-Rouge Cité de l’Enfance », école emblématique et coutumièrement calme à cause de l’institution internationale dont elle porte le nom, n’échappe pas toujours à ce mouvement de violence. Des fois, sa situation géographique la met malencontreusement au centre des actions. C’est M. Silué, Directeur du Primaire au sein de ladite école, qui l’explique, mécontent : « La violence naît à partir des écoles environnantes dont Satigui Sangaré qui sont maintes fois prises d’assaut par les mêmes élèves, approximativement une trentaine. Et ils viennent nous perturber ici ». Il dénonce et fustige certaines administrations scolaires, qui, sans résistance, cèdent aux velléités de ces élèves par moment accompagnés des éléments se réclamant de la Fesci.

Dans la commune d’Abobo, un autre fief des « délogeurs », un élève de quatrième avait succombé à ses blessures l’an dernier. Mathieu Tshessekou, professeur de Philosophie au Lycée municipal d’Abobo, révèle que ce sont quasiment cinquante élèves qui chamboulent, fréquemment, leur programme scolaire. Mais ce phénomène ne se limite pas qu’à Abidjan. Sur place, M. Tshessekou nous met en liaison téléphonique avec Adama Traoré, l’un de ses collègues enseignants au Groupe Scolaire Gbapleu, dans la sous-préfecture de Duékoué. Avec lui, nous apprenons que cette ville de l’Ouest martyrisée par la crise postélectorale de 2010-2011 a semblablement connu les affres de ce fléau scolaire, en novembre 2011. Là-bas, l’attaque du Lycée Moderne de la ville s’est soldée par un drame, avec la mort d’un élève. Le jeune instituteur nous témoigne que le dernier coup de force scolaire dans la ville avait pour arène le Collège privé Alphonse Douati de Duékoué où, selon lui, environ trente élèves, tous fescistes et en tenue scolaire, munis d’armes blanches, ont fait triompher la violence un matin, autour de 10 h : « L’administration de l’établissement a tant bien que mal tenté de s’y opposer mais la fougue des assaillants a pris le dessus ».

Le 11 décembre 2019, le Général Vagondo Diomandé, actuel ministre de la Sécurité et la Protection civile, avait classé Odiénné parmi les villes les moins touchées par ce phénomène, à l’occasion d’un point-presse au Centre national des Matériels Scientifiques (CNMS) à Cocody.

Pourtant, confiné aux cotés des Odiennékas en raison de la fermeture des écoles survenue en mars 2020 en pleine pandémie du Coronavirus, Wilfried Dion, l’un des membres de notre rédaction, enquête successivement au Lycée moderne1 et au Groupe scolaire Mamadou Coulibaly1 de la ville. Il y découvre qu’en 2015, tout comme en décembre 2018, chacune de ces écoles a subi la pire animosité des "missionnaires du délogement", dans des conditions encore plus ahurissantes que celles des écoles sillonnées à Abidjan. A Odienné, les agressions des candidats aux congés anticipés ont poussé les chefs respectifs de ces établissements à faire appel pour réprimer durement le mouvement.

Face à la recrudescence de ce phénomène, la Fesci avait lancé, en décembre 2019, une campagne de sensibilisation dans le milieu scolaire.

Apparemment, cette campagne s’est avérée improductive. Le gouvernement a fini par réagir vigoureusement et 56 élèves, auteurs de troubles pour des congés anticipés, ont été écroués à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (MACA), en décembre 2019.

Jean-Cyrille OUATTARA

Christian KOSSONOU

Wilfried DION

Philippe AKOUA

Rédaction 2