Le débrief: Ça fait mal de voir ça

L'Asec Mimosas a et le Sewé Sport ont joué devant des tribunes à moitié vides.
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Le débrief: Ça fait mal de voir ça

Le débrief: Ça fait mal de voir ça

L’Asec Mimosas a remporté dimanche la 51e édition de la Coupe nationale. Pour ce club phare du pays, c’est la 19e fois qu’il se hisse à ce niveau. Un record qui est fait pour réjouir la « famille jaune et noir ». Il y a 20 ans, on aurait dit la « grande famille jaune et noir ». Parlant de l’Asec qui pouvait se prévaloir d’être le club le plus populaire du pays. Il y a 20 ans, une victoire pareille en finale de la Coupe nationale laissait entrevoir une fête nationale plus populaire, plus festive. Hors cérémonies officielles.

Aujourd’hui, les choses ont changé, constatent les plus anciens. La « grande famille jaune et noir » s’est rétrécie comme peau de chagrin. Cela donne un maigre public au stade Houphouët-Boigny, dans une finale de Coupe nationale. Plus des ¾ des tribunes étaient vides ce dimanche. Le constat est d’autant plus amer que ce match a été offert gratuitement par les autorités, comme le veut la tradition. Quel dommage !

Et pourtant, le foot des années 2000 a gagné en valeur par rapport à celui des années 1900. Le concept a largement évolué du 20e au 21e siècle. De nos jours, le football est beaucoup plus un spectacle qu’un simple sport que quelques curieux ou passionnés viennent regarder. Aujourd’hui, un match est un spectacle à part entière. Les spectateurs font eux-mêmes partie du spectacle. Plus ils sont nombreux et rivalisent d’astuces pour motiver leur équipe, plus le spectacle est beau.

Le foot des années 2000 a plus de moyens. D’abord en terme de ressources humaines, c’est-à-dire les joueurs. Contrairement aux temps anciens, ce sont les familles elles-mêmes qui incitent leurs enfants à emprunter cette voie. Certains parents sont prêts à payer de fortes sommes d’argent pour que leur progéniture embrasse une carrière de footballeur. Alors qu’avant, dans la plupart des familles, l’enfant qui ne s’intéresse qu’au football était pourchassé, battu, séquestré… Il était considéré comme égaré. Il y a ensuite (et enfin) que la grande richesse matérielle et financière du football d’aujourd’hui lui est procuré en grande partie par la mobilisation de spectateurs.

En Afrique et en Côte d’Ivoire, les stades de foot des années 2000 devraient donc être plus remplis que ceux des années antérieures. Puisqu’aujourd’hui, il y a plus de gens favorables au football. Plus de gens y ont intérêt, soit parce qu’être footballeur est désormais un « bon métier » rentable, soit parce qu’il y a une multitude de business qui tournent autour du jeu et qui profite même à des gens qui n’ont pas besoin de savoir taper dans un ballon. Alors, qu’est-ce qui n’a pas marché ?

Le problème, croient certains, c’est qu’en Afrique, on voit très souvent la fin, pas le début. On voit le résultat, pas la manière d’y arriver. Tout le monde a seulement en tête les contrats de plusieurs dizaines de millions voire de milliards que gagne un joueur professionnel, les grosses voitures qu’il roule au pays. Tous ont à l’esprit une carrière en Europe, au Qatar…De sorte que le football local est délaissé, abandonné. Tous croient que le foot ne rapporte qu’à l’extérieur, sans chercher à comprendre pourquoi il est juteux là où il est ainsi.

C’est donc la ruée vers l’occident ou vers des pays pétroliers. Avec tous les moyens, y compris le reniement de la personne qu’on est en réalité. Combien sont les joueurs qui jouent sous une fausse identité, un faux âge ? Ils sont très nombreux, pense-t-on. Dans « le top 10 » de ce qu’il appelle « les joueurs avec un carnet de famille trafiqué », le site Internet 90minutes.fr épingle huit Africains. Les spectateurs (ou téléspectateurs ou e-spectateurs) aussi fuient le local. On voit par exemple émerger des supporters du Barça et du Réal plus motivés à Abidjan que le sont certains Espagnols à Barcelone et à Madrid.

Pour les analystes, le drame de l’Afrique, c’est de vouloir à chaque époque récolter la richesse finale sans chercher à transformer les ressources dont elles disposent. L’Afrique peut se vanter de regorger près de la moitié des meilleurs joueurs de foot de la planète, en plus de son milliard d’habitants, mais elle est incapable de créer sur place son propre marché juteux. Et après, on dira: « ils nous pillent nos richesses » ou encore « c’est nous qui avons les matières premières, mais ce sont eux qui fixent les prix ».

Ça fait vraiment mal de voir le foot africain en général et le foot ivoirien en particulier reculer de la sorte. Parce que derrière ce recul, c’est l’incapacité à transformer sur place les ressources qui grandit. Derrière ce recul, le fossé entre l’indépendance politique et l’indépendance économique grossit. C’est la désillusion qui s’amplifie. En cette période de fête nationale qui commémore l’indépendance de la République, beaucoup sont prêts à dire que ce n’est pas le rêve qu’ont nourri les « pères fondateurs ».

Bonne semaine à toutes et à tous !


Barthélemy KOUAME
barthelemy.kouame@fratmat.info