Électricité en Guinée : Conakry ou la ville des ténèbres

Des groupes électrogènes en vente au marché de Kaloum.
Des groupes électrogènes en vente au marché de Kaloum.
Des groupes u00e9lectrogu00e8nes en vente au marchu00e9 de Kaloum.

Électricité en Guinée : Conakry ou la ville des ténèbres

La chose qui frappe le plus le visiteur à Conakry, c’est, assurément, l’obscurité qui y règne, quand tombe la nuit. Nous avons pu nous en rendre compte pendant notre séjour dans la capitale de la Guinée, du 3 au 14 juin. Quand nous sortons de l’aéroport Gbessia situé dans la commune de Matoto (l’une des communes populaires de la capitale), ce lundi 3 juin, il est à peine 18 h. Vincent, un de nos compatriotes venu nous chercher, précise que nous allons à Kipé, dans la commune de Ratoma (une autre commune populaire). «La route va être longue, parce que c’est une heure de pointe, il y aura des embouteillages», avertit notre hôte. Il est accompagné d’un jeune homme. A 19 h, nous sommes encore dans la circulation. La nuit tombe, les rues sont obscures. «A quelle heure les lampadaires s’allument ici ?», demandons-nous. Nos accompagnateurs se mettent à rire. «Si seulement il y avait de l’électricité dans les maisons, cela nous suffirait certainement», lance Vincent. C’est alors que nous constatons que les quartiers que nous traversons sont aussi obscurs. Nous entrons ainsi dans une ville enveloppée par… les ténèbres.
Aux environs de 19 h 30, nous arrivons à l’hôtel. Il est éclairé à l’aide d’un groupe électrogène. Nous sommes ravi de retrouver la lumière. Mais le bruit du gros moteur posé dans un local spécial dans la cour ne peut nous laisser indifférent. Nous apprendrons que notre hôtel est à un pas de la résidence privée du Président de la République, Alpha Condé, qui a été attaquée le 19 juillet 2011. Bon à savoir. Mais la question de l’électricité ou plutôt de l’obscurité devient une priorité pour nous. Du moins, nous la vivrons dans les communes de Ratoma, Dixinn, Matam et Matoto pendant notre séjour à Conakry.

Le courant par rotation
«Ici, c’est comme ça. Quand on a l’électricité aujourd’hui à partir de 18 h, elle est coupée à partir de minuit. Le lendemain, nous l’avons de minuit à 6 h.  C’est à tour de rôle qu’on nous donne le courant. Il est rare de l’avoir dans la journée alors que des fois, on ne l’a pas du tout même dans la nuit». Mamadou, gérant d’hôtel, à Ratoma, nous donne ainsi le programme de la distribution de l’électricité dans la ville de Conakry. Dans la nuit, les uns ont l’électricité une fois durant quelques heures. Pendant ce temps, les autres attendent. «C’est à cause de cela que mon patron a payé un groupe électrogène. Dès que le courant est coupé, nous le mettons en marche», précise-t-il. Avant de murmurer : «Ça coûte du gasoil. Mais si on ne fait pas ça, on va perdre les clients.» Pour autant, ajoute-t-il, le groupe n’est jamais allumé dans la journée, quoi qu’il n’y ait pas d’électricité. «A cause de la souffrance des populations, Edg est devenue «Ennemi de Guinée» au lieu de «Electricité de Guinée», se moque Mamadou. Pour stigmatiser la souffrance du peuple du fait de la rareté de l’électricité. 
Boubacar, lui, est le gardien de la cour d’un gros bonnet dans la commune de Matoto. «Mon patron a acheté deux grands groupes. Ce sont eux qui alimentent ses installations de jour comme de nuit», confie-t-il. «Il n’utilise pas le courant de Edg. Il ne reçoit donc pas de facture», souligne-t-il, non sans fierté.

à chacun son groupe électrogène
Pour pallier cette situation, les populations se dotent de moteurs ou groupes électrogènes de diverses tailles et puissances, selon leur bourse. Ainsi, dans les quartiers de Conakry, ils sont devenus les principales sources d’électricité. Mais ils font un bruit assourdissant et donnent au visiteur l’impression d’être dans une usine. Car il peut y avoir (et il y a souvent) plusieurs groupes dans une même cour. «On est habitué au bruit ici. C’est notre quotidien», plaisante Boubacar.   
Ces moteurs, on les trouve sur tous les marchés de la place. «Ça marche parce qu’il n’y a pas de courant dans le pays», explique Lamarama, un vendeur de moteurs rencontré au marché de Kaloum. Qui précise que les puissances vont de 2,5 Kva à 10 Kva. Quand les prix varient de 3 millions de francs guinéens (GNF) (environ 214 340 Fcfa) à 35 millions (GNF) (environ 2 500 607 Fcfa), selon la marque et la puissance. «Les clients viennent de partout», salue Lamarama. Sous les regards approbateurs de Hamadou et Salif, ses voisins, aussi vendeurs de groupes électrogènes.

En attendant l’état
Salif précise que la plupart des gros bonnets qui vivent à Conakry et ont des maisons dans leur village les ont dotées de groupes électrogènes. Aucun de ces trois commerçants n’a un abonnement Edg. Mais si Lamarama s’est offert un petit groupe qu’il met en marche de 19 h à 6 h, selon lui, Hamadou et Salif, eux, n’en ont pas. «Je me contente des lampes chinoises. Il y en a une dans chacune des deux chambres, une dans la cuisine et une grande au salon», confie Hamadou. Salif avoue, pour sa part, que c’est un de ses voisins qui lui donne le courant. «Mais chaque fin de mois, je lui donne quelque chose. C’est ma contribution au carburant», justifie-t-il. «On vit comme ça en attendant qu’un jour, le gouvernement de la Guinée nous donne le courant», lâche Lamarama sur un ton de pitié.
Pascal Soro
envoyé spécial
 à Conakry