Santé maternelle/ Dr Raymonde Goudou Coffie :“ 614 décès pour 100 000 naissances, c’est effrayant ! ”

Dr Raymonde Goudou Coffie
Dr Raymonde Goudou Coffie
Dr Raymonde Goudou Coffie

Santé maternelle/ Dr Raymonde Goudou Coffie :“ 614 décès pour 100 000 naissances, c’est effrayant ! ”

Quelle est l’urgence du lancement d’une campagne d’accélération de la réduction de la mortalité maternelle ?

Il y a urgence parce que dans nos pays africains, on a très rarement l’occasion de mettre l’accent sur un aspect très important qui est celui de la mortalité maternelle. En 2009, les Chefs d’Etat africains se sont retrouvés à Addis Abeba, en Ethiopie,  et ont décidé de lancer une Campagne d’accélération de la réduction de la mortalité maternelle (Carmma),  en raison du fort taux de décès lié à l’accouchement sur le continent. Tous les gouvernements devaient faire cette campagne dans leurs pays respectifs. La Côte d’Ivoire n’a pu honorer ce rendez-vous à cause de la décennie de crise qu’elle a connue. Beaucoup de choses ont été faites, mais sans trop d’intérêt,  en ce qui concerne la mortalité maternelle et infantile. Lors des différentes conférences auxquelles nous avons participé, nous nous sommes rendu compte que la pression était mise sur la Côte d’Ivoire pour organiser cette Carrma. Le gouvernement a décidé de lancer cette campagne d’importance  demain jeudi. Ce, sous le haut patronage de la Première Dame, Mme Dominique Ouattara et en présence du Premier ministre, Daniel Kablan Duncan, qui va faire part au monde entier  de l’engagement de notre pays dans ce processus d’accélération de la réduction de la mortalité maternelle.

Quel est l’état des lieux sur cette problématique en Côte d’Ivoire ?

Dans notre pays, l’on enregistre 614 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes. C’est énorme. Encore plus édifiant, nous avons deux décès maternels toutes les trois heures. Ces chiffres ne sont pas certes actualisés, mais c’est effrayant. Cette campagne va donc permettre de conscientiser tout le monde, afin d’engager les leaders d’opinion, les décideurs sur l’importance de la prise en compte de cette Carmma.

La présence de la Première dame est un grand symbole. 

Effectivement. Nous avons souhaité associer  la Première dame,  qui mène plusieurs activités sociales, à cette campagne. Elle s’est toujours engagée auprès des populations vulnérables dans la réduction de la mortalité maternelle. La preuve, récemment, elle a posé la première pierre de l’hôpital mère-enfant à Bingerville. Cela démontre de la volonté de Mme Ouattara de mettre à la disposition des femmes  une infrastructure adéquate qui prend en compte la mère et l’enfant. Il n’y a pas meilleure preuve d’accélération de la réduction de la mortalité maternelle. J’associe les enfants dans mes propos parce que nous avons beaucoup de mères qui décèdent en couches et dont les enfants survivent,  et vice versa.

Le développement de la Côte d’Ivoire passe aussi par la lutte contre la mortalité maternelle…

La Côte d’Ivoire ambitionne d’avoir une économie à deux chiffres. Mais qu’allons-nous faire de ces chiffres si celles qui assurent la pérennité de la nation, celles qui accouchent décèdent pendant l’acte ? Cette campagne est très importante. Plusieurs éléments cités plus haut justifient sa médiatisation. Que la sensibilisation soit faite  et  la ministre de la Santé et de  la Lutte contre le sida que je suis profite de vos canaux pour que toutes les femmes y participent. Surtout le personnel médical.

Quelles sont les causes de ce fort taux de mortalité maternelle ?

Les raisons ! Je dirai qu’elles sont primaires. De nombreuses femmes, à notre époque, ne savent pas qu’elles doivent aller accoucher à la maternité. Quand une grossesse se déroule bien, elles se disent en bonne santé. Et elles confient leur accouchement à la matrone du quartier. Une grossesse peut bien se dérouler et l’accouchement peut être une catastrophe. Deuxième cas, il y a des raisons culturelles. Des époux ne trouvent pas nécessaire que leurs femmes aillent accoucher à la maternité. De tout temps, chez eux, c’est la grand-mère ou la tante qui fait les accouchements à la maison. Comment voulez-vous que ces hommes, même quand ils sont instruits, puissent déroger à cette habitude ? Ils n’en voient pas la nécessité.

La troisième cause concerne la méconnaissance des bienfaits de la planification familiale qui doit être expliquée à toutes les femmes de Côte d’Ivoire. Il y a quatre consultations obligatoires qu’il faut faire lorsqu’on est enceinte. Celle d’avant le troisième mois, celle d’avant le sixième mois, celle qui se situe entre le septième et le huitième mois, puis la dernière,  à partir du neuvième mois,  pour savoir si l’enfant est déjà engagé ou s’il faut passer par une césarienne ou un accouchement par voie basse.

Au-delà de l’engagement du gouvernement par la présence du Premier ministre et ce geste fort qu’a posé la Première dame, quelles sont les actions concrètes que vous allez mener dans le cadre de la réduction du taux de mortalité maternelle ?

La première, c’est celle que je suis en train de faire maintenant. C’est-à-dire sensibiliser les populations à travers les médias. Et surtout les intellectuels qui,  souvent,  n’encouragent pas leurs femmes à aller accoucher à l’hôpital, à aller voir les sages-femmes pour leur délivrer un carnet. C’est pourquoi, dans cette campagne, j’associe les sportifs, les sportives, les  femmes dans leur ensemble.  Je le fais parce que ce milieu est tellement prenant que les sportives qui ont une carrière à gérer prennent des grossesses très tardivement. Ce qui est aussi un handicap. Quand on tombe enceinte à 35 ou 38 ans, on court déjà des  risque, à plus forte raison quand on l’est à 45 ans. Je fais appel aussi aux femmes des médias qui sont concernées au premier chef. Afin qu’elles fassent passer le message sur la consultation prénatale. Il faut sensibiliser les jeunes filles et les femmes. Nous faisons face au problème de fistules, de femmes qui sont tombées enceintes après des viols et qui ne veulent pas se faire consulter parce qu’elles rejettent déjà l’enfant qu’elles portent. La naissance d’un enfant est une grâce divine. Quand on a une grossesse, qu’elle ait été souhaitée ou pas, on a un enfant qui n’a pas demandé à venir.  Il faut lui donner la chance de vivre.

Les cibles de cette campagne sont certes les femmes, mais pourquoi pas  les hommes aussi?

Les hommes doivent se sentir concernés par cette campagne parce qu’ils sont les supports des femmes. Un enfant doit toujours être le bienvenu dans un foyer. Il faut que les hommes accompagnent leurs femmes. Je trouve extraordinaire que des hommes participent aux échographies de leurs épouses. C’est formidable de voir des hommes accompagner leurs épouses aux consultations prénatales et quand elles vont accoucher. Cette fusion-là, je suis sûre qu’elle rejaillit sur l’enfant qui naît. Et ça crée une harmonie. La femme supporte mieux la grossesse lorsqu’elle se sent soutenue par le mari à la maison.

L’essentiel, c’est l’accouchement. Comment faire pour que la mère n’y succombe pas ?

Nous travaillons à travers cette Carmma pour que désormais, aucune femme ne meure en Côte d’Ivoire en donnant la vie. C’est l’objectif du lancement de cette campagne. Cela est possible. Parce que nous travaillons à l’amélioration des plateaux techniques. Nous avons la gratuité ciblée en matière d’accouchement et de césarienne. C’est un engagement de l’Etat de Côte d’Ivoire à soutenir les femmes qui accouchent. C’est pareil pour les enfants de 0 à 5 ans. C’est tout cela que la Carmma va accompagner pour que nous ayons une nette réduction de la mortalité infantile dans notre pays.

Un message à l’endroit du personnel de la santé qui a sans doute une responsabilité dans la vie de ces femmes qu’il reçoit.

Il y a des efforts à fournir par le personnel de santé. L’Etat a joué sa partition dans la prise en compte de l’amélioration des indices salariaux. C’était une raison qui pouvait être source de démotivation. Dès janvier 2014, les indices vont être revus à la hausse. Il n’y a plus de raison pour que le personnel soit démotivé. Si ce n’est le fait qu’on n’a pas soi- même envie de travailler. J’engage donc tout le personnel durant mes tournées. J’ai interpellé les sages-femmes en leur disant qu’elles avaient mauvaise presse en Côte d’Ivoire. Notre devoir est d’améliorer la lecture qu’on fait du travail des sages-femmes en Côte d’Ivoire. Il n’y a rien d’autre pour ces femmes que de faire convenablement leur travail. Elles sont au début de la vie et doivent accompagner le ministère de la Santé et de la Lutte contre le Sida. Nous avons besoin d’elles pour que cette Carmma soit effective sur le terrain. Sans elles, nous n’allons pas la  réussir.

Combien d’enfants conseillerez-vous à une femme ?

Personnellement, je pense que le choix du nombre d’enfants doit être décidé dans le couple. Selon ses ambitions et ses moyens. J’encourage les couples à planifier ce qu’il faut faire dans le foyer.

propos recueillis par

Germaine Boni