Enfants « microbes »: Comment ils sont éduqués, formés et transformés à M’Bahiakro

Enfants « microbes »: Comment ils sont éduqués, formés et transformés à M’Bahiakro

Enfants « microbes »: Comment ils sont éduqués, formés et transformés à M’Bahiakro

Lundi 11 décembre 2017. Il est 7 heures 36 minutes. Un silence total. Pas tout à tout fait. On entend des chants d’oiseaux dans la forêt qui entoure les lieux, une grande cour dans laquelle sont disposés en ligne des bâtiments de couleur grise. Des jeunes, en uniforme gris et orange, sont regroupés en forme de U autour d’un mât soutenant le drapeau national, au milieu de la cour. Deux d’entre eux se détachent des rangs et se mettent sous le drapeau. L’hymne national retentit. Ce qu’on entend n’est pas très enlevé au niveau mélodie. Mais on reconnaît quand même l’Abidjanaise. 7h 39, le drapeau est hissé.

Ici, c’est le centre de resocialisation et d’insertion d’Ouokoukro, village, situé à 9 Km de M’ Bahiakro dans le centre du pays. Ces enfants, au nombre de 110, sont tous des mineurs en conflit avec la loi, communément appelés « microbes ». Ce groupe constitue la cinquième vague formée dans ce centre dans le cadre du programme de resocialisation mis en oeuvre par la cellule de coordination, de suivi et de réinsertion. Tous les lundis, le salut au drapeau est de rigueur. La dizaine de gendarmes qu’on reconnaît à leur tenue : pantalon bleu nuit, tee-shirt rouge et casquette bleue, y veillent scrupuleusement.Un homme, la quarantaine, prend la parole. Il présente le programme d’activités du jour aux enfants en mettant l’accent sur la discipline. C’est le responsable des éducateurs spécialisés, Sékongo Kpayerigué.

Il leur annonce une grande nouvelle. Le départ très prochain de leur groupe du centre. Il se garde surtout de leur indiquer la date exacte du grand jour. « Si tout le monde continue à bien se comporter, vous partirez bientôt! ». En fait « C’est une stratégie pour maintenir la pression. Sinon la date est connue. C’est le 21 décembre 2017 », expliquera plus tard la directrice du centre, Konzo Virginie. Puis, le chef des gendarmes formateurs, le Mdl chef Bolougbeu Goman Francis, annonce les résultats du concours du meilleur dortoir du mois. C’est l’explosion de joie des pensionnaires du dortoir 35 qui viennent d’enlever le super prix. Ils vont recevoir un lot de tee-shirts et de la mayonnaise.

Ce concours ou plus exactement ces concours - il y a aussi celui de l’enfant le plus discipliné - occupent une place importante dans la formation des pensionnaires, dira la directrice du centre. « Il est institué depuis l’arrivée de la première vague d’enfants. La compétition aide à la mise en application des activités qui leur sont enseignées », explique-t-elle, heureuse de ce que le concours rencontre un franc succès auprès des pensionnaires. Les critères sont principalement la propreté, le moins de bruits, le rangement des effets personnels, l’assiduité aux cours et la discipline. 7h56, le rassemblement au drapeau prend fin.

Direction maintenant la cantine pour le petit déjeuner. Et on n’y va pas n’importe comment. Discipline oblige, le déplacement se fait toujours en rang et en chantant. Une demi-heure après, c’est la fin du petit déjeuner (café-painbeurre). Place maintenant aux choses sérieuses. Les cours. Les désormais petits apprentis mécaniciens-auto, soudeurs, menuisiers-ébénistes, maçons, couturiers, courent dans leurs ateliers où les attendent les agents formateurs couplés avec des maîtres artisans. ce lundi, tout le monde est plutôt préoccupé par la préparation des oeuvres que chaque section présentera dans son stand le jour de la sortie, en présence des autorités. Il n’y a donc pas de place pour le jeu. On est au travail dans une ambiance bon enfant. A l’atelier de soudure, sous la direction de Mah patrice, ses 25 apprentis s’acharnent à achever un salon en fer forgé.

Dans leur stand, les visiteurs, notamment leurs parents, auront l’occasion d’apprécier, entre autres oeuvres, des fourneaux à charbon, des grilles de protection et des tables. Juste à côté, des pensionnaires suivent des cours théoriques en mécanique auto. Tandis que d’autres s’activent à installer un démarreur sur un minibus. Leurs formateurs, Ebé Assouakou (mécanique auto) et Agossou Kouakou Jérôme (électricité auto) les suivent et les guident. A l’atelier de couture, rassemblés autour d’une table, les apprenants écoutent religieusement « le patron » Kouhon Raymond leur indiquer les meilleures techniques pour le découpage d’une chemise à bouton.

Le formateur note que ces enfants ont fait beaucoup de progrès. Même appréciation dans les ateliers de menuiserie, de maçonnerie et d’électricité-bâtiment où les choses se déroulent tout aussi bien... toujours en présence d’un éducateur spécialisé. Parce que « ces formateurs n’ont pas l’habitude de travailler avec des enfants qui ont un problème particulier comme ceux-là », rappelle Sékongo Kpayérigué. Ce matin, Sanogo Tara Fatou et Bassandé Abou, tous les deux éducateurs spécialisés, suivent d’un regard sévère le déroulement des cours, respectivement dans les ateliers de menuiserie et d’électricité bâtiment. Ils sont prêts, à tout instant, à ramener à l’ordre tout apprenant auteur du moindre faux pas.

Pendant ce temps, il n’y a pas l’ombre d’un chat dans la vaste cour. Tout est calme. Les dortoirs sont fermés. « Grâce à cette mesure (fermeture des dortoirs), le taux d’absentéisme aux cours est nul », explique-t-on. « L’enfant absent pour cause de maladie, ne doit pas être dans un dortoir mais à l’infirmerie », fait savoir le chef des éducateurs spécialisés.

Les gendarmes, assis aux quatre coins du centre, y veillent. La vaste cour ne reprend vie qu’à midi, heure de la pause déjeuner, quand le sifflet des gendarmes retentit. Le départ à la cantine est alors ordonné. On y va par dortoir, toujours en rangs et en chantant. Débout, les éducateurs suivent de très près le déroulement du déjeuner sur chaque table. La précipitation est bannie. « Tout doit se faire dans l’ordre », crie un éducateur. « Et dans la discipline », renchérit un pensionnaire qui est en train de dévorer avec plaisir son assiette pleine de riz surmontée d’un gros morceau de viande. On est mardi 12 décembre. « Ils mangent tellement bien ici qu’ils ont tous grossi », fait remarquer un agent du centre.

13 heures 45 minutes, c’est l’heure de la sieste. Plus aucune âme dans la cour, ni de bruit provenant des dortoirs. Une heure après, le sifflet des gendarmes perce le silence. Tout le monde court dehors. Encore une fois, regroupement, rangs et marche en chantant. Direction, l’ombre des acacias. Cette après-midi du mardi 12 décembre, l’emploi du temps prévoit un cours de morale et un autre de Droits de l’homme. Les pensionnaires sont scindés en deux groupes. Les uns suivront le cours de morale avec les éducateurs spécialisés. Et les autres, le cours de civisme avec les gendarmes. Sujets du jour : le respect de l’engagement et le droit à la vie tel que prévu par la déclaration des Droits de l’homme. Des thèmes bien choisis pour sensibiliser les enfants à respecter l’engagement qu’ils ont pris de ne plus recommencer leur vilain comportement antérieur, et à se détourner de la violence susceptible d’ôter la vie à autrui. Nombre d’entre eux, comme le jeune W. s. s. venu de Lokota, le promettent déjà.

Pendant une heure, Sékongo Kpayérigué et le Mdl Loukou Kouamé séraphin, par une pédagogie très pragmatique, espèrent amener les enfants à comprendre ce qu’on attend d’eux, au sortir du centre de resocialisation de Ouokoukro. C’est la tâche quotidienne dévolue à ces hommes, ces gendarmes et ces éducateurs spécialisés. Comme ils l’ont fait pour les 664 pensionnaires déjà passés par là.

ALAKAGNI HALA