Avortement clandestin: "J’ai peur d’être stérile", s’inquiète Carole Koffi

Avortement clandestin: "J’ai peur d’être stérile", s’inquiète Carole Koffi

A 22 ans, Carole Koffi est une belle jeune fille. Elle est en classe de première dans un lycée public à Abidjan. A peine sortie de l’adolescence, elle a entamé sa vie sexuelle. En effet, curieuse et inexpérimentée, elle a débuté ses premiers rapports sexuels à l’âge de 18 ans, sans prendre de précaution contraceptive. Cette légèreté l’a rattrapée deux mois plus tard, quand elle s’est retrouvée enceinte. Comment gérer cette grossesse non désirée, quand on a d’un côté un ami au chômage qui ne rassure pas et de l’autre côté des parents peu compréhensifs ? L’avortement se présente comme la seule issue pour sortir de cette mauvaise passe. Mais deux années après cet acte, Carole est inquiète. Pourra-t-elle retomber enceinte un jour lorsqu’elle sera prête ? Entretien.

Pourquoi avoir opté pour un avortement clandestin malgré les nombreux risques ?
Quand j’ai réalisé que j’étais enceinte, j’ai été prise de panique.  Plusieurs idées se bousculaient dans ma tête. Mais une seule certitude me revenait régulièrement, je n’étais pas prête à avoir un enfant. Ensuite comment affronter mes parents ? Ces derniers ignoraient tout de ma vie sentimentale. J’avais peur. Peur des regards de mes amis, des voisins... Peur même de ce bébé à qui je devais donner la vie. Peur de l’accouchement...

Quelle a été la réaction de votre partenaire ? Vous a-t-il soutenue et encouragée dans ce choix ?
A vrai dire, mon copain n’était pas prêt non plus à être père. Il m’a tout de suite encouragée à interrompre cette grossesse. Je pense que l’avortement clandestin est une pratique courante dans son entourage. A l’en croire, ses amis y ont recours pour se débarrasser des grossesses indésirables. J’avoue que cela m’a un peu rassurée. Et puis, la méthode proposée par les amis de mon partenaire était peu coûteuse. Il faut dire que mon copain à 25 ans et est sans emploi. C’est son meilleur ami qui nous a conseillé d’aller voir un vendeur de « médicaments chinois ». (Ndlr: ces produits sont vendus en dehors des pharmacies par des particuliers.)

Pour avoir ces produits, nous avons payé 15000 Fcfa.  Il y avait un produit pour faire tomber l’embryon. Le vendeur m’a ensuite recommandé de boire une sorte de cocktail pour nettoyer mon ventre. J’ai commencé le traitement le même jour. Les effets ont été presqu’immédiats. Mon ventre me faisait très mal après avoir ingurgité le sirop. J’ai ressenti une forte douleur qui me donnait l’impression qu’une boule voulait tomber. Cette sensation insupportable m’a conduite dans la salle de bain. Là, je me suis assise sur le bidet. Je transpirais, mais je devais aussi faire l’effort de ne pas crier de peur d’alerter mes parents...  Au bout de quelques minutes, une boule est effectivement tombée dans la cuvette. Comme une délivrance, j'étais soulagée.

Avez-vous pris la peine de regarder ? Pouvez-vous aujourd’hui décrire cette boule ?
Oui ! C’était une grosse boule de sang.

Passée cette étape, qu’avez-vous constaté les mois qui ont suivi ?
Après cela, le retour des menstrues s’est fait rapidement. Cela m’a réconfortée. Mais actuellement j’ai un autre souci. Depuis cet avortement, je ne suis plus jamais tombée enceinte. Plusieurs fois, mon copain et moi avons eu des rapports sexuels non protégés. Ce qui m’intrigue, c’est que depuis deux ans, et même pendant ma période de fécondité, ou période de fertilité (Ndlr: période correspond au laps de temps durant lequel la probabilité de concevoir un bébé est optimale. Cette période du cycle menstruel se situe pendant les jours précédant et suivant l'ovulation), je ne suis jamais tombée enceinte. J’ai très peur...

Votre angoisse est-elle partagée par votre copain? Qu’est-ce que vous comptez faire ?
Mon copain est visiblement moins préoccupé que moi par ce problème. C’est vrai qu’il ne banalise pas mes préoccupations, mais il ne semble pas réaliser l’urgence de consulter un gynécologue. Il est toujours occupé à faire autre chose chaque fois que je le sollicite à ce sujet. Mais je vous assure que je ne suis pas rassurée...

Quelle est votre plus grande inquiétude ?
Aujourd’hui, j’ai peur (Silence). Jusqu’à présent, je n’ai pas encore pris de grossesse. Est-ce que je pourrai un jour avoir un enfant quand je serai prête ? Sinon, comment comprendre que depuis cet avortement, mon cycle menstruel n’a connu aucun retard alors que nous sommes actifs au plan sexuel. Il n’y a pas eu de nouvelles grossesses. Pas le moindre retard. C’est ce qui m’effraie.

Isabelle Somian
Isabelle.somian@fratmat.info


Dr Yao-N’Dry Akissi Nathalie, directrice des programmes de l’Association ivoirienne pour le bien-être familial (Aibef)

"Risque de stérilité  ou une infertilité  définitive"

Médecin de formation et présidente de la Coalition des organisations de la société civile pour le repositionnement de la Santé sexuelle et la reproduction (SSR) en occurrence la planification familiale, Dr Yao N’dry Nathalie a apporté sa contribution à l’article.

Il est vrai qu’aujourd’hui la question de la grossesse des adolescentes est d’une ampleur importante. L’article soulève la problématique des grossesses non désirées débouchant souvent sur les avortements clandestins. Selon une étude réalisée dans ce cadre, en Côte d’Ivoire, on se rend compte que pratiquement 47% des grossesses non désirées aboutissent à des avortements clandestins. Et tout avortement clandestin s’accompagne de tout ce qu’il y a comme risques.

D’abord, ce n’est pas fait dans un milieu en général hospitalier. On prend des décoctions, n’importe quel produit parce que le désir de la jeune fille c’est d’arriver à faire passer cette grossesse. Elle ne mesure pas les conséquences. Elle a pris des « médicaments chinois ». On ne sait même pas quel est le type de médicaments qu’elle a pris ? Et la rapidité avec laquelle l’avortement est survenu dès la prise de ces médicaments... C’est vraiment des pratiques très dangereuses qui ont eu un impact sur la jeune fille. Il n’y a pas eu de suivi. Qu’est-ce que le médicament a provoqué chez elle ? Les conséquences sont nombreuses. Notamment, un dérèglement  du cycle. Ici, on ne peut pas parler de perforation parce qu’elle continue d’avoir ses menstrues.

En général,  après une grossesse (interrompue), quand on va dans les rapports non protégés très vite, une autre grossesse survient. Il y a un risque réel d’infertilité. Il faut qu’elle rentre dès maintenant en contact avec des médecins qui pourront mieux apprécier son cas, après une consultation. L’Aibef peut également l’aider en ce sens.

A propos de  l’infertilité

On parle d’infertilité chez un couple réel qui est marié et qui  pendant 12 mois (1 an) a des rapports sexuels continus, sans des grossesses. Mais en ce qui concerne ce jeune couple, il y a un risque d’infertilité. Ceci sous-entend qu’il  va se poser des problèmes d’enfants. Ce problème de santé est souvent à la base de séparations ou de divorces dans les couples.

En Afrique, les taux d’infertilité sont les plus élevés du monde. Des statistiques publiées par l’Institut français le 8 mars 2017, lors de la Journée internationale du droit des femmes révèlent: En Afrique,  entre 15% et 30% des couples seraient touchés contre 5% à 10% en Europe. Or c’est en Afrique que les traitements sont les plus rares: seul 1% d’enfants nés par fécondation in vitro sont africains. Des centres d’aide médicale à la procréation (Amp) apparaissent dans les grandes villes africaines, mais ces techniques s’adressent encore à une minorité de privilégiés ».

Urgence d’une consultation

Nous recommandons à cette jeune fille de se rendre dans un centre de santé le plus proche ou à l’Association ivoirienne pour le bien-être familial (Aibef). Ainsi, il lui sera proposé tous les examens pour voir si elle n’a pas de problèmes de santé et lui conseiller d’utiliser des méthodes contraceptives pour se protéger. Toute chose qui lui évitera des cas d’avortements à risques.

IS   


Un aperçu de l'avortement clandestin en Côte d'Ivoire

En Côte d’Ivoire, l’avortement provoqué clandestin constitue un sérieux problème de santé publique. Le constat est que chaque année de nombreuses femmes meurent ou souffrent de douleurs chroniques, de maladies et de stérilité, à la suite d’avortements provoqués clandestins...

Selon une étude réalisée par l’Association ivoirienne pour le bien-être familial (Aibef). « Connaissances, attitudes et pratiques de l’avortement provoqué clandestin en Côte d’Ivoire ». 2008. Abidjan, Côte d’Ivoire, nous avons un bref aperçu des causes, de l’impact et de l’ampleur du phénomène de l’avortement clandestin dans le pays.

Plusieurs résultats ressortent de l’étude. Plus de deux femmes sur cinq interrogées ayant déjà contracté une grossesse ont déclaré avoir avorté au moins une fois. La plupart de ces avortements ont eu lieu durant l’adolescence (15-19 ans) et entre 20 et 30 ans, chez les femmes célibataires, sans niveau d’instruction ou de niveau d’instruction primaire ou secondaire (1er cycle), qui n’avaient jamais utilisé la contraception.

L'étude a, entre autres, révélé que le risque qu’une grossesse contractée entre 10 et 19 ans soit avortée est significativement plus élevé que celui d’une grossesse contractée après 30 ans.

De même, il ressort de l'enquête que la plupart des avortements sont réalisés à domicile par des avorteurs (ses) traditionnels (les) ou par les femmes elles-mêmes avec des plantes ou décoctions ou dans des centres de santé (publics ou privés) où ils sont effectués par curetage par un médecin gynécologue.

De plus, dans la majorité des cas, le partenaire sexuel, auteur de la grossesse, est favorable à l’interruption de celle-ci.

IS