Politique nationale: Eclats et violences, une bombe à retardement

Politique nationale: Eclats et violences, une bombe à retardement

Une Côte d’Ivoire paisible et prospère, une Côte d’Ivoire unie et rassemblée, une Côte d’Ivoire ouverte et accueillante. Hélas ! Des déclarations, les unes aussi assassines que les autres, sont venues, à nouveau, assombrir le paysage politique. Pis, des  discours imbibés de haine l’ont disputé aux propos identitaires à l’occasion des élections municipales et régionales. Conséquence: l’exacerbation des antagonismes sectaires a conduit à des violences et destructions de toutes sortes. Avec mort d’hommes.

Devant ces dérives qui nous plongent dans une atmosphère porteuse de lourdes menaces pour la cohésion sociale, pour le pays, je me sens interpellé. Non pas pour donner des leçons à qui que ce soit, mais plutôt pour …interpeller les acteurs politiques ivoiriens. Pas sur toutes les problématiques de la société ivoirienne, mais sur deux points. L’un à mes yeux, qui relève de la ligne de crête républicaine et l’autre d’une ligne de fond politique, partisane.

Contestation des résultats: la chambre administrative, le bon recours

Le droit de vote, fondement de toute démocratie, est consacré par notre Constitution. Afin de garantir le plein exercice de ce droit, il revient aux juges, lorsqu’ils sont saisis de plaintes sur ce point, de veiller à la bonne application des règles qui l’encadrent. Parce qu’une élection juste est caractérisée par un scrutin sans trucage, le souci du législateur a été de faire en sorte que les résultats des élections reflètent de manière fidèle la volonté des électeurs dont les opinions doivent se traduire de manière correcte en voix et en sièges.

En effet, le citoyen ne saurait, par exemple,  avoir confiance en des conseillers municipaux ou régionaux élus dans des conditions discutables. L’intervention du juge au niveau de l’éligibilité des candidats et après le vote est donc une garantie de la sincérité du vote.

Si le contentieux électoral relève de la compétence du Conseil constitutionnel en ce qui concerne les élections présidentielles, législatives et sénatoriales, la Chambre administrative de la Cour suprême est la juridiction de recours pour les élections municipales et régionales.

Le choix du juge administratif comme juge des élections locales n’est pas fortuit. En effet, la Chambre administrative est non seulement une haute juridiction mais aussi et surtout composée de magistrats expérimentés à la compétence reconnue par leurs pairs. Aujourd’hui présidée par le professeur Pierre Kobo, une icône du droit administratif ivoirien, elle comprend dans sa composition actuelle des conseillers émérites comme Boby Gbaza, Toba Akayé Edouard, Yoh Gama, Yves Ngoran-Theckly, Dedoh Dakouri, Kobon Abé Hubert, Kacoutié N’Gouan, N’Gnaoré Kouadio, Gaudji Koudou Desiré, Niango Aboké Maria, Fatoumata Diakité, Zakpa Cécile, pour ne citer qu’eux.

Les décisions rendues par cette juridiction en matière de contentieux des élections locales, ces dernières années, empruntes de responsabilité et d’impartialité, plaident largement pour sa saisine. Nous en reproduisons quelques-unes pour en témoigner. Non seulement la Chambre administrative n’a jamais pris en compte  l’appartenance des requérants à telle ou telle formation politique, mais elle s’est, à chaque fois, distinguée par des arrêts clairs,  motivés et courageux.

Il faut savoir que le juge administratif est tout d’abord compétent pour rectifier les résultats de l’élection en procédant à la neutralisation des erreurs ou irrégularités dans le décompte des voix qu’il constate, lorsque celles-ci peuvent être déterminées avec certitude. Lorsqu’il ne peut déterminer comment les suffrages ont pu, ou auraient pu, se répartir régulièrement et sincèrement entre les différents candidats, notamment en raison de manœuvres, le juge peut être conduit à annuler l’élection.

Ainsi, il peut aussi déclarer nuls des bulletins validés à tort par le bureau de vote. Cela peut le conduire soit à confirmer les résultats, lorsque les candidats proclamés élus conservent la majorité après la rectification opérée, soit à annuler l’élection de ces candidats et à proclamer élus ceux qui, une fois les résultats rectifiés, obtiennent la majorité des suffrages régulièrement exprimés.

Par ailleurs, lorsque, compte tenu du faible écart des voix ainsi que de la nature et de l’ampleur des fraudes et manœuvres, de l’irrégularité en cause, le juge estime que la sincérité du scrutin a été viciée, il annule l’élection. Car pour lui, il faut, dans chaque cas, voir si les irrégularités sont d’une ampleur telle qu’elles ont bouleversé les résultats, si elles ont eu une influence déterminante et décisive. Parce qu’une requête contenant de simples observations ou qui n’induit pas une remise en cause des résultats ne peut être recevable.

C’est d’ailleurs pourquoi, il faut se féliciter de ce que le Pdci-Rda qui conteste plusieurs résultats des élections locales, par la voix de ses avocats, ait choisi de saisir la chambre administrative. Il importe donc que dans les faits, tous les candidats battus  dans ces scrutins, quel que soit leur parti politique, abandonnent la voie de la violence et des représailles. La Chambre administrative de la Cour suprême leur offre toutes les garanties d’une bonne justice et donc de reconnaissance de leurs droits.

Le Pdci doit-il emprunter tous les chemins ?

En fin de  semaine dernière, Roland Adiko, responsable du Pdci-Rda chargé des élections, a fait cette terrible déclaration à propos de la présidentielle de 2010 : « Est-ce que Gbagbo n’a pas gagné ? Je me pose la question aujourd‘hui. »

Cette sortie aurait sans doute été un simple feu de paille si mercredi à la «  une » du journal Le Nouveau Réveil, quotidien réputé très proche du parti septuagénaire, je n’avais pas lu ces phrases : « Pdci-Rda-Rhdp, la bataille ne fait que commencer » et « Pourquoi Bédié ne porte plus de gants contre Ouattara ».

C’est vrai, les suiveurs et autres irréductibles du Pdci-Rda vont se lécher les babines avec ces affirmations qui indiquent bien que le fossé grandit, chaque jour, un peu plus entre le Pdci et le Rdr, mais au-delà des torts réciproques que chacun de ces partis se fait, n’y a-t-il pas lieu de dire : « Stop. Ne dépassez pas certaines lignes ! »

Quand un couple se sépare après de longues années de mariage, la décence, l’élégance et la pudeur leur interdisent certaines déclarations. A fortiori, des affirmations fausses, tendancieuses et mensongères pour discréditer l’autre, pour tenter de jeter sur lui la honte et l’opprobre.

Affirmer qu’on ne sait pas qui a gagné la présidentielle de 2010 relève d’une mauvaise foi manifeste. Et comme il est établi que la mauvaise foi est le ressort psychologique de la manipulation, on doit s’inquiéter sérieusement. Nous n’en sommes encore qu’aux prémices d’un débat d’arrière-garde, d’arrière-fond qui porte sur la remise en cause de fondements des institutions républicaines et des personnes qui les incarnent, mais si l’on n’y prend garde, si l’on traite toutes ces dérives par-dessus la jambe, il y a fort à parier que la chienlit va s’installer. Et la stabilité du pays sera durablement compromise.

Amédée ASSI