Nicolas Djibo, maire de Bouaké : “ Je veux repositionner la ville de Bouaké ”

Nicolas Djibo
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Nicolas Djibo, maire de Bouaké : “ Je veux repositionner la ville de Bouaké ”

Est-ce difficile d’être un Djibo ?
Non ! Les Djibo sont des citoyens comme les autres. Il n’y a pas de charge particulière à porter ce nom. En revanche, il est évident que Djibo Sounkalo, ayant été une personnalité de premier plan dans la ville de Bouaké, cela peut nous amener à avoir un devoir de représentativité, sans pour autant que cela soit une charge allant au-delà de ce que nous pouvons supporter.

Etes-vous conscient qu’on attend davantage de vous et qu’on vous pardonne moins certaines fautes parce que vous êtes né Djibo ?
Pas encore ! Cela viendra dans le cadre de la gestion de la ville de Bouaké où je sais que je suis beaucoup attendu. Mes fautes ne seront pas tolérées et je dois être particulièrement vigilant.

Des décennies après votre père, vous prenez les rênes de de Bouaké Quel est l’état des lieux ?
C’est la catastrophe : les caisses sont vides et les services ne fonctionnent pas. Le budget n’a pas encore été validé par la tutelle. Les caisses sont vides parce que les recettes municipales  sont au plus bas. Au cours de la mandature de Konan Konan Denis, la ville de Bouaké était dotée d’un budget de trois  milliards et demi. Depuis quelques années, il est de l’ordre de deux milliards. Cela est dû à la faiblesse des recettes. Plus grave, les populations ne sont pas satisfaites de la qualité des services fournis par les agents municipaux.

Vous connaissiez la situation de la ville. Pourquoi avoir accepté de vous lancer dans ce ‘‘bourbier’’ ?
Je me suis lancé dans cette galère pour mettre un terme à ce que j’appellerai la régression de Bouaké. C’est une ville carrefour qui est véritablement au centre de la Côte d’Ivoire. Ce qui oblige tous les opérateurs économiques, en provenance des pays limitrophes, à passer inévitablement par Bouaké.
De par sa position centrale, elle a un potentiel énorme, renforcé par la densité de sa population. C’est une ville qui a, aujourd’hui, près d’un million deux cent mille habitants. Avant la crise de 2002, elle occupait la 2e place dans l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’ouest (Uemoa).

Elle a perdu cette position…
Je le sais. Aujourd’hui, des villes secondaires comme Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) sont classées avant Bouaké, sur le plan économique. Ce sont toutes ces raisons qui m’ont poussé à prendre mes responsabilités et à me présenter à la mairie. 

Vous n’aviez pourtant pas été retenu par votre parti…
Tout à fait et c’est bien la preuve que cette ambition me tenait à cœur…

Vous vous êtes présenté sous la bannière du Rdr, alors que l’on sait que votre famille est d’obédience Pdci. N’est-ce pas un choix opportuniste ?
Non, pas du tout. Là, vous touchez à mon parcours personnel. J’ai été un militant fortement engagé du Pdci. Mais, il y a eu des circonstances où mon parti m’a fait savoir que je ne pouvais postuler à certaines charges et que je devais plutôt accompagner les autres.

Pendant la campagne, vous avez été, avec récurrence, attaqué par vos détracteurs. Certains sont allés jusqu’à ressusciter vos origines étrangères. Comment réagissez-vous ?
Mes origines sont connues. Mon père est d’origine burkinabé et ma mère béninoise. C’est une fierté que je ne vais jamais renier. M’attaquer sur mes origines n’a aucun sens. C’est surtout pitoyable de la part de certains cadres du Rdr dont le combat, pendant des années, a été dirigé contre ce genre de dérives. Aujourd’hui, ce sont eux, qui, à leur tour, se lancent dans cette dérive identitaire. Il n’y a pas de problème au sujet de mon ascendance. Bien au contraire, c’est une fierté pour moi.

N’est-ce pas pour rendre à Bouaké ce que cette ville a offert à votre famille que vous vous  êtes présenté ?
Bien sûr  que dans ma démarche, s’inscrivait cette volonté. Il est évident que je suis, aujourd’hui, un cadre d’un certain niveau dans le pays. Si cette population n’avait pas adoubé le maire Djibo Sounkalo, il n’aurait pas eu les moyens pour éduquer ses enfants. Nous y allons donc pour travailler et ma volonté est de stopper la régression de Bouaké dont je remercie, au passage, la population. Je veux que la ville retrouve son lustre d’antan.

Ce retour d’un Djibo ne cache-t-il pas une volonté de réhabiliter l’œuvre du père ?
Je ne peux parler de l’œuvre de mon père en ces termes. Il est vrai qu’il avait fait de Bouaké une ville où il faisait bon vivre. Nous ne pouvons pas affirmer que ce qu’il a fait a été bafoué. Les circonstances ont fait que Bouaké se retrouve dans cette situation. La crise de 2002 a pesé sur cette ville. Aujourd’hui, il est important de réagir pour sa redynamisation.

Comment comptez-vous la redynamiser ?
J’ai dit, tout à l’heure, que Bouaké doit retrouver son positionnement économique. Ce sera difficile car en une décennie, les autres villes ont réalisé d’énormes progrès, notamment Dakar, la capitale sénégalaise. Je souhaite, toutefois, à la fin de ma mandature, que la ville de Bouaké progresse et occupe une place encore plus importante. Et cela ne sera possible que par la relance de l’économie, la lutte contre la pauvreté qui règne dans nos quartiers. De nombreuses familles n’ont même pas un repas par jour. Pour parvenir au repositionnement économique, il faut s’attaquer au chômage, parce qu’il y a trop de jeunes oisifs dans la ville. Elle représente un pôle en ce qui concerne l’anacarde. Il y a déjà une grande entreprise exerçant dans cette filière. Deux autres arrivent. Ce sont des projets qui peuvent aider à lutter contre le chômage. Il est également important d’inciter les jeunes gens à s’auto employer par la création d’activités génératrices de revenus. Nous sommes en train d’analyser, tout cela, à travers le micro financement, mais aussi un projet de type Pejedec (Ndlr : projet emploi jeunes et développement des compétences), subventionné par la Banque mondiale. Et ce, afin d’aider nos femmes et nos jeunes.

Le Marché de gros devait ressusciter la production vivrière pour que Bouaké soit la capitale qui alimentera la sous-région. Comment entendez-vous vous y prendre ?
Nous avons déjà pris la décision de lancer officiellement les activités du Marché de gros de Bouaké. Cela va se traduire, à partir du 1er septembre, par la mise en place d’une politique lui permettant de retrouver ses activités et d’être le pôle du secteur vivrier de la région du centre, en relation avec les pays de la sous-région. La première décision a été de lui redonner son périmètre de protection. Toutes les activités concernant les cultures vivrières se dérouleront sur ce marché, à partir de cette date.

De quels moyens disposez-vous pour résoudre les problèmes de salubrité, de dégradation de la voirie et du logement ?
Ce sont des projets privés. Concernant le logement, nous demanderons à la Société ivoirienne de construction  et de gestion immobilière (Sicogi) d’intervenir. Il est évident que l’état de délabrement des logements sur l’axe Cidt-université, par exemple, a rendu ce quartier laid. Il est urgent de les réhabiliter. Ces maisons délabrées sont injustement occupées par des personnes et c’est dommage. On va relancer la Sicogi.
Je trouve que Bouaké n’a pas suffisamment bénéficié du programme de logements sociaux en cours à l’heure actuelle. Les logements prévus ne sont pas en nombre suffisant. Il faut renforcer ce programme.

Quelqu’un a dit de Bouaké que c’est d’un ‘‘plan Marshall’’ qu’elle avait besoin…
Je suis entièrement d’accord, car les programmes de réhabilitation ne sont pas à la portée du budget. Vous ne pouvez pas investir plus de 8 ou 10 % de votre budget de fonctionnement. Le nôtre cette année, est d’environ  deux milliards. Si je veux respecter la ligne budgétaire, je ne peux pas investir plus de 220 millions, montant avec lequel vous ne pouvez rien faire. Bouaké a vraiment besoin d’un plan Marshall. C’est un dossier que je vais m’atteler à défendre.

Des pièces de James Houra, Cyprien Kablan Monné Bou ornent vos locaux. Quels sont vos rapports personnels à l’art et à la culture ?
Je ne suis pas un homme très cultivé.

Vous avez bien des lectures… Je ne vous croirais pas si vous souteniez le contraire.
Bien sûr. J’ai des  lectures à caractère politique. J’aime bien lire les biographies. Le dernier livre que j’ai lu est relatif à François Hollande et porte sur son projet de croissance de la France. Il est intitulé ‘‘Et si hollande avait raison’’ ?

Qu’écoutez-vous comme musique ?
Je suis ‘‘fou’’ de la musique mandingue. J’écoute Bembeya Jazz, Salif Kéita. Mais je me suis surpris à aimer le reggae. J’apprécie Ismaël Isaac, Alpha Blondy. J’adore Tiken Jah.

Qu’aimez-vous chez Tiken Jah ? 
C’est quelqu’un de très profond. Et j’aime bien la profondeur de ses textes, de même que les rythmes auxquels il les associe.

Quel regard jetez-vous sur le Zouglou ?
Le Zouglou fait partie de l’identité culturelle de la Côte d’Ivoire. Si vous vous retrouvez, par exemple, au pôle Nord et que vous écoutez cette musique, vous saurez qu’elle provient de la Côte d’Ivoire.

Qu’en est-il du couper-décaler ?
C’est pour les jeunes. Je suis un peu dépassé pour cela.  J’étais plutôt un pro afro-cubain.

Et en ce qui concerne l’Ofi ?
Je vais relancer l’Ofi en 2014. Je suis sur les traces des anciens, non pas forcément pour les faire jouer en qualité de musiciens, mais ils peuvent donner des conseils et encadrer les plus jeunes. Actuellement, je ne peux rien. Je vous ai dit que les caisses sont vides. Je n’ai même pas de budget pour fonctionner parce qu’il n’a pas encore été validé par la tutelle.

Comment comptez-vous réhabiliter le Centre culturel Jacques Aka de Bouaké ? Avez-vous souvenance des liens de votre père avec ce centre ?
C’est un centre qui a été offert par la République de France, par l’entremise de l’ancien ambassadeur de ce pays en Côte d’Ivoire, Raphaël Legg. La culture a toujours été un pilier important, sous la mandature de mon père, qui a favorisé des activités culturelles de haut vol. Des vedettes comme Enrico Macias, Claude François sont venues démontrer leur talent à Bouaké.
Au niveau du théâtre, Adjé Daniel a joué, à plusieurs reprises, des pièces critiques envers les mœurs ivoiriennes et très appréciées par la population. Des troupes françaises ont joué ici.

Quel est votre rapport à La peinture ?
J’aime bien le travail pictural d’Augustin Kassi.

Vous n’avez que des Kassi ?
J’aime bien ses œuvres, mais j’ai aussi des N’Guessan Kra…

Que trouvez-vous à l’écriture de Kassi ?
J’adore les couleurs qui se dégagent de cet art naïf que j’aime beaucoup. J’ai une relation personnelle avec ce peintre. Quand j’étais Directeur général de Gonfreville, nous avons pensé à reproduire un tableau de Kassi sous forme de mappemonde. Il a fait un dessin spécial et j’ai été particulièrement frappé par son talent. Plus tard, je lui ai passé commande d’un tableau personnel. J’ai même contribué à une exposition spéciale sur son œuvre, à l’initiative de Mme Coffie Studer, en y apportant mes collections et celles de mes amis. Ce fut une réussite.
Concernant le Centre culturel Jacques Aka, il fait partie du Programme présidentiel d’urgence. En 2014, je suis convaincu qu’il sera entièrement réhabilité. Lumière, acoustique, confort, climatisation, tout sera refait et mis au goût du jour et aux normes internationales.

Que devient la piscine ?
J’ai visité la piscine municipale. On a l’impression de se retrouver dans une forêt. Des opérateurs veulent la réhabiliter. Mais j’ai peur qu’ils ne puissent pas rentabiliser leur investissement, compte tenu de l’étendue des travaux.
Cependant, je suis prêt à collaborer avec tout opérateur économique qui a des projets, dans ce sens.

Et le carnaval ?
J’ai été approché par des opérateurs qui souhaitent le relancer. Le carnaval est, aujourd’hui, une marque déposée. Beaucoup d’activités ont tenté de ressembler à cette fête. Mais elles en étaient très loin. On ne fait pas de toute manifestation le carnaval de Bouaké. C’est un dossier que je vais suivre de près, pour que cette fête retrouve sa dimension.

Le carnaval, c’était aussi le cheval blanc de Djibo Sounkalo.
Le cheval blanc est un symbole de pouvoir. Mon père avait beaucoup de chevaux. Le blanc était sacré. Il est mort de vieillesse. Moi, j’ai peur des chevaux. Donc,  je ne m’en approchais pas.

La ville de Bouaké, c’est aussi le sport…
Il y a eu de grandes équipes de football (Ndlr : Usran, Gac). De nombreux athlètes  de différentes disciplines sont passés par cette ville. Aujourd’hui, il est question de réhabiliter toutes les infrastructures sportives. En premier, le stade municipal. Il faut arriver à en faire absolument un petit complexe sportif. Puis en construire un vrai et grand, plus tard.
Le golf est aussi un sport important, à mon sens, pour Bouaké. Nous avons neuf trous que je compte étendre rapidement à 18. Le complexe sportif attire les touristes. Je connais des personnes qui, pour le golf, se déplacent. Si je parviens à faire les 18 trous, ceux qui vont à Yamoussoukro souhaiteront venir aussi à Bouaké. En plus, le golf a de très beaux parcours. J’ai été président du golf de Bouaké. Je pratique ce sport.

Quel sera le sort, sous votre mandature, de cet immeuble inachevé entamé par Georges Diby?
J’ai ma petite idée là-dessus. J’aimerais que ce bâtiment soit le siège du District de Bouaké.
Sur ce site, trois collectivités décentralisées cohabiteront: le District, la région et la mairie. Déjà un plan avait été refait, mais je ne sais pas où il est. Peut-être allons-nous mettre en compétition des architectes pour nous en proposer un autre qui respecte l’écriture de Georges Diby.
A cet effet, j’ai déjà approché le président du conseil régional. J’en ai parlé au préfet de région qui a approuvé le principe. J’attends que le nouveau gouverneur soit désigné.

Dans tout ce flot d’actions à mener, quelle est la priorité ?
Ma priorité est de réhabiliter rapidement le Centre culturel Jacques Aka, à défaut, créer un Palais de la culture. Il n’y a pas de salles pour abriter les activités culturelles, devant se dérouler à Bouaké.

Interview réalisée par
Alex Kipre
Collaboration :Anoh Kouao
(STAGIAIRE)