N’dri Kouakou Hervé, un migrant revenu du golf : "J’ai échappé deux fois à la mort"

N’dri Kouakou Hervé, un migrant revenu du golf : "J’ai échappé deux fois à la mort"

N’dri Kouakou Hervé, un migrant revenu du golf : "J’ai échappé deux fois à la mort"

Pourquoi avez-vous particulièrement choisi d’œuvrer à la lutte contre la migration clandestine ?

Parce que j’en suis une victime. J’ai été dans le golfe persique, précisément au Koweït. Je suis donc victime et témoin oculaire du genre de calvaire que vivent les migrants. C’est pourquoi, de retour au pays, j’ai décidé, par le biais de mon Ong, d’aider à la sensibilisation des populations africaines, particulièrement les jeunes.

Quand vous êtes-vous rendu au Koweït et qu’est-ce qui s’est passé là-bas ?

Je me suis rendu au Koweït en 2015. Je n’avais pas particulièrement l’idée d’aller là-bas. Ce qui est vrai, c’est que je voulais sortir de la Côte d’Ivoire et aller en Europe dans l’espoir d’un travail qui pouvait mieux nous nourrir, ma femme et moi. Je suis allé au Koweït par le canal d’une agence qui m’a convaincu d’y aller. Ils m’ont dit qu’au Koweït, il y avait des opportunités et que lorsque tu arrivais, tu n’avais pas à attendre longtemps pour avoir du travail et qu’en plus, c’était bien rémunéré. C’est ainsi que j’ai quitté mon poste de directeur de la Scoop-Ca Coopabin, une société coopérative agricole dans la région de Sinfra, avec pour conseil d’administration Binkadi de Kononfla. Malheureusement pour moi, quand je suis arrivé au Koweït, c’était tout le contraire de ce qu’on m’avait dit. C’était du pipeau.

Cette agence, était-ce une agence de voyage ?

Ce n’était pas une agence de voyage. C’étaient des individus qui traitent avec des agences basées dans les pays du golf, notamment au Koweït, en lien avec quelques passeurs résidant au Mali. C’est un réseau.

Comment avez-vous été accueilli à votre arrivée au Koweït.

Le premier jour de mon arrivée, d’abord, mon passeport a été bloqué. Nous étions six personnes, tous des Ivoiriens. On nous a envoyé dans un lieu inhabité ; une sorte de prison.

Il y avait des Arabes qui avaient besoin de personnes pour aller travailler dans leurs fermes. Parfois, ils avaient besoin de gens pour faire paître les chameaux ou les moutons en plein désert ; donc, ils arrivaient souvent, et nous emmenaient dans le désert. Vous imaginez-vous un responsable qui passe d’un poste de directeur de coopérative à celui de berger dans un désert ? c’était difficile ! Si je suis là aujourd’hui, au pays, c’est par la grâce de Dieu, après toute cette misère. Celui qui n’arrivait pas à supporter était envoyé en prison.

Et comment avez-vous pu revenir en Côte d’Ivoire ?

Comme je l’ai déjà dit, mon passeport m’a été arraché dès le premier jour. Un an après, j’ai eu ma carte de séjour et c’est mon patron qui la gardait. Je n’avais donc pas accès à mes documents. Je subissais aussi des menaces de morts. J’ai échappé deux fois à la mort. Une fois, ils ont envoyé des véhicules 4X4 pour m’écraser dans le désert. Il arrive qu’on te menace avec un pistolet parce que tu réclames ton salaire à la fin du mois. J’ai réussi à m’évader grâce à l’aide d’autres jeunes immigrés africains. J’ai surtout pu m’échapper du désert sur les conseils de l’attaché de protocole de l’ambassade de Centrafrique au Koweït, mahamad Kakil. Lorsque je suis arrivé dans la ville du koweit, je travaillais pour une compagnie de sécurité. Un jour, revenant du boulot, j’ai été appréhendé par la police parce que je n’avais pas de papiers sur moi. Ils ont appelé mon patron pour qu’il vienne me remettre mon passeport, il a refusé. Je me suis retrouvé en prison durant deux mois. Je ne savais pas quoi faire. C’est ainsi que par miracle, j’ai rencontré en prison un autre jeune Ivoirien qui, lui, était prêt à rentrer au pays. Il m’a donné le numéro du secrétaire de l’ambassade de Côte d’Ivoire. Voici comment j’ai pu prendre contact avec celui-ci. Je l’ai appelé et lui ai expliqué mon problème. C’est ainsi qu’il a entrepris des démarches pour me trouver un laissez-passer. C’est avec ce laisser-passer que je suis retourné en côte d’Ivoire. Une fois rentré, j’ai jugé bon de mener ce combat contre l’immigration clandestine. C’est pourquoi nous avons créé l’Ong Lisad pour la Lutte contre l’immigration illégale, secours,          assistance et développement.

Combien de temps a duré votre calvaire au Koweït ?

J’y ai passé environs cinq mois dont trois dans le désert. Si je dois expliquer tout ce qui s’est passé dans le désert, nous n’en finirons pas.

Avez-vous des nouvelles des autres Ivoiriens ?

Il faut dire que les jeunes Africains qui sont au Koweït sont vraiment dans une prison à ciel ouvert.

Nos sœurs sont enfermées dans des maisons où elles travaillent pendant des heures interminables. Elles sont bastonnées, parfois assassinées. Il y a eu plusieurs cas d’assassinat. On a trouvé des jeunes gens pendus dans le dessert. J’ai eu un ami togolais que j’ai rencontré là-bas. Que n’a-t-il pas subi ? Il a été frappé, battu à sang. C’est un miracle qu’il ait réussi à s’évader. En général, tous ceux qui se retrouvent au Koweït se sont bel et bien fait berner par des gens qui leur ont faire croire qu’ils pouvaient y gagner leur vie. A certains, on a même proposé des salaires faramineux. Tous ceux que tu rencontres te disent qu’ils ont été trompés. Il y a des réseaux en Côte d’Ivoire, au Mali, au Ghana, au Burkina, dont le rôle est de pousser leurs frères et sœurs à l’aventure. Et ils leur soutirent de l’argent. Une fois que tu arrives au Koweït et que tu te retrouves entre les mains de ces personnes, on ne peut rien faire pour toi. Au Koweït, les organisations de défense des droits de l’homme sont impuissantes.

Pourquoi ?

Ils disent qu’ils ne peuvent pas changer les lois locales. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est de plaider pour qu’un migrant en difficulté puisse rentrer dans son pays. Ils ne saisissent pas les tribunaux pour des cas de mauvais traitements ou d’abus.

Quelles sont les actions que vous comptez mener avec votre Ong ?

Les actions vont consister, en premier lieu, à sensibiliser la jeunesse en générale et la jeunesse ivoirienne en particulier. Chacun de nous se dit qu’il va aller en Europe pour se chercher, c’est légitime, mais il faut savoir que l’Europe n’est pas l’eldorado qu’on croit. Ce n’est pas le paradis. Le Moyen Orient n’est pas non plus l’eldorado. Je veux donner le message qu’on peut rester chez soi pour gagner plus. Nous qui sommes partis et qui sommes revenus, pas parce qu’on ne voulait pas y rester mais parce que les événements ne nous permettaient pas de rester là-bas. Il est mieux de rester chez soi. En deuxième lieu, c’est d’aider ceux qui sont déjà partis et qui subissent les mêmes tracements. D’où, le terme secours. Aujourd’hui, on parle de la Libye, mais ce n’est pas seulement en Libye que les Africains vivent l’enfer. Il faut remédier à cela. Notre politique est de créer un centre d’écoute d’accueil et d’écoute social. Dans ce centre, il s’agira d’assister ceux qui sont rentrés au pays, puis les aider à se réinsérer dans le tissu socioéconomique. Certes l’Etat ou l’Oim donne des kits, mais cela ne suffit pas. A des gens qui ont perdu des millions, qui ont échappé à la mort ou qui ont subi des tortures, il faut une véritable prise en charge. Si on ne fait rien, ils seront une bombe à retardement. S’ils ne sont pas encadrés, ils peuvent s’adonner à des choses peu recommandables après ce qu’ils ont vécu. Il faut traiter ces problèmes et leurs trouver des solutions. Des gens qui ont perdu leur emploi, sont rejetés par l’entourage, parfois, par leur propre famille, ont besoin d’être écoutés, soutenus.

Que faut-il faire, à votre avis, spécialement pour ceux qui, comme vous, avaient un boulot et qui l’ont abandonné ?

L’ong Lisad veut être l’intermédiaire entre ces victimes et l’Etat ou les services dans lesquels ces personnes travaillaient. Ces pertes d’emplois ne concernent pas que les salariés du privé. Ils concernent aussi ceux du public. Il y en a qui sont encore piégés en Suisse, en Allemagne ou dans le golf et qui ne peuvent pas revenir au pays à cause de la honte. Que devient quelqu’un qui, une fois rentré au pays, n’a plus d’emploi ? Ce sont tous ces cas que nous voulons aider. Nous voulons aussi faire en sorte que ceux qui n’ont pas de formation puissent être formés et insérés dans le secteur de l’entrepreneuriat.

Que dites-vous à ceux qui ont en projet d’aller à l’aventure ?

Je lance un appel aux jeunes Ivoiriens. Celui qui croit qu’en allant en Europe, il va s’enrichir, se leurre. Ça, c’était avant. Les jeunes doivent rester en Côte d’Ivoire, même en faisant un petit métier. Le plus important, c’est de chercher à s’ameliorer dans ce qu’on fait. Croire, de nos jours, que l’Europe est un eldorado, c’est se faire des illusions. C’est un mythe.

 

Interview réalisée par Benoît HILI