Mme Véronique Aka :“ Que le pouvoir et l’opposition se pardonnent...’’

Présidente du conseil régional du Moronou
Présidente du conseil régional du Moronou
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Mme Véronique Aka :“ Que le pouvoir et l’opposition se pardonnent...’’

Vous êtes la seule femme, en Côte d’Ivoire, qui préside un conseil régional, celui du Moronou. Peut-on savoir ce qui a motivé votre candidature ?
J’ai été candidate aux élections régionales pour répondre à l’appel de mes parents qui avaient besoin de moi. Au début, il n’y avait que des candidats. Je me suis dit qu’il fallait que je sois candidate puisque nous parlons d’émancipation de la femme en Côte d’Ivoire. C’est ce que j’ai fait. J’ai tenté ma chance et j’ai gagné.

Quel est votre secret?
(Rires). Mais il n’y a pas de secret. Il y a très longtemps que je suis proche de mes parents. Par conséquent, on se connaît très bien. La preuve : les 14, 15 et 16 février 2014, les femmes de M’Batto ont organisé une cérémonie d’hommage pour m’exprimer leur reconnaissance, leur soutien. Je voudrais remercier le président Bédié qui en assurait le patronage. Il était représenté par Niamien N’Goran, inspecteur d’Etat et vice-président du Pdci-Rda. On remarquait aussi la présence distinguée de l’ancien Premier ministre, Jeannot Kouadio-Ahoussou et bien d’autres personnalités du pays.    

Maintenant que vous êtes élue présidente du conseil régional, quel est le premier défi que vous voulez relever?
Combattre la pauvreté. C’est mon souci majeur. On peut faire de beaux lycées, de grands hôpitaux, on peut tout faire, mais sans argent, comment scolariser les enfants, se soigner, etc. Ne dit-on pas que l’argent est le nerf de la guerre? Quand tu as un peu d’argent, tu te sens bien. Tu te sens bien d’abord dans la tête et puis tu essaies de t’organiser. Mais quand tu n’en as pas, c’est difficile. Avec les jeunes déscolarisés et les femmes, nous sommes en train de voir comment nous organiser pour créer, ensemble, la richesse.

Comptez-vous sur des jumelages pour atteindre cet objectif ?
J’y pense, mais je compte davantage sur les opérateurs économiques, les investisseurs. J’ai beaucoup d’amis avec qui je compte composer. Et j’espère que nous y arriverons.

Sont-ils des nationaux ou étrangers ?
Ce sont des investisseurs étrangers.
D’où viendront-ils ?
De partout. J’ai des amis saoudiens, français, italiens… Je mise beaucoup sur les relations.

Que deviennent vos deux projets, «Une femme, un toit» et «La sensibilisation et l’encadrement des femmes dans la cacaoculture et bien d’autres cultures d’exportation», que vous voulez initier dans le Moronou?
Effectivement, avant les élections, j’étais en contact avec des opérateurs économiques. On voulait voir comment construire des maisons pour les femmes. On cherchait des terrains pour démarrer les travaux lorsque l’Etat a dit qu’il va construire des logements sociaux pour les populations. Je dis aux dames de s’inscrire et l’on verra. Les travaux n’ont pas encore démarré. J’attends parce que je ne veux pas entrer en compétition avec l’Etat.

Quelle sera votre contribution dans ce projet? 
Essayer de trouver des sites et puis encourager, sensibiliser les femmes. Parce que lorsque tu as un toit au village, tu as envie d’y aller.

À combien évaluez-vous votre contribution?
Beaucoup.

Combien exactement? 
Je ne veux pas donner de chiffres maintenant. Si je sensibilise les femmes et qu’elles adhèrent au projet, j’aurai apporté beaucoup. Je travaille avec celles qui sont regroupées en coopératives, en associations. Elles ont de l’argent.

Le 8 mars est la Journée internationale de la femme. Avez-vous un message à l’endroit de vos sœurs ? 
A cette occasion, je demande aux Ivoiriennes et à toutes les femmes qui vivent sur le territoire national de se mobiliser pour se prendre en charge. Aujourd’hui, on parle d’émancipation, d’émergence. Il faudrait que nous fassions tout pour être présentes partout.

Vous avez, il y a quelques années, créé Mi-Moyé, une structure de financement. Quel bilan en faites-vous aujourd’hui?
Le bilan est positif. Car, par le biais de Mi-Moyé, beaucoup de femmes sont devenues autonomes. Il y en a qui ont construit des maisons. J’en tire une grande satisfaction. Je suis très heureuse et je ne regrette pas du tout d’avoir créé cette structure.

Y a-t-il beaucoup d’adhérentes? A combien peut-on estimer leur nombre?
Elles étaient, au départ, 60 mille femmes. Mais maintenant avec l’ouverture des agences à l’intérieur du pays, je n’ai pas une idée exacte du nombre d’adhérentes. Mon souhait est d’étendre les activités de cette structure à toute l’étendue du territoire.

Quelle est l’enveloppe globale que ces 60 mille femmes ont empochée pour réaliser leurs différents projets ?  
Vous aimez bien les chiffres. Pour moi, ce qui est important, c’est la qualité des femmes qui ont travaillé. Toutes celles qui ont des comptes dormants, je ne les considère pas comme des clientes. Je prends plutôt en compte celles qui épargnent.

Voulez-vous dire qu’il y a des femmes qui ne remboursent pas ? 
Ce sont des femmes inconscientes. Quand une femme contracte un prêt pour réaliser un projet, elle doit faire en sorte que ses affaires prospèrent afin de rembourser l’argent qui lui a permis de s’installer. A partir de là, elle se prend en  charge. Mais quand elle dit : ‘’Pardon, je vais voir’’, elle n’est pas responsable. Et le plus souvent, ce sont les femmes des couches sociales faibles qui remboursent. Mais les nanties, non.

Regrettez-vous d’avoir donné de l’argent à ces dames dites grandes?
Oui, je le regrette amèrement. Maintenant, je veux aider les femmes qui sont dans les marchés et qui ont des soucis.

On vous connaît comme une grande battante. De quel parti politique êtes-vous aujourd’hui ?
De quel bord politique étais-je avant ?
à vous de répondre!
Je n’ai jamais bougé. J’étais, je suis et je resterai au Pdci-Rda.

Quels sont vos rapports avec le président de votre parti, Henri Konan Bédié?
(Rires). Le président Bédié est gentil. Il ne m’a jamais chassée de son parti. Je n’ai jamais eu de problème avec lui. Il n’est pas mon ami, c’est le doyen de notre grande région. Mais j’ai compris que tout le monde souhaiterait être dans ses bonnes grâces et me rejeter. Ayant compris cela, je ne veux plus leur en donner l’occasion.

à qui faites-vous allusion ?     
Aux cadres de chez nous qui veulent être en de bons termes avec le président Bédié et me voir en disgrâce avec lui. Je dis, ça jamais !

Vos relations avec l’ancien ministre Amah Téhua avaient connu un froid un moment. Qu’en est-il aujourd’hui ?
C’était la même chose. Il fallait que les gens nous séparent pour mieux régner. Mais là encore, ils n’ont pas réussi aussi. Amah Tehua n’est pas mon amie, elle est plutôt ma maman. C’est moi qui ai suscité cette amitié, parce que nous ne sommes pas de la même génération. Par conséquent, je lui dois beaucoup de respect. Etant toutes deux membres du même parti, elle m’a ouvert ses portes. Mais les gens sont passés par tous les moyens pour nous séparer. Ils savaient que nous sommes deux têtes fortes et ils en avaient peur. Ma sœur Amah Téhua et moi avons compris cela.

Peut-on dire qu’Amah Téhua et Aka Véronique forment une complicité au profit de la région ? 
Bien sûr.

Qu’est-ce que la région peut attendre concrètement de vous ?
On a beaucoup fait pour notre région parce qu’on ne parle que de nous deux. Les autres sont de nouveaux modèles qui ne font que nous imiter.

Avez-vous tendu la main à votre adversaire lors des élections régionales, l’ancien ministre Ahoua N’Doli Théophile? 
Lui aussi est un aîné. Nous ne sommes pas des promotionnaires. Je n’ai pas de problème avec lui. Bien au contraire, j’ai beaucoup d’estime pour lui.

Pourquoi alors vous êtes-vous présentée contre lui ?
Je l’ai dit tantôt. Je n’ai fait que répondre à l’appel de mes parents.

Quels sont vos rapports avec l’actuel président ivoirien, Alassane Ouattara ? 
Nos rapports sont bons.
Et avec l’ancien Président, Laurent Gbagbo…
J’ai la chance. Je suis très bien avec tous les Présidents de la République. Je ne sais pas si le Président Houphouët-Boigny m’a bénie avant de mourir.

Avez-vous travaillé avec le père fondateur de la Côte d’Ivoire moderne?
Non. Je n’ai pas travaillé avec lui. Je suis sa fille. Je mangeais à sa table, je bénéficiais de ses bienfaits. C’était un Monsieur assez spécial. Il était patient, tolérant. Il pardonnait vite parce qu’il était convaincu que tout le monde peut faire des erreurs. Mais il savait aussi que persister dans les mêmes erreurs est diabolique.

Que pensez-vous de l’assignation à résidence de Mme Simone Ehivet Gbagbo?
Je ne suis pas d’accord. Tout comme je n’avais pas été d’accord qu’une dame comme Henriette Diabaté soit incarcérée. Je pense que s’il n’y a pas de crimes et qu’elle a été incarcérée pour des raisons politiques, nous, les femmes, devons nous mobiliser, nous mettre ensemble pour demander qu’on la libère. Je prends mon courage à deux mains pour plaider afin qu’on la libère.

Pensez-vous, en âme et conscience, qu’elle est irréprochable ?
Peu importe. Pour la réconciliation, nous devons nous pardonner pour que chacun apporte sa pierre à l’édifice, contribue à la reconstruction nationale. C’est pourquoi je salue le retour de Marcel Gossio, l’ancien directeur général du Port autonome d’Abidjan et de tous les autres exilés. 
 
Quelle est votre contribution au processus de réconciliation nationale ?  
C’est ce que nous faisons tous les jours. Parce que le processus de réconciliation est une œuvre quotidienne. On doit sentir la réconciliation dans notre langage, notre manière de faire. La paix, on la cherche, on l’entretient tous les jours. Il faut que les Ivoiriens changent. Il faut qu’ils s’aiment et se mettent au-dessus de la politique. Qu’ils soient comme au temps du Président Houphouët-Boigny.


Que devient la section du Réseau des femmes ministres et parlementaires de Côte d’Ivoire dont vous êtes la présidente?
Le Réseau est dormant et c’est ma faute. J’ai traversé des moments très difficiles. La mort de mon mari (Denis Bra Kanon) m’a cassée complètement. Et puis, il y a eu la crise post-électorale. J’ai payé un lourd tribut à cette crise. J’ai donc mis les activités du Réseau en veilleuse. Nous allons redémarrer bientôt parce que c’est un bon outil de développement. Il nous permet de faire des projets de loi, de parler des violences faites aux femmes, des mariages précoces et bien d’autres choses.

Comment voyez-vous la Côte d’Ivoire de demain ?
Je souhaite une Côte d’Ivoire émergente. Je profite de cette interview pour demander aux uns et aux autres de ne pas persister dans la guerre.  Sinon, on dira qu’on n’aime pas notre pays. Nous devons penser à la Côte d’Ivoire où Houphouët-Boigny ne voulait pas voir le sang couler. Il y a eu la guerre. Le sang a malheureusement coulé. Que le pouvoir et l’opposition se pardonnent mutuellement pour retrouver la Côte d’Ivoire d’antan.
Interview

Réalisée par  Emmanuel Kouassi