Jean-Philippe Kaboré : “ Houphouët nous manque pour son esprit d’ouverture et son sens du dialogue ’’

Jean - Philippe Kaboré
Jean - Philippe Kaboré
Jean - Philippe Kaboru00e9

Jean-Philippe Kaboré : “ Houphouët nous manque pour son esprit d’ouverture et son sens du dialogue ’’

Cpi, report de l’audience de confirmation des charges contre Laurent Gbagbo

Je pense qu’il est trop tôt pour tirer des conclusions, comme on le lit dans certains journaux, sur la décision des juges de la Cpi. La demande effectuée auprès des juges a été d’approfondir les charges en vue d’un procès ou non.

Par contre, contrairement à certaines déclarations, nous constatons que la Cpi n’est  pas au service d’un pouvoir politique. Compte tenu de la  qualité des personnes mises en examen et de la nature des faits qui leur sont, a priori, reprochées, l’instruction doit être menée avec objectivité, impartialité et dans le respect du droit de chacun.

Concernant la polémique accusant la Cpi d’être raciste, pour rappel, cette structure a été instituée à la demande des Chefs d’Etat africains. Sa création, en 1998, est l’aboutissement d’une série de tentatives visant à mettre en place une juridiction permanente pour juger et punir les auteurs de génocides ou de crimes contre l’humanité comme au Rwanda ou en ex-Yougoslavie. Faut-il aussi rappeler que c’est à la demande des États africains eux-mêmes que cette Cour ouvre ses enquêtes.

Dans le cas de la Côte d’Ivoire, pensez-vous qu’au regard des incidents graves survenus lors de la crise post- électorale et de la tension palpable qui en a découlé, il aurait été possible de juger sereinement l’ancien Président Laurent Gbagbo sans mettre en danger la stabilité du pays ?

La charte des étudiants

Extirper la violence de l’université en particulier et, de façon générale, dans tous nos rapports sociaux est un objectif prioritaire qu’il faut soutenir avec la plus grande énergie. Cette  violence est, très souvent, le fait de syndicats estudiantins qui n’ont pas vocation à exister sur un campus.

Ce ou ces syndicats se sont toujours imposés par des actes de violence et d’intimidation avec pour conséquence des années blanches au détriment des familles les moins aisées, car les parents qui en avaient la possibilité inscrivaient leurs enfants à l’étranger ou dans les universités privées.

On pensait que la réhabilitation et la réouverture de l’université suffiraient à normaliser la situation.

Espérons que la signature de cette charte permettra aux étudiants de comprendre que développer une conscience politique ou syndicale peut se faire sans violence et sans gêner ceux qui veulent travailler :

« La liberté des uns s’arrêtent là où commence celle des autres ».

Leur avenir est en jeu…

Le Président de la République au Japon

La particularité de cette Ticad, c’est qu’on a senti le Japon désireux de marquer cette 5e  édition en affichant une réelle volonté de la réussir. En effet, il y a associé  la plupart des Chefs d’État et de gouvernement africains,  l’Onu, l’Ua et le Groupe de la Banque mondiale. Le Japon a investi, en Afrique, près de 500 millions de dollars, cette année, mais surtout, il va accorder la somme record de 10 milliards de dollars d’aide au continent, sans compter les 30 000 bourses de formation, les engagements en faveur de projets structurants et de renforcement de la paix et de stabilité sur le continent. Déjà présent sur le continent, ce pays cherche à y renforcer sa présence économique pour être un partenaire de référence comme son voisin chinois, premier investisseur en Afrique.

Tout ceci nous inspire plusieurs réflexions :

L’Afrique, son taux de croissance et sa démographie attirent. C’est, assurément, le  continent d’avenir ! Nous devons saisir « la balle au bond ». Pour nous Africains, ceci doit nous mettre en confiance et nous amener à travailler plus afin de saisir le gisement d’opportunités qui s’offre à nos économies, nos entreprises et notre jeunesse.

Nous, Ivoiriens, devons absolument intégrer que  la Côte d’Ivoire est un grand pays au potentiel très élevé. Par le passé, nous avons été leader dans bien des domaines et avions un savoir-faire agricole, industriel, culturel, etc. Retrouver notre place est possible et nous devons tout faire pour y arriver.

La Côte d’Ivoire est en concurrence avec les autres économies du continent. Pour attirer les projets, les investisseurs et les partenariats, il nous faut être plus attractif que les autres économies et cela commence par la transcendance de nos divisions internes. Nous devons nous comporter, enfin, en nation, c’est-à-dire, aller tous ensemble vers un objectif commun. Pour ce faire, nous n’aurons pas besoin de chercher un remède miracle, il nous suffit juste d’appliquer notre devise : « Union, Discipline, Travail ».

Les clefs de notre succès reposent sur ce triptyque.   

Jusqu’à quand l’Afrique se financera-t-elle à partir de l’épargne des autres nations ?

Si le Japon est, aujourd’hui, capable, dans une période de quasi-récession et sortant d’une crise majeure (Fukushima), d’allouer à l’Afrique 10 milliards de dollars, c’est parce que  ses populations consomment moins qu’elles ne produisent. La différence, leur épargne, constitue ainsi des ressources financières à moyen et long terme. Nous devons nous inspirer de ce modèle et utiliser, au mieux, l’ensemble de nos ressources en ayant à l’esprit que ce que nous épargnons, aujourd’hui, nous rapportera deux fois plus demain et trois fois plus après-demain.

Le prix F.H.B.

La France, par son Président François Hollande, a joué un rôle déterminant dans le règlement de la crise malienne. Elle a su répondre présent, sauver le Mali et préserver la stabilité dans notre région ouest-africaine, mais surtout préserver la vie de femmes et d’enfants maliens. C’est aussi une victoire personnelle pour le Président François Hollande et pour la France qui se refont une image positive en Afrique.

Cependant, relevons quand même que c’est en faisant la guerre de reconquête du territoire malien que le Président François Hollande a obtenu le prix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix. C’est là un des étonnants paradoxes qui jalonnent l’histoire des hommes et des nations.

Mais au-delà du lauréat du jour, nous qui nous considérons comme les enfants et petits-enfants de Félix Houphouët-Boigny, chaque année, à l’occasion de la remise de «son prix», nous commémorons l’illustre homme et personnage politique qu’il était. C’est l’occasion aussi de constater la pertinence et le sens profond de l’ensemble des choses qu’il nous a transmis.

Je relèverais, ici, en particulier, 2 citations qu’il aimait à nous ressasser :

« La paix n’est pas un vain mot, c’est un comportement ».

Nous en avons fait l’amer constat, ces 10 dernières années. Avons-nous tous bien compris le sens profond de cette citation ?

 Si Houphouët était encore là, aurions-nous eu une crise si longue et si grave ? 

« Le vrai bonheur, on ne l’apprécie que loorsqu’on l’a perdu ».

Oui, le Président Houphouët-Boigny nous manque. Il nous manque pour la qualité de la vision qu’il avait pour la Côte d’Ivoire, pour son leadership incontestable, pour son sens politique aigu, pour son ouverture d’esprit, pour sa modernité, pour son sens du dialogue, pour son amour pour le peuple de Côte d’Ivoire…

Actuellement, nous avons besoin d’être unis pour faire face aux défis du développement et gagner le pari de l’émergence. Heureusement que ses enfants, qui, un moment, étaient divisés, aujourd’hui, se parlent et ont décidé d’évoluer ensemble à travers une plateforme politique commune, le Rhdp. Nous avons besoin d’être ensemble et de taire nos querelles de clocher et de personnes.

Le Mali 

On peut vigoureusement saluer l’intervention française. Sans elle, je pense que le nord Mali serait, aujourd’hui, une vraie zone de non-droit et de trafics en tout genre.

Nous, pays africains, sommes prompts à exiger que les problèmes des Africains se règlent en Afrique par les Africains, mais dans ce conflit, les Africains se sont caractérisés par un temps de réaction interminable, avant de trouver les moyens et la volonté  d’intervenir sur le théâtre des opérations. En fait, la France et le Tchad ont presque tout fait. Il est vrai que nous autres Ivoiriens, sans chercher à nous dédouaner, avions bien d’autres priorités internes à gérer.

Il faut maintenant aider le Mali à se remettre sur les rails de la démocratie. Cela passe par l’organisation de la présidentielle prévue le mois prochain. Sans être pessimiste, cela me semble très peu réaliste de vouloir organiser une élection dans les règles de l’art dans l’ensemble du pays, en y incluant les Maliens de la diaspora et ceux réfugiés dans les pays limitrophes. Je pense, pour ma part, que se fixer un calendrier contraignant, c’est bien, cela permet de maintenir tout le monde sous pression, mais il faut bien faire attention à ne pas griller les étapes nécessaires et le regretter, plus tard, en créant les germes d’un conflit d’une autre nature. 

La Syrie 

Peut-on s’en sortir sans intervention armée ?

Il ne s’agit pas, ici, d’une lutte entre États, mais d’une guerre civile entre deux sous-groupes dont la minorité est soutenue par son chef au pouvoir par la force, comme en Irak.

La Syrie est, aujourd’hui, aidée par l’axe Téhéran – Moscou – Pékin et chacun le fait pour des intérêts particuliers. Pour l’Iran, la Syrie est l’élément clef de son influence au Moyen-Orient, à travers notamment le Hamas et le Hezbollah. S’il perd cet allié, c’est toute sa politique au Moyen-Orient qui s’écroule.

En ce qui concerne la Russie, Moscou ne veut surtout pas créer un précédent afin d’empêcher qu’un jour, l’Onu soit tentée d’intervenir dans ses affaires intérieures. Quant à la Chine, elle affirme que le soutien des Occidentaux et de la Ligue arabe à l’opposition syrienne rend la guerre civile inévitable. Mais, à l’instar des Russes, Pékin ne veut pas qu’une intervention en Syrie ouvre la porte à des interférences futures dans ses affaires domestiques. Comme l’Iran, Moscou considère, en outre, la Syrie comme sa pièce maîtresse au Moyen-Orient depuis plusieurs décennies. C’est une question de prestige pour la Russie dont l’influence dans le monde n’a fait que décliner.

Mais c’est aussi une question d’argent. Les exportations d’armes russes en Syrie représentent près de 5 milliards de dollars, sans oublier que le port de Tartous est la seule base navale russe en Méditerranée.

Au regard de la situation actuelle, une solution militaire serait un désastre pour toute la région, car les soutiens de la Syrie ne reculeront pas. Seule la voie diplomatique et le dialogue peuvent, à terme, permettre de trouver une issue à ce conflit. Il faut éviter une solution comme en Libye car les conséquences seraient très graves pour les populations et l’ensemble de la région.

propos  recueillis par

Sylvain Namoya