Immigration irrégulière: Dix ans… pour obtenir un titre de séjour

Les responsables du ministère fédéral allemand des Affaires étrangères en compagnie des journalistes africains invités.
Les responsables du ministère fédéral allemand des Affaires étrangères en compagnie des journalistes africains invités.
Les responsables du ministu00e8re fu00e9du00e9ral allemand des Affaires u00e9trangu00e8res en compagnie des journalistes africains invitu00e9s.

Immigration irrégulière: Dix ans… pour obtenir un titre de séjour

Immigration irrégulière: Dix ans… pour obtenir un titre de séjour

L’Allemagne est confrontée à la dure réalité des immigrants clandestins, spécialement ceux d’Afrique de l’Ouest. Qui transitent par la Libye ou l’Afrique du Nord en général pour atteindre les côtes européennes via par l’Italie ou l’Espagne.

Au total, 170 100 immigrés clandestins ont été accueillis au large des côtes italiennes en 2014, contre 153 842 en 2015 et 180 392 en 2016. En ce qui concerne les Ivoiriens, par exemple, ils sont plus de 12 000 en Italie en 2016 contre 3 023 en 2015.

Au cours de notre séjour, nous avons rencontré, le 15 mai, dans un restaurant, une demi-douzaine d’Africains pour échanger avec eux sur les raisons de leur départ d’Afrique, les chemins empruntés et leurs conditions de vie.

Ce sont des mines tristes, des yeux hagards que nous avons rencontrés. Certains nous dévisageaient. On sentait visiblement qu’ils avaient peur de rencontrer des journalistes africains. Nous étions quatre journalistes (un Ivoirien, un Togolais, un Nigérien, une Sénégalaise) et un homme de la société civile malienne qui lutte pour les droits des immigrés.

Aussitôt installés, ils ont voulu avoir le cœur net avant toute civilité. « Qu’allez-vous faire des informations que nous allons vous donner », lance l’un d’eux. Il a fallu toute la diplomatie des journalistes pour qu’ils soient rassurés. Une des conditions pour qu’ils acceptent de nous parler est que nous ne devons demander ni leurs noms, ni leurs adresses; encore moins le circuit qu’ils ont emprunté et qui les a emmenés au pays d’Angela Merkel.


Les Érythréens et les Somaliens, les privilégiés en matière de demande d’asile

Le seul qui a accepté de parler sans condition (il était d’ailleurs pressé de parler à des journalistes du continent), vient d’obtenir son titre de séjour après… 10 ans d’attente. Il s’appelle Seydou Moukaila. Il dit qu’il est Ivoirien d’origine nigérienne et ghanéenne. Il affirme être titulaire d’un Brevet de technicien supérieur (Bts) en gestion commerciale obtenu au Cbcg de Treichville, à Abidjan (Côte d’Ivoire). Il parle couramment l’agni et le baoulé (deux ethnies de Côte d’Ivoire), le bambara (Mali), le tchui (Ghana), le djerma et l’haoussa (Niger). Seydou Moukaila est mariée à une Espagnole.

Arrivé en Allemagne en 2002, après avoir traversé le sahel, c’est en 2012 qu’il a pu obtenir son titre de séjour. A l’en croire, les autorités allemandes font traîner les choses exprès dans l’optique de les faire retourner dans leurs pays d’origine. Si les Erythréens et les Somaliens sont privilégiés en matière de droit d’asile (à cause de la situation politique dans leurs pays), il n’en est pas de même pour les Ghanéens et les Ivoiriens, par exemple. Car dans ces derniers pays, il n’y a ni instabilité politique ni guerre qui puisse justifier leur départ du pays pour l’Allemagne.


L’asile subsidiaire ou duldung

Seydou Moukaila explique qu’un Africain qui arrive aux portes de l’Europe, bien souvent par l’Espagne ou l’Italie a 98% de chances d’être refoulé qu’un Arabe. En principe, informe-t-il, un immigré qui entre par l’Italie ou par tout autre pays de l’espace Schengen, doit y faire ses papiers. Mais les lenteurs administratives aidant, certains s’échappent pour d’autres pays, notamment l’Allemagne ou la Suisse tout en vivant dans la clandestinité. C’est ce qu’ils appellent l’asile subsidiaire (duldung). Qui dure normalement trois mois, mais qui peut durer dix ans et plus, selon les immigrés avec qui nous avons échangé. Si pendant ce temps l’immigré se fait prendre, il est jeté en prison ou rapatrié dans le premier pays de l’Europe par lequel il est entré dans l’espace Schengen.

Moukaila Seydou raconte le cas d’un jeune guinéen, Ouri Diallo, incarcéré parce que n’ayant pas de titre de séjour et qui est mort calciné dans sa prison. La version officielle disait, selon lui, qu’il s’est brûlé lui-même. Une nouvelle qui a jeté l’émoi dans la communauté africaine au pays de Merkel.

Le cas du voisin de Seydou Moukaila est plus hallucinant. Cela fait un an et neuf mois qu’il a débarqué à Berlin. Il dit avoir pris une embarcation de fortune en Libye pour l’Italie, avant d’atterrir en Allemagne. Il soutient avoir vu périr beaucoup d’Africains dans cette embarcation. Il vit caché depuis son arrivée, en attendant de trouver du travail… au noir. « C’est très dur… », affirme son tuteur, entre deux grands verres de bière, avant d’ajouter : ‘’Avec l’aide de Dieu, tout ira pour le mieux’’.

Ce qui les sauve justement, c’est cette solidarité entre Africains qui fait qu’ils se soutiennent dans les épreuves. Mais il faut éviter de tomber dans les filets de la police. Un autre qui vit depuis près de trente ans dans le pays raconte le cas d’un Africain qui, pour éviter de se faire repérer, a mis de l’acide au bout de ses doigts.


L’Afrique se dépeuple et perd de plus en plus ses bras valides au profit du vieux continent

Le cas de Licka, une étudiante sénégalaise, tranche quelque peu avec l’histoire ahurissante des immigrés clandestins. Elle a rejoint son père, nouvellement affecté à l’ambassade du Sénégal en Allemagne. Si ses conditions de vie n’ont rien à voir avec les clandestins, elle déplore tout de même le manque d’informations des Africains dans leur pays d’origine au point de tenter ces aventures suicidaires en quête de l’eldorado européen. Elle confie d’ailleurs que ses parents, au Sénégal, lui avaient suggéré de ne pas fréquenter la communauté africaine de Berlin, si elle veut apprendre rapidement la langue allemande et si elle veut réussir ses études.

Sur les raisons de leur départ du continent pour, finalement, la vie de misère en Europe, nos interlocuteurs ne passent pas par quatre chemins pour fustiger la mauvaise gouvernance en Afrique, les fruits de la croissance qui ne profitent qu’à une infime partie de la population et l’instabilité politique au point qu’ils disent presqu’en chœur: ‘’Notre avenir est bouché en Afrique’’.

Ainsi donc, l’Afrique se dépeuple et perd de plus en plus ses bras valides au profit de l’Europe qui est en quête d’une main-d’œuvre jeune, parce que sa population a vieilli ; avec un taux de fécondité de 1,5 enfant/femme contre 7 enfants/femme au Niger.


SYLVAIN NAMOYA
Envoyé spécial à Berlin