Hommage à Léon Konan Koffi: Il murmurait à l’oreille de Félix Houphouët-Boigny

Hommage à Léon Konan Koffi: Il murmurait à l’oreille de Félix Houphouët-Boigny
Hommage à Léon Konan Koffi: Il murmurait à l’oreille de Félix Houphouët-Boigny
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Hommage à Léon Konan Koffi: Il murmurait à l’oreille de Félix Houphouët-Boigny

La nouvelle, annoncée le mercredi 30 août dans le quotidien Fraternité Matin : « Léon Konan Koffi n’est plus », avait de quoi satisfaire enfin les colporteurs de rumeurs malsaines qui avaient même, à maintes reprises, annoncé pour mort, ce grand commis de l’Etat qui murmurait à l’oreille du premier Président de la République de Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny. C’était son ministre de l’Intérieur, un de ses hommes de confiance.

Sa mort, mardi, même si elle attriste, les yeux remplis de larmes, les cœurs labourés par l’immense chagrin, ne surprend guère, passée la stupéfaction qui s’en dégage et le refus d’y croire. Il avait 89 ans, sans aucun doute plus, et depuis sept ans, une maladie liée aussi à l’âge l’avait contraint au repos.  

D’ailleurs, la décoration, à titre vivant, à son domicile à la Riviera Golf, le 16 décembre 2015, par le seul parti auquel il a adhéré jusqu’à sa mort, le Pdci-Rda, avait des allures d’une oraison. Ce n’était pas le chant du cygne, mais le signe d’une anticipation. Rendre hommage, avant l’inéluctable. Il était là, le récipiendaire, sans plus. Présent et absent. Cérémonie chargée de tant d’émotions, à l’entrée du salon, comme dans un musée, étaient exposés presque tous les souvenirs de son parcours professionnel : ses photos, ses parchemins, ses nombreuses distinctions, les téléphones…rouges d’un autre âge marqués des initiales PR, avec des antennes d’un temps, d’une époque où avait tant résonné la voix de celui qu’il avait servi avec dévouement : Félix Houphouët-Boigny. Ce jour-là, en présence des membres de la famille, des cadres de sa région, d’une forte délégation du bureau politique du Pdci-Rda, Maurice Kakou Guikahué, secrétaire exécutif, mandaté par le président du parti, Henri Konan Bédié, entonnant le chant mythique du Pdci (En 1946, au pays de Soundjata…), élevait au grade de grand officier dans l’Odre du Bélier, Léon Konan Koffi. Notion de fidélité et d’engagement militants des heures premières.

Il murmurait à l’oreille de Félix Houphouët-Boigny. Ce n’est guère un hasard s’il fut chargé, en tant que président du Comité, d’organiser, tant à Abidjan qu’à Yamoussoukro, ses cérémonies funéraires, en 1994 … Son tour venu, ce n’est pas seulement sa famille qui le pleure ; ce n’est non plus Didiévi, le village d’origine ; ce n’est pas, enfin, le Pdci-Rda, mais la Côte d’Ivoire. Léon Konan Koffi convoque tout cela à la fois :

  • La famille. Il était la loi au sens freudien du terme ; père de 9 enfants ;
  • Le village. Il en était le chef, le patriarche, l’autorité morale intronisée en décembre 1999 ;
  • Le Pdci-Rda. Le plus vieux parti du continent, après l’Anc de Mandela, voit partir un de ses militants des heures glorieuses de la Côte d’Ivoire des premières années de nos indépendances. Aujourd’hui, ne restent plus, à notre connaissance, que deux grandes anciennes figures de ce parti sous la geste de Félix Houphouët-Boigny : l’ex-ministre d’État Camille Alliali de Zahakro et l’ex-ministre résident, Jean Konan Banny de Yamoussoukro.
  • La Côte d’Ivoire. Ce pays perd un de ses grands commis d’État qui aura servi sa patrie avec tant de dévouement à diverses fonctions. Diplômé de l’Institut des hautes études d’Outre-mer (Iheom) de Paris, c’est à 20 ans, en 1948, que commence, palier par palier, sa riche carrière. D’abord sous-préfet à Bingerville, puis à Gagnoa. C’est logiquement qu’il devient le premier préfet pendant quatre ans de la région du Fromager, de 1970 à 1974, lorsque celle-ci est érigée en département. Époques heureuses du temps du parti unique, époques, hélas, secouées par une crise sans précédent : l’affaire du Guébié où Kragbé Gnagbé, un fils du terroir « Visées sécessionnistes et tentatives supposées ou avérées de renversement du régime… tentât de prendre la ville de Gagnoa pour en faire sa capitale», écrit Camille Alliali (In Camille Alliali, Disciple d’Houphouët-Boigny), dix ans après l’indépendance. Après la parenthèse du Fromager, c’est Bouaké, « Bouaké et sa piscine avec ses grandes rues éclairées » (C’était de 1974 à 1981 !) qu’il servira pendant sept ans. Chiffre sans doute symbolique de l’administrateur civil ayant fait ses preuves, il sera reconduit dix fois ministre de l’Intérieur de Félix Houphouët-Boigny.

Ce qu’il a apporté à l’administration ivoirienne est grand. Entre autres : l’accélération du transfert de compétences aux collectivités locales pour une action administrative plus efficace, avec la démultiplication des communes ; l’organisation de réunions biannuelles des préfets, cadre indispensable de rencontre entre les préfets et les membres du gouvernement, dans le but de ramener l’administration auprès des administrés ; l’organisation des élections. Il avait, avant d’occuper ce poste, préparé une équipe prête à partager avec lui ce rêve. En 1987, pour le sérieux, la disponibilité et la rigueur dans le travail, il faisait honorer, par le Grand chancelier Coffi Gadeau, dix de ses collaborateurs les plus proches dans les Ordres nationaux : cinq commandeurs (MM. Dosso Amadou, Régnier Claude, Curney Georges Willy, Harding Philippe, Ipaud Lago Pierre Michel), deux officiers (Diarra Pelkan Marc, Yapo Martial et trois chevaliers (Paul Kalou, Mme Kacou Noëlle, Ouattara Nicole).

Sous les soleils du multipartisme, en 1990, dans le vent fou des marches, il est fait ministre de la Défense dans le dernier gouvernement de Félix Houphouët-Boigny. Á la mort du Chef de l’État, Henri Konan Bédié qui a terminé son mandat le reconduit. Pour le hisser, à partir de 1995, au rang de ministre d’État chargé des Partis politiques et des Cultes. Et faire de lui son conseiller spécial chargé des Affaires religieuses, des Associations et des Ong.

Chevalier, officier, grand officier, commandeur de l’Ordre national, commandeur de l’Ordre de la Légion d’honneur de la République française, après un riche parcours harassant, vieux de 60 ans au moins, le temps était venu pour le patriarche de reposer son corps. Et son esprit. C’est un témoin privilégié de l’histoire de la Côte d’Ivoire qui part. Témoin muet à jamais dans la sombre histoire, entre autres, du Guébié qui a donné naissance à tant d’histoires. Seul regret. Sa mort repose en cela la question du silence des « apôtres » de Félix Houphouët-Boigny. Etranges générations qui ne témoignent guère et qui partent, du fond de leurs tombeaux, emportant des vérités sur notre histoire.

La nation reconnaissante lui saura rendre l’hommage digne de son rang. De sa passion pour son pays.

Par Michel KOFFI