Georges Comninos (CICR) : “ La situation s’est stabilisée à l’Ouest, mais... ”

Georges Comninos, chef de la délégation régionale du Cicr
Georges Comninos, chef de la délégation régionale du Cicr
Georges Comninos, chef de la du00e9lu00e9gation ru00e9gionale du Cicr

Georges Comninos (CICR) : “ La situation s’est stabilisée à l’Ouest, mais... ”

Nous sommes en situation post-crise. Cela a-t-il entraîné un changement dans les activités du Cicr?
Il ne faut pas s’imaginer que, sur le plan humanitaire, tous les problèmes ont été… adressés et solutionnés, en particulier à l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Là-bas, les conséquences résiduelles nous amènent à maintenir nos programmes, notamment  dans les domaines médicaux (soutien aux structures de santé), de la promotion de l’hygiène, du rétablissement des liens familiaux.

Comment gérez-vous donc cette situation?
L’Ouest est une région qui demeure fragile, sur le plan humanitaire également. Grâce à une proximité avec les communautés, un dialogue permanent avec les autorités, et les différentes institutions (notamment les forces de sécurité), nous essayons en tant qu’acteur humanitaire, de répondre aux besoins les plus urgents. Il est important que l’on puisse maintenir cette présence, agir et  partager nos observations et nos recommandations avec les différents acteurs pour pouvoir contribuer à apaiser la situation sur le terrain.

Vous arrive-t-il d’entrer en contact avec les réfugiés pour favoriser leur retour au bercail?
Un certain nombre d’Ivoiriens se retrouvent réfugiés dans les pays limitrophes, en particulier au Liberia. Le Cicr est très actif, conjointement avec la Croix-Rouge de Côte d’Ivoire et celle du Liberia, pour rétablir le contact entre ces familles séparées et faciliter, le cas échéant, la réunion d’un certain nombre d’enfants non accompagnés avec leurs parents qui se trouvent en Côte d’Ivoire.

Vous avez ainsi réuni, en novembre dernier, des enfants avec leurs parents. Quelle est la périodicité de ce type d’opération?
Elle se fait sur une base mensuelle. Chaque mois, nous organisons la réunification d’environ une dizaine d’enfants non accompagnés. C’est un travail de fond qui doit être précédé d’évaluation sur le sol ivoirien pour identifier clairement les parents, pour s’assurer aussi que la réunification sera objectivement possible. Une fois ces conditions réunies, alors, en toute transparence, on organise, techniquement, avec l’accord des autorités ivoiriennes, bien entendu (le ministère des Affaires étrangères notamment), la réunification. Au mois de novembre, pour renforcer les recherches, nous avons du reste lancé une campagne d’affichage pour essayer de retrouver les parents d’une quarantaine d’enfants dont il avait été impossible de retrouver les traces. Chacun est invité à venir consulter ces affiches avec les photos de ces mineurs qui sont placardées dans tous les bureaux Croix-Rouge, dans les administrations locales et divers lieux publics, comme les marchés, les églises et les mosquées…

A ce jour, combien d’enfants avez-vous réuni avec leurs parents ?
En 2012, plus de 200 enfants ont été réunis avec leurs parents en Côte d’Ivoire. Depuis le début de l’année 2013, 88 enfants et adultes vulnérables ivoiriens ont pu être réunis avec leurs familles en Côte d’Ivoire.

Dans quel pays sont identifiés la plupart de ces enfants?
La plupart de ces enfants sont identifiés au Liberia et en Guinée en particulier.

Un an après votre arrivée en Côte d’Ivoire, quel regard portez-vous sur l’évolution des choses?
Sur le plan humanitaire, la situation s’est stabilisée à l’Ouest. On n’est plus dans une situation de crise, d’extrême urgence, mais il convient de souligner qu’il est prématuré de cesser nos programmes dans cette région, parce que certains besoins qui sont la conséquence de la crise subsistent toujours. Des communautés doivent encore bénéficier d’un certain soutien pour reprendre leurs activités agricoles antérieures afin de satisfaire leurs besoins les plus élémentaires. C’est pour cela que le Cicr et la Croix-Rouge de Côte d’Ivoire avaient développé à l’époque un programme de nettoyage, de défrichage de culture de cacao et de café, avec des distributions de semences, permettant aux personnes retournées et à leurs hôtes de regagner assez rapidement leur autonomie.
La plupart de nos programmes sont établis en tenant compte des besoins qu’expriment directement les bénéficiaires. Il est très important d’avoir un engagement des bénéficiaires dans la mise en œuvre des programmes.

Quel bilan peut-on faire de ces opérations?
Ces opérations ont donné de bons résultats, au niveau agricole notamment. Outre cette action d’assistance, nous organisons une mission d’évaluation qui permet de bien mesurer l’impact et la valeur ajoutée de ce programme. Les évaluations que nous avons faites ont démontré des résultats plutôt positifs.
Nous apportons aussi, dans un autre programme, un soutien à un certain nombre de groupes de femmes veuves ou chefs de foyers, directement affectées par le conflit. Pour qu’elles puissent elles aussi avoir une autonomie, nous développons des projets micro-économiques qui leur permettent de retrouver leurs capacités professionnelles et de faire face à leurs besoins. On demande à la personne de présenter un projet. Si ce projet semble viable, on peut l’aider financièrement à le mettre en œuvre. Ça marche très bien, à tel point qu’on a décidé de maintenir ce programme en 2014,

En 2012, vous auriez assisté des dizaines de milliers de personnes. Ces chiffres ont-ils évolué?
Bien sûr, ils ont évolué. Ces statistiques concernent un volet de nos programmes pour la période 2012. Tous les programmes qui ont été développés, conjointement avec la Croix-Rouge de Côte d’Ivoire pendant la crise et juste après la crise électorale ont été beaucoup plus importants, car il y a eu plus d’un million de personnes affectées par la crise.  Il est difficile de donner des chiffres précis, mais il faut retenir que, globalement, nos programmes ont bénéficié à plusieurs centaines de milliers de personnes.

Vous avez réhabilité des pompes villageoises, des maisons, dans les régions de Bloléquin, Toulepleu et autres…
Ces programmes se sont déroulés durant la phase où les déplacés et réfugiés retournaient massivement sur leur terre d’origine. Il était important qu’on leur offre les conditions minimales pour leur permettre de s’intégrer le plus rapidement possible. Dans cette phase d’urgence, ce programme avait sa justification. Aujourd’hui, on est dans une situation qui nous amène à revoir à la baisse ce type de  programmes.

Le Cicr se préoccupe souvent des lieux de détention et des conditions de vie des pensionnaires. On a l’impression que vous vous mêlez de ce qui ne vous
regarde pas…
C’est un domaine d’activité qui est propre au Cicr et qui est réalisé avec l’accord des autorités. En Côte d’Ivoire, nous l’avons développé depuis de nombreuses années. Vous savez qu’au moment de la crise, la situation était un peu particulière. Tout le monde a été affecté par la violence et la plupart des prisons ne fonctionnaient pas ou ont été détruites. Le Cicr a repris ses activités de visite au fil du temps avec toujours comme principal objectif humanitaire de contribuer, avec les autorités, à garantir des conditions de détention et un traitement adéquat pour les personnes privées de liberté.
Les personnes qui ont été arrêtées en raison de la crise électorale et d’autres pour atteinte à la sécurité de l’Etat font l’objet d’une attention particulière et sont suivies individuellement.

L’approche est-elle la même pour les autres détenus ?
Nous avons une approche plus large à l’attention de tous les  détenus. Elle porte sur l’amélioration des conditions matérielles,  de santé, d’hygiène et de nutrition de l’ensemble  des détenus. Tout le monde sait que les prisons aujourd’hui font face à de nombreux défis, dans le sens où la population carcérale ne cesse de croître. Et là, le Cicr développe des programmes en faveur des détenus. Il est important de souligner que non seulement nous proposons  des recommandations, des observations, que nous partageons avec les autorités, mais aussi nous agissons comme un acteur utile qui fait partie des solutions, notamment à travers des actions dans les domaines de l’assainissement, de l’accès à l’eau, de la nutrition  et de la santé.
Bien entendu, il est  principalement de la responsabilité des autorités d’adresser les problèmes, mais nous soutenons ces efforts, comme par exemple à travers l’organisation d’ateliers, tel celui qui a réuni tous les régisseurs des prisons au début du mois d’octobre. Cette rencontre organisée avec le ministère de la Justice a permis de renforcer les capacités des directeurs d’établissement en matière de surveillance nutritionnelle, maintien de l’hygiène, entretien des infrastructures, d’ élaboration et utilisation du budget d’une prison.
Le Cicr peut aider les autorités à mieux faire face à ces défis. Souvent, quand un pays comme la Côte d’Ivoire connaît un certain nombre de priorités, la situation dans les prisons n’est pas considérée comme  urgente.

Les autorités sont-elles réceptives à vos messages?
Je crois que les autorités ivoiriennes ont clairement manifesté une volonté d’adresser ces questions. Elles sont conscientes de la nature de ces enjeux et je pense qu’on peut qualifier le dialogue qu’on a avec elles de constructif. Maintenant, il est important de ne pas baisser la garde. Il est important aussi de ne pas se satisfaire de certaines améliorations, mais chaque fois d’avancer plus loin, puisque l’on parle de défis de très haute importance, pas seulement au niveau des conditions matérielles. Il faut également parler de la question du traitement de ces personnes privées de liberté. Cela aussi fait l’objet d’un dialogue privilégié et discret qui nous permet d’adresser des questions sensibles. .

Le Cicr célèbre ses 150 ans cette année. Que retenir de l’institution à cette occasion ?
Nous sommes une organisation qui, aujourd’hui, doit jouer son rôle dans les situations de conflit. Notre organisation a  aussi développé une expertise dans les domaines des visites de prisons, la promotion et l’intégration du droit international humanitaire. C’est important de dire cette dimension historique, de très large expérience qui a permis à notre institution de jouer un rôle dans pas mal de situations de conflit et post-conflictuelles pour alléger les souffrances des personnes qui en sont affectées.

A l’origine du Cicr, il y avait le Comité de secours aux militaires blessés…
Effectivement. Ce Comité avait été fondé le17 février 1863 par un groupe de citoyens de Genève. La Conférence internationale qui s’est tenue à Genève du 26 au 29 octobre 1863 a formalisé les idées proposées par Henry Dunant dans son livre, «Un souvenir de Solférino.» C’est la naissance du mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Le 22 août 1864, 12 États ont signé un traité relatif au respect et à la protection des soldats blessés et du personnel employé à les secourir : la Convention de Genève est ainsi née.
 

Vous êtes présent en Côte d’Ivoire depuis 1992. Qu’est-ce qui a justifié cette arrivée à l’époque ?
En 1992, il n’y avait pas de raison particulière qui justifiait notre présence en Côte d’Ivoire. Nous avions ouvert un bureau à Man qui servait de base logistique pour nos opérations au Liberia en proie à un conflit meurtrier. Le Cicr a développé une présence dans cette région et à Abidjan, puis au Nord, lorsque la crise ivoirienne a éclaté en 2002. Il y avait des besoins énormes dans cette partie du pays. Le Cicr a eu des activités de très grande envergure, notamment pour assurer, en soutien à la Sodeci, l’approvisionnement en eau de toutes les principales villes du Nord du pays. Nous avons participé au rétablissement de l’accès à l’eau dans des villes comme Korhogo, Bouaké, qui étaient dans une situation de pénurie totale. Dans le cadre de sa mission, le Cicr a eu ce caractère spécifique d’intermédiaire neutre, de pouvoir agir des deux côtés de la ligne de front, de faciliter par exemple l’accès du personnel technique  pour remettre en place le système d’approvisionnement d’eau (la Sodeci dans le cas d’espèce). 
Il est important de souligner qu’en période de crise, l’action du Cicr, en tant qu’organisation humanitaire neutre et impartiale, consiste principalement à apporter une assistance d’urgence aux populations directement affectées par le conflit, qu’elles soient déplacées ou résidentes, ainsi qu’aux personnes blessées ou malades en facilitant notamment leur transfert sur des structures médicales. Le Cicr intervient aussi auprès de toutes les parties pour leur rappeler leurs obligations de protéger et respecter en tout temps les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités.
Interview réalisée par

Elvis KODJO