Franklin Nyamsi : “ Les mots peuvent incendier un pays, tout comme l’apaiser et le protéger ’’

Franklin Nyamsi est professeur agrégé en philosophie
Franklin Nyamsi est professeur agrégé en philosophie
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Franklin Nyamsi : “ Les mots peuvent incendier un pays, tout comme l’apaiser et le protéger ’’

Vous êtes membre du Club international des conférences de l’Assemblée nationale, pouvez-vous nous en parler et dire ses objectifs ?

Le Club international des conférences de l’Assemblée nationale est le reflet d’une double volonté ; d’abord une volonté politique exprimée par le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, de mettre en dialogue, la politique et la science au plus haut niveau de la représentation nationale ivoirienne et inspirer de cette façon, une vie critique, intellectuelle de très haut niveau parmi et avec les parlementaires. De façon qu’ils soient stimulés, mis en situation de partager avec les chercheurs de toutes les disciplines. Ce qui permettrait chaque fois de prendre les décisions les plus éclairées dans l’intérêt du peuple ivoirien. Voilà pour la volonté politique. Il y a l’autre volonté, celle d’un certain nombre d’intellectuels dont moi de participer vraiment à la promotion de l’idée de démocratie, de liberté, de droits de l’homme, de dignités humaines, de justice à travers le continent africain et notamment de se mobiliser contre ce que nous avons appelé très tôt : l’imposture de l’anticolonialisme dogmatique qui consiste à décharger les Africains de leur propre responsabilité dans les drames africains, en se focalisant sur la haine de l’Occident qui, dès lors, devient un fantasme et non pas une réalité objective. Nous sommes donc un certain nombre d’intellectuels engagés depuis pratiquement 20 ans à défendre partout, la nécessité que les Africains démocratisent leurs Etats  sans chercher d’alibis ni de boucs émissaires parmi les étrangers, les nationaux, les Occidentaux, les gens d’une autre race etc.

Votre Club a organisé un colloque à Abidjan. Quels en étaient les objectifs ?

Nous avons observé depuis les indépendances que les grandes crises et tragédies africaines ont été précédées d’épisodes de prise de parole. Les mots peuvent incendier un pays, tout comme l’apaiser et le protéger.  Nous nous sommes dit qu’il serait intéressant, dans un pays comme la Côte d’Ivoire qui a souffert de ce phénomène, de réfléchir sur la question. La parole est multiforme. Elle peut être prise pour enflammer, pour faire tuer, pour exclure, pour décréter que l’autre n’est pas un égal, un homme comme moi. Cette parole qui précède les flammes, le supplice du cerceau, l’article 125. Cette parole qui, en quelque sorte, légitime la violence contre l’autre. Il était temps que nous la posions sur la table de la pensée  et que nous examinions comment la parole devient tragique, criminelle et comment elle peut redevenir fondatrice d’un autre humain de paix, de sécurité, de liberté, de démocratie et de respect entre tous les citoyens des pays africains. Une parole inclusive qui va accélérer donc le processus nécessaire  d’intégration africaine.

Il est très clair que si nos pays africains ne sont pas intégrés, ils ne pourront pas faire face à la mondialisation. Regardez les grands Etats qui s’imposent à travers le monde ; ils sont d’abord de grands ensembles politiques intégrés. Et pour cela, il nous faut un nouveau concept de citoyenneté qui échappe au repli identitaire, sans cependant tomber dans la folie d’une ouverture naïve à l’autre.

Cela n’est-il pas de la  rhétorique scientifique ?

L’Afrique a besoin d’être trop scientifique. Nous voulons élever la conscience critique du citoyen lambda. Si vraiment, ce colloque donne l’occasion aux jeunes générations, aux leaders d’opinions de réfléchir, de devenir trop scientifiques, c’est l’Afrique qui en profitera.

Vous êtes Camerounais et vous soutenez le président de l’Assemblée nationale. Hier, on a vu des Camerounais appuyer les membres de l’ancien régime. Qu’est-ce qui explique l’intérêt des Camerounais pour la Côte d’Ivoire ? 

Je suis l’un des Camerounais qui, si vous voulez, n’ont pas pris dans la crise ivoirienne la posture qu’on observait chez beaucoup d’intellectuels d’Afrique centrale. Les Camerounais ont transféré leurs problèmes à ceux des Ivoiriens pendant la crise. Ils ont un problème avec la France parce qu’au Cameroun entre 1955 et 1971, il y a eu une guerre d’indépendance qui a été durement réprimée par la France. On parle aujourd’hui de plus d’un million de morts ; donc pour beaucoup de Camerounais, partout où la France est présente, il y a un effet d’opposition. C’est comme le taureau qui aperçoit un drapeau rouge.  Les Camerounais foncent la tête baissée uniquement parce que la France est citée. Or le problème du Cameroun n’est pas celui de la Côte d’Ivoire ; les deux pays n’ont pas les mêmes relations avec la France. Je suis d’une partie des Camerounais qui ont leur cordon ombilical lié à la Côte d’Ivoire. Je suis marié à une Ivoirienne. Selon la loi, après quatre années de mariage, on devient Ivoirien. Moi, je vis avec une Ivoirienne depuis quinze ans. Je n’ai donc pas intérêt à prononcer une seule parole qui brûle ce pays puisque ma famille y vit.  Alors Calixthe Beyala, Vincent Onana..., sont, à mon avis, les mercenaires de la plume qui ont fait le travail pour lequel ils ont été rémunérés.

Quels sont les thèmes qui ont été abordés lors de votre colloque ?

Hier, nous avons eu quatre communications. La première était du Pr.  Augustin Diby Kouadio, qui a parlé de la violence comme habitation inauthentique du langage, une manière de refuser de dialoguer. Je suis intervenu personnellement sur la parole tragique en Afrique. J’ai analysé les exemples des radios, par exemple celle des « mille collines au Rwanda » et de ce qui a déclenché ici et qu’on appelait la chasse aux étrangers. J’ai montré comment fonctionne ce langage quand il veut produire la mort. L’après-midi, Mme Oumou Dosso, qui est professeur de musique, a proposé l’interprétation musicale de la violence. Elle nous a démontré comment la musique en général et les derniers genres musicaux qui se sont imposés ces vingt dernières années en Côte d’Ivoire témoignent du type de rapports au langage et à la violence qui s’est emparé de la société. Elle a montré par exemple la différence entre un morceau d’Ernesto Djédjé, qui pendant trente ans, continue d’être agréable à entendre et le dernier morceau du chanteur du zouglou qui est oublié six mois plus tard, l’obligeant à retourner en studio parce qu’on a oublié ce qu’il a dit avant. Tout simplement parce que sa musique est éphémère.             

Nous avons également parlé de la phobie démocratique, c’est-à-dire la peur et la haine de la démocratie, des mécanismes de bouc émissarisation.  Quand dans un pays, les faux problèmes sont posés, comment est-ce qu’on fait pour, en quelque sorte, trouver les prétextes, des alibis pour éviter de poser les vrais problèmes. M. Thomas Poirier, professeur à l’Ecole supérieure des affaires de Paris, a exposé sur cette question. Il y a également eu des communications sur la presse et la violence, sur l’éducation et la violence, comment est-ce que l’école a, malheureusement en Afrique et pas uniquement en Côte d’Ivoire, été le milieu dans lequel se sont développés parfois l’irrespect des aînés, des principes, le mépris de la démocratie elle-même.

Quelles sont les prochaines activités du Club international ?

Le Club international des conférences publiera déjà, dans les prochaines semaines, les actes du colloque sous la forme d’un ouvrage disponible pour le public et qui va s’intituler : « Langage et violence en Afrique, expérience critique ». Le Club organisera dans les six prochains mois, probablement dans un autre pays africain, une conférence dont le thème sera globalement axé autour des problématiques et des politiques de la réconciliation à travers le continent. Nous nous donnons pour objectif, chaque année, de produire quatre conférences quatre endroits différents en Afrique et éventuellement dans la diaspora occidentale.

Etienne Aboua