Élections générales et locales : Les armes lourdes de la Cei contre la fraude

Élections générales et locales : Les armes lourdes de la Cei contre la fraude

Alors que la Côte d’Ivoire toute entière vibre au rythme des élections locales, la grande inconnue sera le score, voire le sort, des partis politiques traditionnels, menacés qu’ils sont par la grande vague des candidats indépendants. Sur les 699 listes en lice pour les régionales et les 88 équipes en course pour les municipales couplées du 13 octobre, plus de la moitié des prétendants sont issus de cette nouvelle armée montante de soldats sans bannière. Ils n’ont pas besoin d’une lettre d’investiture émanant d’une formation politique. Et ils sont de tous les fronts électoraux.

Les indépendants ont obtenu 35 des 225 sièges, aux législatives de 2011.  En 2016, ils ont raflé 76 postes, soit 38.5% des sièges de l’hémicycle. Les indépendants l’ont carrément emporté lors des municipales de 2013, s’offrant 72 localités, contre 65 pour le Rdr et 48 pour le Pdci, pourtant les deux poids lourds des partis politiques. 16 des 66 sénateurs élus aux sénatoriales de mars 2018 étaient des indépendants.  

Le mérite à qui ? Le mérite à des citoyens, hommes et femmes, issus de la classe moyenne, qui sont dans la proximité avec les populations, qui sont à leurs côtés lors des funérailles, des baptêmes et des mariages, contribuent sur fonds propres, à la construction de salles de classes, de dispensaires, de chapelles, aident ces populations à se doter de fontaines, voire de châteaux d’eau…

« Ce n’est pas la Cei qui fait gagner une élection »

S’il est devenu banal de voir un lieutenant s’affranchir d’un appareil politique classique et étaler dans les urnes la troupe alignée par sa formation politique d’origine, le mérite revient aussi à la commission électorale indépendante (Cei) qui, dans ce jeu électoral, à chaque fois, a su tirer son épingle du jeu. Qualifiée de véritable « phénomène », la percée des indépendants est à mettre au crédit de cette machine électorale ivoirienne.  « Ce n’est pas la Cei qui fait gagner une élection », répète le président de la Cei, Youssouf Bakayoko. Plus qu’un slogan, le propos s’est imposé comme un postulat. Depuis 2014, l’actuelle commission est à son cinquième exercice électoral, après la présidentielle de 2015, le referendum et les législatives de 2016, puis les sénatoriales de 2018.

La machine s’est rodée. Mais pas seulement.

Car la Cei a réussi une révolution technique de l’intérieur, à l’ombre des critiques extérieures. L’effort se ressent dans la sécurisation des opérations, observée à plusieurs niveaux.

D’abord, la commission a réussi à faire en sorte que le dépouillement se fasse de manière publique. Ce dépouillement survient immédiatement à la clôture du scrutin, en présence des représentants de tous les candidats. Les procès-verbaux des dépouillements sont désormais auto-carbonés. C’est la plus grande innovation. Résultat, tous les candidats reçoivent la même copie. Par le passé, des agents électoraux remplissaient les procès-verbaux du dépouillement les uns après des autres, avec le risque d’erreurs d’un procès-verbal à un autre.

Dépouillement, compilation, proclamation…

La compilation des procès-verbaux du dépouillement se fait également devant tous, en vidéo projecteur sur feuille Excel. Ce procédé technologique offre une garantie supplémentaire de transparence. Sur place, toujours dans le bureau de vote, chaque représentant de candidat dispose d’une copie de la liste électorale, puisqu’il lui est loisible de s’en procurer auprès des services de la commission. Le candidat, à travers son représentant, s’assure ainsi que l’électeur qui vient voter, figure effectivement sur la liste électorale.

Tous les candidats étant représentés dans les bureaux de vote, chacun s’assure, de bout en bout, du déroulement de l’opération.

 « Tout candidat ou candidat tête de liste, a libre accès à tous les bureaux de vote. Il a le droit par lui-même, par l’un des candidats de la liste ou par l’un de ses délégués, de contrôler toutes les opérations de vote, de dépouillement des bulletins et de décompte des voix dans les locaux où s’effectuent ces opérations, et d’exiger l’inscription au procès-verbal de toutes observations, protestations ou contestations sur lesdites opérations, soit avant soit après la proclamation des résultats du scrutin », dispose, à cet effet, l’article 38 de la loi 2000-514 du 1er aout 2000 portant code électoral.

Cei locales, les maîtres du jeu

Pour les élections locales, les Cei locales sont les postes de contrôle des opérations. Véritables maîtres du jeu, ce sont elles qui proclament les résultats du vote. La Commission centrale est un mirador réduit au rôle de supervision générale. Autonome, la Cei locale consacre l’équilibre des sensibilités et garantit la transparence des opérations électorales, à travers sa composition et son fonctionnement. Sur ses 9 membres, quatre sont issus du groupement politique au pouvoir, quatre autres membres sont issus de l’opposition et un membre représente l’administration. Celui-ci est parfois le représentant du sous-préfet ou du préfet. Le président de la Cei locale joue le même rôle que le président d’un jury de Cours d’Assises. Il est élu parmi ses pairs. Lorsqu’il est issu de l’opposition, son vice-président est désigné parmi les membres du groupement au pouvoir. Et inversement. Lorsque le président et le vice-président sont issus de chapelles politiques, le poste de secrétaire de bureau de la Cei locale échoit au représentant de l’administration. De la sorte, chaque entité occupe un poste. Si beaucoup d’indépendants l’on emporté aux différents scrutins, c’est aussi grâce à ce dispositif anti-fraude.

Dans cette configuration, on peut dire que l’opposition part théoriquement favorisée aux élections locales du 13 octobre, en termes de représentativité. En effet, la décision prise par le Pdci le 24 septembre dernier, de quitter définitivement le groupement politique au pouvoir (le Rhdp), n’influencera pas la composition des Cei locales. La Commission électorale n’ayant pas été saisie d’une telle décision, le Pdci prendra sa place parmi les quatre sièges réservés au Rhdp dans ces Cei locales. Les représentants du Pdci, dans ces conditions, seront, on le devine, plus regardants vis-à-vis de leurs ex-alliés du Rhdp. Les yeux des représentants du vieux parti amplifieront, a priori, le regard de l’opposition dans chaque bureau de vote.

Autant dire que, du point de vue de l’équilibre des forces en présence, la balance penchera en faveur de l’opposition dans une certaine mesure, lors de ces joutes locales.

Certes, une partie de l’opposition peut toujours craindre que la commission électorale soit favorable au régime en place. Il s’agit là, d’un réflexe un peu pavlovien.

D’ailleurs, l’on estime dans les couloirs de la Cei, que si le chef d’Etat Alassane Ouattara a, le 6 Août dernier, promis la recomposition de la Cei dans la perspective de la présidentielle de 2020, c’est moins pour mettre en cause l’administration électorale elle-même, que pour contenter et rassurer les sensibilités politiques. Et obtenir d’elles, une plus grande adhésion de leur part au processus. Encore, purgé des mouvements ex-rebelles, la Cei actuelle n’est pas moins le fruit d’un consensus laborieusement obtenu sous l’arbitrage de l’Ong américaine, le National démocratique Institute (Ndi). Que deux des quatre vice-présidents de la Cei soient issus de l’opposition, montre à quel point la règle de l’équilibre a prévalu à la base.

Benoît HILI