Attaque de Bloléquin : Origines et mobile

LEG   La maison du chef du village, comme bien d’autres maisons, a été incendiée par les assaillants.
LEG La maison du chef du village, comme bien d’autres maisons, a été incendiée par les assaillants.
LEG La maison du chef du village, comme bien du2019autres maisons, a u00e9tu00e9 incendiu00e9e par les assaillants.

Attaque de Bloléquin : Origines et mobile

Normal 0 21 false false false FR X-NONE X-NONE

 

 

 

 

Le mercredi 13 mars, l’ouest du pays a été, une nouvelle fois, attaqué par des combattants non identifiés. Dans le petit village paisible  de Zilébly, situé à la frontière entre le Liberia et la Côte d’Ivoire, à 42 kilomètres du chef-lieu de département Bloléquin, quatre civils ont été tirés de leur sommeil puis égorgés. Un militaire des Forces républicaines et un soldat associé sans matricule ont connu le même sort. Un assaillant identifié comme étant Ivoirien a été tué dans les combats. Dans ses poches, la somme de 175.000 F et des devises libériennes ont été trouvées. La femme d’un élément des Frci qui a été blessée ainsi que deux autres membres desdites forces, à savoir le caporal Coulibaly Inza Kader et le soldat Zouaty Zoël, manquent toujours à l’appel. Si la situation est désormais sous contrôle, les dégâts causés sont énormes. Huit maisons et trois boutiques ont été pillées et incendiées.

 

Si tout le monde s’accorde à dire que les assaillants sont venus du Liberia voisin, beaucoup de zones d’ombre restent à éclaircir quant au mobile de cette attaque. Plusieurs hypothèses circulent : pour certains, c’est une tentative pour déstabiliser le pouvoir d’Abidjan, pour d’autres, il s’agit de montrer aux opérateurs économiques que le pays n’est pas sécurisé ; pour d’autres encore, c’est une expédition des occupants clandestins de la forêt classée de Goin-Débé pour détourner l’attention alors que la question de leur déguerpissement est posée, ou la volonté de créer une rébellion, voire l’éternel problème foncier à l’origine de la plupart des conflits dans cette région qui a ressurgi, etc.

 

Après trois jours passés dans la zone et après avoir entendu plusieurs témoins civils et militaires, la dernière hypothèse apparaît comme l’une des raisons principales de cette attaque meurtrière. Selon des habitants de Zilébly, un litige foncier portant sur la vente d’une portion de forêt oppose, depuis la fin de la crise post-électorale, des personnes du village restées sur place à des réfugiés ivoiriens installés au Liberia, eux aussi natifs de Zilébly.

 

Dans un document de vente de forêt établi dans cette localité et datant du 13 janvier 2012 dont nous avons reçu copie, Dande Obou, président des jeunes du village, Gahe Jean Claude et Banhi Zoba, tous du village attaqué, reconnaissent avoir vendu 2km2 de forêt à deux hommes de nationalité burkinabé contre 12 millions de Fcfa. Ils ont même perçu, le jour de la vente, une avance de 2.600.000 Fcfa, le reste étant payable sur trois ans. Selon Goulia Raimond de la localité voisine d’Oulaïtably, les vrais propriétaires de la parcelle litigieuse, Mahan Romuald et Douho Sam, sont réfugiés au Liberia. Ayant eu vent de cette transaction, ils ont saisi les autorités compétentes et les chefs coutumiers à travers leur frère, Douhou Paul, basé à Abidjan. Ce dernier explique : « Bien que la décision de vente ait été annulée et les vendeurs sommés de rembourser les acquéreurs, le chef du village a encouragé ces derniers à travailler sur la parcelle. Ses propriétaires qui ont tenté de rentrer au village ont été dénoncés aux militaires comme étant des mercenaires et miliciens. Par peur d’être arrêtés, ils sont retournés au Liberia. Depuis, ils ont juré de régler leurs comptes à tous ceux qui sont impliqués dans la vente de leur terre et de faire partir les occupants par tous les moyens.»

 

Une fois de retour au Liberia, Mahan Romuald et Douho Sam se sont attachés les services de « chiens de guerre », selon une source. Ils se sont entraînés au maniement des armes dans les environs des villages libériens de Sèwingni et Djeloukin, proches de la frontière. Une semaine avant l’attaque, ils auraient informé le chef du village, Zoueu Gbhah Pierre, et plusieurs jeunes, dont leur président, qu’ils allaient venir se venger. Une rumeur en provenance du Liberia faisait état d’une attaque imminente début mars 2013. Le chef du village et une forte délégation se sont même rendus à Bloléquin pour porter la nouvelle aux autorités, mais sans parler du litige foncier. Selon nos sources, le sous-préfet, Koffi Yao Kan Claude, s’est déplacé, à son tour, les samedi 9 et dimanche 10 mars, pour rassurer les populations de Zilébly. Ce jour-là, il a parlé de cette rumeur aux militaires et les a appelés à la vigilance.  Le lundi 11 mars, nouvelle alerte. Après la cérémonie de libation qui a eu lieu dans le village à l’occasion de la construction d’un pont sur la rivière Tan, le chef du village aurait reçu un nouveau coup de fil du Liberia. Il a alors quitté en catastrophe Zilébly pour voir le sous-préfet. Cette attitude a poussé les responsables européens de la société chargée de la construction du pont, qui avaient eu vent, eux aussi, de la rumeur, à quitter immédiatement les lieux avec leurs machines et le personnel. Le chef du village, lui, a passé la nuit à Bloléquin et regagné, le mardi 12 mars, son village, après avoir été rassuré par le sous-préfet. Le jour suivant, à 3 h du matin, les premiers coups de feu déchiraient la nuit... Zoueu Gbah Pierre que nous avons rencontré trois jours après l’attaque raconte: «Les aboiements des chiens m’ont réveillé. Dès que j’ai entendu les premiers coups de feu, mon fils est venu me chercher et nous avons fui dans la brousse. De là, on entendait les assaillants chanter et parler en anglais, français et guéré. Certains parlaient la langue Saho du Liberia».

 

Du côté des autochtones, on ne déplore pas de perte en vie humaine, mais tous ceux qui étaient impliqués dans la vente des 2km2 de forêt ont vu leurs maisons brûlées et leurs biens emportés. Quant aux personnes décédées, Sawadogo Richard, Karim Ouédraogo et Bembamba Blaise, elles ont toutes été installées par Banhi Zoba, un des vendeurs de la parcelle litigieuse. Après avoir commis leurs crimes, les assaillants ont été chassés par les Frci, laissant désolation et pleurs derrière eux. Certains d’entre eux, blessés, se seraient retirés dans le forêt classée de Goin-Débé pour se soigner avant de regagner leur base arrière au Liberia.

 

 L’attaque de Zilébly est la manifestation d’un phénomène qui mine toute la région ouest depuis la fin de la crise post-électorale. De Doké en passant par Tinhou, Zeaglo..., les plantations et patrimoines forestiers des personnes encore réfugiées au Liberia ont été bradés par leurs propres frères contre de très fortes sommes d’argent. Plusieurs affaires liées à ce phénomène sont pendantes devant le tribunal de Man. Les vendeurs de ces parcelles refusent les solutions traditionnelles et les règlements par les autorités compétentes. Ils préfèrent saisir la justice et prennent des avocats au grand dam des vrais propriétaires de ces terres.

 

Saint-Tra Bi