Riadh Azaiez: ''Celui qui sera élu, se doit de réconcilier tous les Tunisiens''

Riadh Azaiez, membre du Conseil national de Nida Tounès (parti politique tunisien)
Riadh Azaiez, membre du Conseil national de Nida Tounès (parti politique tunisien)
Riadh Azaiez, membre du Conseil national de Nida Tounu00e8s (parti politique tunisien)

Riadh Azaiez: ''Celui qui sera élu, se doit de réconcilier tous les Tunisiens''

Les Tunisiens se rendent aux urnes, le dimanche prochain, pour le deuxième tour de l’élection présidentielle.  Quel est l’enjeu de ce scrutin ?

Ce sont deux projets de société qui s’affrontent aujourd’hui. Le représentant du camp moderniste, l’ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi, représente l’ensemble des partis politiques progressistes et modernistes de Tunisie. Il est porté par tous ceux qui souhaitent que la Tunisie regarde vers l’avant. Et, il a en face, M. Moncef Marzouki qui, lui, est davantage le candidat des conservateurs, des islamistes et de ceux qui ont fait le choix d’une société ancrée dans la religiosité plutôt que dans la modernité.

Les conditions sont-elles réunies pour que cette élection soit transparente que les résultats acceptés par tous ?

Le deuxième tour sera transparent comme l’ont été les élections législatives. Et celui qui sera élu sera le Président de tous les Tunisiens. Il se doit de réconcilier les Tunisiens avec eux-mêmes et de les réconcilier avec la politique. Sa tâche sera difficile parce qu’il y a une crise économique et une crise sociale.

Plusieurs puissances s’insurgent aujourd’hui contre la création d’un État islamiste. La Tunisie a-t-elle intérêt à faire le choix d’un courant islamiste, en ce moment ?

L’islamisme politique n’est pas nouveau. Cela fait des années qu’il s’impose dans certains pays de notre sous-région. Aujourd’hui, l’islam politique n’est plus représentatif dans des pays comme le Maroc. Il existe essentiellement  en Turquie. En Tunisie, le parti Ennahdaqui représente ce courant est le second parti du pays. Il a gouverné la Tunisie pendant deux ans. Et il a obtenu des résultats des plus modestes. Il a été débarqué du pouvoir et a cédé la place à un gouvernement de démocrates. Les élections législatives ont dégagé une majorité intéressante en faveur des partis modernistes. Toutefois, le parti Ennahda continue de faire partie de l’échiquier politique. Il y a une question essentielle qui est de savoir si ce parti fera partie du gouvernement ou pas, après la présidentielle. Et au sein de notre formation politique, les militants et cadres sont partagés sur la question. Il y a d’un côté ceux qui sont pour l’intégration, de nouveau, des islamistes dans le jeu politique, pour mieux les contenir. Et il y a de l’autre côté, ceux qui considèrent que le peuple a parlé, a dit son mot, a montré la voie à Nida Tounès. Il lui appartient d’appliquer son projet qui est aussi partagé par d’autres partis qui ont la majorité au parlement. En maintenant une bonne fois pour toutes, les islamistes dans l’opposition. Dans d’autres pays, les islamistes dont la plupart appartiennent à l’international des Frères musulmans sont interdits. Ils sont interdits en Arabie Saoudite, aux Emirats et en Egypte où le responsable a été condamné. Ils ont subi différents sorts dans différents pays. Aujourd’hui, ils font encore partie de l’équation politique en Tunisie avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur l’avenir du pays.

Quelles sont vos propositions pour contenir définitivement la politique islamiste, en Tunisie ?

A mon sens, les islamistes se nourrissent essentiellement des inégalités sociales, régionales. La meilleure façon de répondre à l’islamisme n’est pas de l’associer au pouvoir, mais de militer davantage pour une société juste où chacun des citoyens pourra trouver sa place. Il nous appartient d’aller vers les autres, de mieux communiquer, de mieux repartir les richesses tant sur le plan social que régional afin d’éviter ce mal qu’est l’islamisme. Parce que l’islamisme, en deux mots, c’est la confusion entre la chose politique, la citoyenneté et la religion. La religion est un droit mais selon moi, elle devrait être une affaire privée. Elle devrait être contenue dans la sphère privée et ne devrait pas déborder sur la scène politique.

Trois ans après la révolution, la Tunisie organise des élections de sortie de crise. L’ancien président Ben Ali est-il encore dans l’esprit des Tunisiens ?

On parle de révolution. Ce qui s’est passé, c’est que le régime du Président Ben Ali est tombé. A ce jour, la Tunisie n’a pas encore fait de bilan de ce qu’a été le régime Ben Ali. Encore moins le bilan du régime de Bourguiba. C’est plus de 50 ans qui ont apporté beaucoup aux Tunisiens de manière positive. Il y a eu évidemment des points faibles. Il est grand temps qu’on audite la situation du pays, qu’on renforce les acquis de la politique bourguibienne et qu’on évite tous les abus que nous avons vécu à la fin du régime de Ben Ali. Mais il est clair que l’ombre de Ben Ali continue à hanter la classe politique tunisienne parce que son bilan est loin d’être négatif dans différents domaines. Ben Ali a continué l’œuvre de construction de Bourguiba, qui était le bâtisseur de la Tunisie moderne comme l’a été Houphouët-Boigny pour la Côte d’Ivoire. Ben Ali a continué son œuvre. Malheureusement, vers la fin, le régime de Ben Ali est tombé dans le favoritisme. Il y a eu des abus qui ont mis le régime à mal. 

La Côte d’Ivoire et la Tunisie ont connu des crises pratiquement au même moment. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire est en train de se reconstruire. Quel regard portez-vous sur la classe politique ivoirienne ?

La scène politique a connu par une période de crise qui a duré une dizaine d’années. Ensuite l’élection présidentielle s’est terminée par une guerre. Je pense qu’aujourd’hui, il faut regarder devant. Il faut regarder le bilan du pouvoir ces trois dernières années. Beaucoup de réalisations en termes d’infrastructures et au niveau de la réconciliation sont à remarquer, il y a eu des avancées. Il y a un potentiel de croissance. Le pays a connu des périodes de croissance allant jusqu’à 9%. Grâce à la politique clairvoyante du Président Alassane Ouattara, on peut allègrement évoluer vers 10, 11 ou 12 % de croissance dans les années à venir. Les Ivoiriens doivent se mettre au travail pour atteindre l’objectif du Président qui est de faire de la Côte d’Ivoire, un pays émergent à l’horizon 2020.

A la faveur de la crise en Côte d’Ivoire, la Banque africaine de développement a délocalisé en Tunisie. Aujourd’hui, avec la paix retrouvée, cette institution est revenue à son siège naturel. Quel commentaire ?

J’ai applaudi le retour de la Bad en Côte d’Ivoire, pour une raison très simple. D’abord, vous n’êtes pas sans savoir que le siège de la Bad est établi à Abidjan. La délocalisation à Tunis devrait durer le temps de la crise. Or, aujourd’hui, la situation est redevenue normale. Donc, il était tout à fait normal que la Bad revienne. Secundo, la Tunisie est un pays qu’on pourrait appeler émergent et qui a moins besoin de la Bad que la Côte d’Ivoire. La Bad est davantage dans son rôle en étant en Afrique de l’Ouest plutôt qu’en Afrique du Nord. La plupart des pays d’Afrique du Nord ont atteint un certain niveau de confort et ils doivent être solidaires avec le reste du continent. Donc, le retour de la Bad à Abidjan est juste. Par contre, ce retour devrait se faire avec une compensation. La Tunisie aurait dû conserver certains organes, mais cela n’a malheureusement pas été le cas. Parce que les politiques qui gouvernaient en ce moment la Tunisie n’ont pas été capables de défendre les intérêts nationaux. La Côte d’Ivoire pourrait renvoyer l’ascenseur à la Tunisie qui a contribué le retour de la Bad à Abidjan, en favorisant l’élection d’un Tunisien à la tête de la Bad. Je fais allusion à la candidature du ministre Jalloul Ayed, ancien ministre Tunisien de l’Economie. Nous espérons que les autorités ivoiriennes soutiendront cette candidature comme il se doit. Mon rêve, c’est de voir le futur président tunisien, réserver son premier voyage à l’extérieur, après le voyage classique qui se fait auprès d’un pays voisin de l’Afrique du Nord, à la Côte d’Ivoire. Ce serait un signal très fort. Parce qu’il est temps que la Tunisie se réconcilie avec ses racines profondes. Car, comme l’a dit quelqu’un, l’Afrique, c’est comme un arbre, le tronc est quelque part, les branches sont en Afrique du Nord, les racines sont en Afrique subsaharienne et malheureusement, les fruits ont tendance à mûrir en Europe.

Interview réalisée par
Jules Claver AKA