Philip Carter III: "Le gouvernement s’en sortira dans la lutte contre la corruption"

Philip Carter III
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Philip Carter III

Philip Carter III: "Le gouvernement s’en sortira dans la lutte contre la corruption"

Aujourd’hui, c’est la fête nationale des États-Unis. Votre message aux Ivoiriens.

Ce sera le 237e anniversaire des États-Unis et aussi l’occasion de réaffirmer les valeurs de notre pays, entre autres, la liberté, les droits de l’homme, la démocratie, la tolérance. C’est cela le fondement des États-Unis d’Amérique et il est plus fort aujourd’hui que par le passé. A mon avis, ce sont des valeurs généralement universelles que mon pays veut partager avec le monde entier. Je suis très fier d’être Américain et de représenter mon pays en Côte d’Ivoire. Car je pense que nous avons les mêmes valeurs. C’est cela mon message.

Excellence, après trois ans d’exercice et au moment où vous êtes affecté ailleurs, quel souvenir gardez-vous de la Côte d’Ivoire ?

Beaucoup de souvenirs. C’est un pays qui a traversé une période difficile. A présent, il est sur la voie de la croissance, de la prospérité. L’avenir est positif. Sa diversité ethnique, typographique et géographique m’impressionne énormément. La Côte d’Ivoire est un microcosme de l’Afrique de l’Ouest. La vie culturelle m’impressionne également. C’est un pays incroyable. Je suis frappé par la qualité de l’entrepreneuriat, même s’il n’est pas encore bien développé.

Ce ne sont  que des souvenirs positifs. Qu’avez-vous retenu de négatif ?

Je voudrais dire que le bilan est positif après trois années passées ici. Mais il y a la question de la réconciliation. Comment travailler pour assurer la croissance économique, reconstruire les infrastructures, les acquis sociaux ? Je pense que les Ivoiriens ont la capacité de relever tous ces défis. Sur le terrain politique, il y a de la volonté. Mais c’est sa mise en œuvre quotidienne qui pose problème.

Vous êtes arrivé à la veille de la crise post-électorale. Aujourd’hui, en jetant un regard rétrospectif, pensez-vous avoir joué le rôle que vous devriez jouer pour sortir de crise ?

Je voudrais dire que la politique des Etats-Unis, en ce qui concerne la démocratie en Côte d’Ivoire, est constante. Lorsque vous lisez les déclarations de mes prédécesseurs, la position des Etats-Unis a toujours été d’encourager la démocratie à travers des élections libres, justes et transparentes. Je suis fier de la participation de mon pays ainsi que les bailleurs de fonds qui se sont assurés que l’élection présidentielle a été juste et transparente. En somme, elle a été démocratique. Le résultat était évident avec la certification des Nations unies. Et le chemin que les Etats-Unis ont suivi était clair.

Qu’avez-vous apporté de plus à la coopération entre la Côte d’Ivoire et les États-Unis ?

Revenons aux élections. Après le putsch de 1999,  nous avons fermé le robinet de notre assistance. Dans nos lois, nous ne pouvons pas assister économiquement un gouvernement qui s’est installé par un coup de force. Pour reprendre l’assistance, nous avons demandé des élections démocratiques. Entre 1999 et 2010, notre assistance bilatérale était généralement faible. Nous avons des programmes humanitaires à travers le Pepfar, le Pam, l’Unicef, pour aider les enfants. Dans nos lois, nous devons poser des actes qui peuvent nous assurer des élections démocratiques. A cette fin, nous avons octroyé des moyens et l’assistance au groupe National democratic institute (Ndi) et le Carter center, pour sensibiliser les populations. Nous avons travaillé avec les institutions nationales pour nous assurer que les élections seront sans incidents. Nous avons continué avec l’Onuci. Nous étions le plus gros contributeur de cet effort. Et après l’élection de 2010.

Nous avons redémarré le programme d’assistance bilatérale, avec le soutien de l’Usaid et du Pepfar. C’est un programme d’environ 25 ou 30 millions de dollars américains alloués aux questions de développement, de démocratie, de recherche, de gouvernance, de réconciliation, etc. Nous avons également repris notre programme d’assistance militaire. Nous sommes en train de voir dans quelle mesure nous pourrons  apporter un plus à la réforme du secteur de la sécurité. Nous travaillons également sur la question de la promotion des droits de l’homme. Les sanctions bilatérales qui pesaient sur la Côte d’Ivoire ont été levées. Vous avez l’Agoa avec vous, l’éligibilité au Millenium challenge corporation (Mcc,) et même le Ppte auquel nous avons énormément contribué. Je voudrais dire que l’engagement des États-Unis a repris et nous sommes en train d’approfondir notre programme d’assistance bilatérale.  Nous soutenons le gouvernement dans toutes les questions internationales, notamment la diplomatie, le commerce, l’économie, les finances.

Sur quoi portent, en réalité, les échanges commerciaux entre votre pays et la Côte d’Ivoire ?

Au niveau de la production du cacao, la Côte d’Ivoire est le 1er producteur mondial.Les États-Unis en sont les plus gros consommateurs au monde. Nos importations se font généralement dans les domaines du café et du cacao. Nous avons des sociétés américaines implantées en Côte d’Ivoire qui sont dans le secteur du café et du cacao comme Adm, Cargill, etc. Mais aussi dans les secteurs pétrolier et minier. En informatique, dans la finance avec City Bank. Et cela va s’approfondir avec l’ouverture de la Côte d’Ivoire sur le monde. L’African growth opportunity act (Agoa) permet une entrée sur le marché américain. Avec l’Usaid, nous avons ouvert un bureau pour aider les entreprises ivoiriennes.

Qu’est-ce qui bloque au niveau du Mcc ?

C’est une question politique, économique et judiciaire. Il y a un cadre, des indicateurs. Si la Côte d’Ivoire était au-delà de la moitié des indicateurs, le pays serait éligible au Mcc. Son objectif est d’élever la trajectoire de croissance. Je me rends compte que le gouvernement ivoirien s’est approprié ce programme. Je suis frappé par son engagement et celui du Premier ministre, Daniel Kablan Duncan, pour améliorer les indicateurs liés au Mcc. Aujourd’hui, la vaccination au niveau des enfants, l’éducation des jeunes filles sont améliorées. Il y a aussi, au centre, la question de bonne gouvernance. Pour être éligible au Mcc, on a besoin d’indicateurs positifs.

Sentez-vous que les choses se sont améliorées au niveau de la corruption ?

Il y a des institutions que le gouvernement met en place pour lutter contre la corruption. Ce qui n’existait pas ou n’était pas bien installé par le passé. Le gouvernement est en train de s’attaquer aux mauvais comportement de certains officiers de police, de l’armée, de hauts responsables de l’administration, etc.  Avec le tribunal du commerce qui a été installé, récemment. Même si je pense que tout cela va prendre un peu de temps, je suis confiant que le gouvernement s’en sortira dans la lutte contre la corruption.

Revenons à la réconciliation nationale. Qu’est-ce qui coince, selon vous ?

C’est un problème très complexe. Mais je voudrais dire que c’est un problème ivoirien. Comme bailleur de fonds, je suis ici pour soutenir le processus de réconciliation. On ne peut rien imposer à la Côte d’Ivoire. Les Ivoiriens ont la responsabilité de gérer ce processus. La réconciliation se fera sous plusieurs formes. Il y a la réconciliation politique, des militaires, des communautés locales. Et là, nous nous y sommes engagés avec l’Ong américaine Search for common ground. Nous avons des programmes avec les chefs traditionnels. Nous sommes en train de former tous les responsables locaux de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr). Avec l’Assemblée nationale, nous avons un programme pour renforcer les capacités des élus. Le président de cette institution, Guillaume Soro, a dit clairement qu’il veut des élus qui vont sur le terrain, afin d’être les porte-voix du peuple. Sur le plan politique, nous avons constaté les efforts du gouvernement qui visent à instituer un dialogue. En tant que bailleurs de fonds, nous encourageons tous les partis politiques à y prendre part. Nous avons engagé tous les partis politiques, notamment, le Pdci, le Rdr, le Fpi, l’Udpci, le Mfa, le Pit, pour une participation maximale, afin de trouver des compromis. Il est très important d’améliorer les règles du business, ici. Tout cela fait partie de la réconciliation.

Au niveau de la réconciliation politique, que faut-il faire concrètement, selon vous ?

Je suis sûr qu’au problème ivoirien, une solution à l’ivoirienne sera trouvée. Pour moi, les questions politiques sont importantes, mais elles ne sont pas les plus importantes dans le problème inter ivoirien. Je pense qu’il faut engager les communautés vers le développement. Il est important de penser à la prochaine génération. Une chose encore plus importante est d’engager la jeunesse.

Quelle est, selon vous, la portée du voyage du Président américain, Barack Obama, en Afrique ?

C’est un bon signal. Cela symbolise l’importance qu’accordent les Etats-unis à leur politique étrangère. Ce voyage montre aussi l’importance de l’Afrique dans le monde. Cette visite souligne l’intérêt qu’ont les Etats-Unis à renforcer la démocratie en Afrique. Le Président Obama a lancé, en Afrique du Sud, le programme Young african leaders initiative pour engager la jeunesse africaine d’une manière constructive. A mon avis, c’est une visite qui est très positive, d’autant plus qu’elle matérialise l’importance que les Etats-Unis accordent au continent africain. La visite d’Obama est une sorte de perspective pour l’avenir.

N’empêche qu’il a suscité un débat sur l’homosexualité en demandant au Sénégal de la légaliser. Quel est votre avis ?

C’est une question qui est relative aux droits de l’homme. Je pense que vous devez accepter les questions de droits de l’homme, d’égalité. Vous avez également besoin d’accepter les droits des uns et des autres pour renforcer la tolérance. Nous avons assisté à l’évolution de cette situation aux États-Unis et la Cour suprême fédérale a rendu sa décision en estimant que la loi en la matière était discriminatoire. Elle punissait l’acceptation du mariage entre des personnes du même sexe. A présent, cette situation est légale chez nous et reconnue par le gouvernement. Cette une question que tout le monde a besoin d’examiner dans son contexte culturel. Mais à mon avis, c’est une question des droits de l’homme. Si vous avez accepté la question des droits de l’homme, en principe, vous devez accepter, de manière pacifique, les droits des autres personnes.

Interview réalisée par

Sylvain Namoya

Collaboration :

Anoh Kouao et Aie Adou