Le nouveau chantier

Venance Konan
Venance Konan
Venance Konan

Le nouveau chantier

Il faut dire que d’Abidjan à Singrobo, cette portion de l’autoroute du nord a plus de trente ans. Elle avait besoin d’une seconde jeunesse. Prenez la route de Grand-Bassam et vous verrez aussi l’autoroute qui porte le nom de cette ville. Elle fait, elle aussi, son petit bonhomme de chemin. Nous sommes si excités que nous en oublions les désagréments que la construction de tous ces ouvrages nous cause. Nos universités, surtout celle de Cocody, semblaient faire partie, au sortir de la crise que nous avons connue, des causes désespérées de ce pays. Mais elles ont retrouvé, elles aussi, une nouvelle jeunesse.

Oh, certes, il existe de nombreux autres chantiers à ouvrir, de nombreuses routes à construire ou à refaire, d’autres universités, d’autres écoles, d’autres hôpitaux à construire ou à réhabiliter. Oui, il y aura toujours des chantiers à ouvrir, tant l’œuvre de construction d’un pays n’est jamais une œuvre achevée. Ne nous séparons donc jamais de notre équerre et de notre compas, car il y aura toujours du travail pour qui n’aspire pas au repos.

Parmi les nombreux chantiers sur lesquels nous avons à travailler, il y a celui de la Constitution de notre pays. Nous irons à la prochaine élection présidentielle dans deux ans. Dans tout juste deux ans. Avec quelle Constitution irons-nous à ce scrutin ? Ne l’oublions pas. Pour pouvoir aller à la dernière élection présidentielle, il nous avait fallu la mettre de côté et nous appuyer sur un accord trouvé à Pretoria. Un parti politique a invoqué, récemment, cet accord pour régler ses problèmes internes, mais il me semble qu’au niveau de l’Etat, les choses devraient être différentes. Nous avons une Constitution dont nous savons tous qu’elle est à la base des gros problèmes que notre pays a traversés, ces dix dernières années. Non seulement elle est illégale, parce que le texte sur lequel les Ivoiriens ont été appelés à se prononcer, en 2000, est différent de celui qui se trouve dans le Journal officiel, mais en plus, elle porte en elle tous les éléments qui nous ont conduits à nous déchirer. Irons-nous à notre prochaine élection présidentielle avec cette Constitution ? Depuis le temps que nous parlons de réconciliation, nous aurions, peut-être, dû commencer par réconcilier notre texte fondamental avec notre idéal du vouloir vivre ensemble. Notre réconciliation ne piétine-t-elle pas justement parce que ledit texte porte en lui les germes de la division et de l’exclusion ? Ceux qui affirment haut et fort, aujourd’hui, qu’ils ne sont pas prêts à aller à la réconciliation ne comptent-ils pas secrètement sur cette Constitution pour chercher, encore une fois, à exclure certains Ivoiriens du jeu politique ?

Par ailleurs, ce texte consacre un hyper-présidentialisme qui peut être porteur d’une dangereuse dictature, si le pouvoir tombe entre des mains pas sages, comme ce fut le cas dans un passé très récent. Il conviendrait, peut-être, de rééquilibrer un peu les pouvoirs.

Les textes sont faits par les hommes pour les hommes. Si nous avons le devoir de travailler à l’amélioration de notre société, notre premier devoir devrait être de travailler à l’amélioration du socle juridique sur lequel nous voulons faire reposer cette société, afin qu’il soit conforme à notre idéal. Nous ne voulons plus d’exclusion dans notre pays. Ouvrons donc ce nouveau chantier, en toute sérénité, pendant que nous sommes encore loin des passions qu’entraînera nécessairement la prochaine élection présidentielle.

Venance Konan