Jérôme Carlos : “ L’expérience acquise en Côte d’Ivoire me suit aujourd’hui ’’

Jérôme Carlos
Jérôme Carlos
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Jérôme Carlos : “ L’expérience acquise en Côte d’Ivoire me suit aujourd’hui ’’

Vous avez fait les beaux jours d’Ivoire Dimanche en Côte d’Ivoire, avant d’être patron d’une radio au Bénin. Comment  avez-vous réussi cette mue au point d’être propriétaire de la première radio privée du Bénin ?

C’est une longue histoire. Il faut dire aussi que la Côte d’Ivoire a été une étape déterminante dans ma carrière. Dans les années 1980, J’avais rencontré Justin Vieyra qui m’a entraîné à Paris où nous avons fait un quotidien, « Le Continent ». A la fin de cette expérience, il a souhaité que je vienne en Côte d’Ivoire. J’envisageais de faire un ou deux ans, mais j’en ai fait quinze.

Au niveau d’Ivoire Dimanche, nous avons passé des moments extraordinairement enrichissants. Au plan professionnel bien entendu. Il faut dire que c’est en Côte d’Ivoire que j’ai fait l’essentiel de ma carrière de journaliste. J’ai plus travaillé dans ce pays que partout ailleurs. Avant d’arriver en Côte d’Ivoire, je dirigeais la presse écrite au Bénin, sous la révolution. Me sentant en désaccord complet avec le régime, j’avais choisi de partir. J’étais donc un exilé politique, vous ne le saviez peut-être pas (Rires). Il a fallu qu’on mette fin à cette expérience révolutionnaire pour que je puisse rentrer au bercail. Donc la Côte d’Ivoire a été comme une escale majeure dans ce que je suis devenu. Je peux même dire que c’est en Côte d’Ivoire que j’ai tout appris, que je me suis confirmé, professionnellement parlant. J’ai capitalisé cette expérience qui me suit jusqu’aujourd’hui. A l’époque, j’avais une rubrique culturelle hebdomadaire sur radio Côte d’Ivoire et une autre à la télévision. Donc, j’avais déjà un pied dans l’audio-visuel en Côte d’Ivoire.

Ce qui a facilité votre reconversion….

Ayant choisi de revenir au pays en 1996, mon arrivée a coïncidé avec le vote de la loi sur la libéralisation de l’espace audio-visuel, permettant pour la première fois au privé de s’illustrer dans le domaine. Nous avons présenté un dossier et ça a marché. Nous avons appelé notre radio, « Capp Fm ».

Capp, avec deux P, c’est le Centre africain de la pensée positive. Notre projet initial était d’enseigner la pensée positive. Nous avons écrit beaucoup d’ouvrages sur le sujet, mais nous devions organiser des séminaires partout dans le pays et à l’étranger. Mais la radio a pris le pas et depuis quinze ans, nous avons la meilleure audience, ici, à Cotonou, nous sommes la première radio. Je peux dire que c’est la meilleure illustration de tout ce que j’ai appris en Côte d’Ivoire, de cette expérience professionnelle qui s’est confirmée, confortée, avec des amis que je ne saurais oublier. Il s’agit de Diégou Bally, mon ami de toujours, je dirais même mon complice. C’est lui qui a préfacé « Les enfants de Mandela », un de mes ouvrages qui a eu le grand prix « ID » de Côte d’Ivoire, en 1988. Il y a mon ami Raphael Lakpé qui était avec moi au quotidien « Le continent » de Paris. Il était l’Ivoirien de l’équipe et moi, un peu le Sénégalais parce que je venais du Sénégal. C’est parce que l’expérience n’a pas été concluante que Vieyra s’est rabattu en Côte d’Ivoire et m’a invité à venir avec lui. C’est comme cela que je me suis retrouvé à Ivoire Dimanche. La mutation s’est faite facilement. Une bonne formation en journalisme vous prépare à tout. Je crois même que la presse fondamentale reste la presse écrite. Quand on est passé par là, on peut s’illustrer sur tous les autres fronts.

Nous avons donc commencé l’expérience de la radio. Il fallait former tous ces jeunes gens qui m’ont fait confiance, pour en faire de vrais professionnels. Au Bénin, tout le monde pouvait se faire passer pour un journaliste, mais il n’y avait pas beaucoup de professionnels. La formation nous a donc occupé. Nous avons cherché à comprendre et à connaître les besoins de notre public. Une fois que nous avons cerné cela, nous avons conçu des programmes qui ont plu à nos auditeurs. Pour un pays qui a connu la révolution, donc la langue de bois pendant plusieurs décennies, il fallait libérer la parole, donner la parole. Cela a été un  objectif pour nous, je dirais même un point de notre ligne éditoriale. Notre journal par exemple donne beaucoup la parole aux populations pour se prononcer sur des questions d’actualité. Il faut que les gens réfléchissent à haute voix et donnent leur point de vue, que cela plaise ou non à ceux qui nous gouvernent.

Votre radio est-elle affiliée à un parti politique ?

Non, nous n’avons pas de couleur. Au contraire, on nous a fait des yeux de Chimène mais nous n’avons pas répondu. Nous avons même écopé d’une suspension d’un mois… mais je crois que le public nous soutient et c’est notre plus grande satisfaction.

Vous qui avez connu la révolution et l’exil politique, quel regard portez-vous aujourd’hui sur la démocratie dans la sous-région ?

La démocratie, c’est d’abord des institutions dignes de ce nom. Quand on regarde autour de nous, nos institutions sont des institutions d’emprunt. Nous avons un parlement, comme en France, un Conseil constitutionnel comme en France, etc. Je crois que le mimétisme à ce niveau est la règle. Nous imitons plus que nous ne faisons l’effort de sécréter des institutions qui répondent à nos réalités. C’est une faiblesse très grave de la démocratie, qui reste, d’une façon globale, une démocratie d’emprunt. Elle n’est pas sortie de nos entrailles, c’est quelque chose de superficielle. Elle a été juste déposée sur une réalité complètement étrangère. La démocratie, pour se référer aux fondamentaux, c’est la séparation des pouvoirs. Il y a l’Exécutif, le Législatif, le Judiciaire. Mais en Afrique, c’est la confusion. L’Exécutif a tendance à écraser le Législatif. A partir de cet instant, il y a une confusion à la tête de l’Etat. Ensuite, la démocratie, c’est le gouvernement du  peuple par le peuple et pour le peuple. C’est la définition bateau, passe-partout, mais hautement significatif. Si tout le peuple ne peut pas gouverner, le pays est gouverné à travers ses représentants. De ce point de vue, les représentants qui doivent porter la parole du peuple, portent d’abord et avant tout leur parole et non celle du peuple. Par conséquent, nos démocraties sont des démocraties biaisées. Ceux qui représentent le peuple ne jouent pas pleinement leur rôle. Il en est même au niveau de la société civile. Qui est une sorte d’avant-garde des populations, avec des Ong, dont certaines se battent pour la démocratie, la sécurité, la défense des consommateurs, etc. Mais nous nous rendons compte que ces organisations, pour la plupart, ne jouent pas leur rôle non plus. Soit elles ont été créées par nécessité, j’ai vu des chômeurs qui se sont transformés en patrons d’Ong, c’est pour davantage arrondir les fins de mois, ou pour vivre, tout simplement. Il s’y ajoute enfin que, pour avoir une démocratie digne de ce nom, il faut avoir une presse libre qui joue pleinement son rôle.

Lorsque je parle de presse, je pense d’abord à la presse de service public qui est restée longtemps presse d’Etat. Cette presse malheureusement n’arrive pas à se détacher de son statut ancien. Elle doit être l’expression de toutes les forces vives de la démocratie. Elle doit servir tout le public par-delà toutes les frontières politiques.

Même au niveau du privé, nous nous rendons compte que cette presse est courtisée par les pouvoirs publics et les pouvoirs d’argent. Si bien que nous n’avons pas de presse libre aujourd’hui, qui exprime le point de vue des populations, ou qui engage des débats dans l’intérêt des populations. Là aussi réside une autre faiblesse de nos démocraties. Par conséquent, je pense donc que nous n’avons pas encore mis en place les vraies mécanismes d’une réelle démocratie. Nous sommes dans une sorte de foire, il y a beaucoup de larrons, on ruse et c’est le plus malin, le plus astucieux qui peut réussir à mettre la force de son côté qui gagne.

A vous entendre, on conclurait que l’Afrique doit inventer une démocratie qui s’adapte à ses réalités ? Comment cela peut être possible ?

Il réfléchir à une manière nouvelle de dévolution du pouvoir. Est-ce que nous pouvons continuer de faire les élections comme nous les faisons aujourd’hui ? La question  paraît banale mais si nous voulons faire les élections comme en Europe, un homme, une voix, nous allons directement dans le mur. Transplanter en Afrique la démocratie telle que pratiquée par les Occidentaux, est un non-sens.

Pourquoi ?

Les systèmes qu’on nous a mis en place, qui ont fait les beaux jours des Occidentaux, ne marchent pas ici. Voyez comment eux-mêmes s’attachent aux élections, comme si les élections étaient la solution à tout.

Un chercheur a proposé par exemple que le pouvoir soit tournant en fonction des régions. Lorsqu’un président doit être élu, on laisse le choix à sa région de choisir celui qui doit gouverner. Il faut pousser la réflexion à ce niveau.

Interview réalisée à Cotonou

au Bénin par

Marc Yevou