Jean Louis Fernandez: ''Je comprends la décision sans pour autant l’apprécier''

Jean Louis Fernandez, enseignant à la retraite, est bloqué en Guinée en raison de la décision du gouvernement de fermer les frontières terrestres.
Jean Louis Fernandez, enseignant à la retraite, est bloqué en Guinée en raison de la décision du gouvernement de fermer les frontières terrestres.
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Jean Louis Fernandez: ''Je comprends la décision sans pour autant l’apprécier''

Comment vivez-vous ce confinement ?
Je prends la chose avec philosophie quand j’y réfléchis et quelque temps après la bête prend le dessus, ma tension monte face à cette situation. On se sent dépossédé de soi. Une épidémie absolument sérieuse qui nécessite une prise de responsabilité politique rigoureuse. Deux cas de figure de notre impuissance. Les politiques ont raison de réagir rigoureusement sans avoir raison de faire du tort à des gens. Dans ce tourbillon, l’essentiel est que personne ne perde la tête. Toute lamentation devient un plaidoyer pro-domo. Et c’est gênant. Mais face à ce fléau on ne peut pas ne pas voir plus large. En mesurant par exemple l’ampleur du manque d’hygiène dans lequel se complaisent les populations africaines. Le plus grand fléau ici c’est le choléra qui, comme par hasard, se fait tout petit cette année, laissant la vedette au virus de l’Ebola. Mais Abidjan n’est pas mieux loti avec ses décharges en pleine ville. Nous marchons tous en permanence sur les bords du précipice. Dieu nous sauve ! Puisque nous avons renoncé à nos responsabilités humaines. Le sens de ce confinement ? Avoir été là, au mauvais  moment… Sinon je puis vous affirmer que de grandes mesures sont prises localement pour endiguer le mal potentiel. Les gens écoutent, suivent les conseils et se plient aux règlements d’hygiène. Le lavage de mains devient systématique dans tous les lieux publics et privés.

Connaissez-vous d’autres Ivoiriens qui vivent la même situation ?
Tous les jours, je fais de nouvelles rencontres d’Ivoiriens un peu inquiets qui voudraient bien pouvoir rentrer chez eux. Mais pas au sens de fuir la Guinée comme un pays pestiféré, mais de pouvoir entrer ou sortir comme ils s’y sont habitués. Les commerçants sont les plus angoissés. Et pour cause, la chute inéluctable de leurs affaires. On ne les comprend que trop. J’ai vu de jeunes ivoiriennes dans ce cas. Les petites affaires ne supportent pas ce genre de surprise désagréable. L’attiéké devient de plus en plus de l’or blanc…L’histoire des nations comme vous le savez se fédère de plus en plus. Pendant la période de notre incurie politique, bon nombre de jeunes se sont exportés vers les universités de Conakry. Ils vivent dans l’angoisse de ne pouvoir être présents aux examens de septembre. Solidairement les responsables de facs étudient le scénario pour y trouver des solutions les moins pénalisantes, sans omettre d’y inclure le miracle d’une ouverture circonstanciée de la part de la Côte d’Ivoire. Il eut été intéressant de chiffrer cet impact humain. Sinon, il se dit que notre pays avoisinerait les 300.000.000 Fcfa/jour de manque à gagner dans ce malheur somme toute commun, même si nous n’avons aucun cas de malade du virus d’Ebola chez nous. Si les individus échappent encore à ce  virus, on ne saurait en dire autant pour les pays de l’Afrique de l’Ouest. L’impact économique sera grand.

Vous pouvez cependant comprendre la décision des autorités ivoiriennes afin d’éviter la propagation du virus ?
L’unanimité ne serait pas difficile à obtenir. Il faut parer au plus pressé dans le cas d’espèce. Mais après la précipitation émotive, il faudra bien le temps d’une réflexion. L’Afrique n’est-elle pas fatiguée des politiciens-pompiers? Les responsables dans leur tour de garde attendent toujours les moments critiques pour envoyer de gros camions à incendie flambant neuf éteindre les flammes. C’est bien. Une camionnette eut suffi si les cités étaient politiquement gérées,  c’est-à-dire pensées dans un cadre préventif contre  les maux inéluctables dus aux mauvaises manières de vivre. Prompts à défendre nos africanités, la saleté n’en avait jamais été une valeur. D’où vient-il que nous nous en accommodions aujourd’hui ? Changement bizarre…Donc nous voulons bien comprendre ces décisions fermant les frontières mais cela nous laisse perplexes…avec un sentiment de dérision. Par contre si les autorités deviennent plus rigoureuses par la même occasion avec le mal vivre des cités et des campagnes, elles mériteront d’être embrassées sur la bouche. Mieux que de la compréhension…

Avez-vous envisagé de contourner cette décision ?
Mais bien sûr. Je comprends la décision sans pour autant l’apprécier pour moi, ni la souhaiter à autrui. Éternel conflit entre l’être social et l’individu…Aucune personne confinée dans un si grand espace, ne resterait prostrée à attendre la permission d’aller et de venir. Nous cherchons tous individuellement plus que collectivement le chemin de la Côte d’Ivoire où nous avons nos familles. Les plus nantis d’entre nous rentrent tous les jours. Il suffit d’avoir de l’argent. Et comme l’argent peut mieux voler que les oiseaux, donc son possesseur aussi le peut. Vous achetez un billet d’avion Conakry-Casablanca-Abidjan la fermeture des frontières ne vous concerne plus. Marx parlait du pouvoir magique de l’argent. Fermons Casablanca…Vous allez encore plus haut dans le ciel en achetant un billet Conakry-Paris ou Bruxelles-Abidjan. N’est-ce pas merveilleux ? Pour nous, les solutions sont plus bassement contraignantes. Personnellement, j’avais songé  à la route. Mais la moindre fatigue m’aurait fait arriver avec une petite fièvre à la frontière…compliquant la fraternisation que l’argent aurait très certainement suscité  avec les gardiens des frontières. J’y ai donc renoncé. Ce qui n’est certainement pas généralisable. Pour le moment, prudence, hygiène de vie et saines occupations, pas de stress inutile et surtout éviter de sombrer dans la psychose à laquelle on nous pousse très charitablement. La fièvre retombera dans tous les sens…

Quel est votre ressenti ?
Franchement je pense plus aux victimes de la maladie. Aux agents de santé de Guinée qui ont payé un lourd tribut dans cette lutte inégale contre le virus de l’Ebola. Une bonne quarantaine. J’en ai une pensée compatissante. Je n’oublie pas toutes ces femmes et ces hommes de chez nous, tenanciers de « maquis » qui du jour au lendemain se sont retrouvés à ne plus rien faire sans que ne leur soit accordé un pécule compensatoire faute d’organisation administrative. Jamais de statistiques fiables pour évaluer les pertes et faire agir une équité sociale dont ils avaient droit. La souffrance de tous ceux-là dépasse la mienne.

Comment les Guinéens vivent-ils  leur mise en quarantaine ?
Très mal ressentie par le peuple et par les autorités. Le Président de la République de Guinée a décrété l’État d’urgence sanitaire dans tout le pays. Ce signe de  bonne volonté méritait une petite reconnaissance ne serait-ce que de la part des États frères et voisins surtout la Côte d’Ivoire. Les Guinéens sont très friands de tout ce qui touche notre pays. Ils admirent, aiment ce qui est ivoirien, c’est inimaginable ! J’ai fièrement découvert  la Côte d’Ivoire depuis  Conakry.  60 ans sur le territoire national et c’est en Guinée que je comprends, je connais mon pays…Mesurez la frustration, le dépit des Guinéens ! Une relation émotionnelle entre les peuples par-delà les frontières…la justesse politique des décisions leur glisse donc sur la peau.

Propos recueillis par Séthou BANHORO