Charles Nokan, philosophe et écrivain : “ Mon écriture est politique et littéraire ; elle combat, chante et danse ”

Charles Nokan
Charles Nokan
Charles Nokan

Charles Nokan, philosophe et écrivain : “ Mon écriture est politique et littéraire ; elle combat, chante et danse ”

À près de 80 ans, il y a, dans votre tout dernier ouvrage,Tout grand changement est un ouragan des descriptions de scènes, des portraits de corps, élaborés avec un érotisme juvénile, une érection scripturaledigne d’un gentleman. Que représente la vieillesse pour vous ? Votre plume, la voulez-vous virile ?

 

Pourquoi en voudrait-on aux vieux ou aux vieillards de se souvenir de leur jeunesse, de revivre cela ? Et il n’est pas proscrit que les vieux puissent aimer et exprimer leur amour. La littérature, en général, en est émaillée. Je prends pour exemple,VictorHugo qui, à 83 ans, est sorti avec Blanche qui avait 20 ans.Vous savez qu’après Gersée,il a été heureux quand sa fille AngèleHugo a eu une dépression nerveuse en Belgique et qu’on a envoyé une négresse de l’Amérique l’accompagner chez son père.Hugo n’a pas tardé à s’en amouracher et il dit un jour que « c’est sa première noire ».

 

La vieillesse, comme le disait Charlesde Gaulle, est un naufrage et le naufragé que je suis a le droit de s’efforcer de se délivrer du naufrage.

 

Pour quoi et pourquoi écrivez-vous finalement?

 

J’écris, car j’ai été et suis encore un syndicaliste et un membre d’un ancien parti politique. Membre qui lutte avec ses camarades pour se délivrer et libérer les travailleurs exploités. J’ai été un membre de l’Ugeeci (Union générale des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire) et de la Feanf et vous savez que, pendant un moment, au temps où Félix Houphouët-Boigny et ses compagnons refusaient l’indépendance, nous étudiants de l’époque, nous la promouvions. Rappelez-vous qu’il y a eu un colloque sur les 40 ansdu Rda organisé par l’historien Jean NoëlLoucou à Yamoussoukro. Lors de ce séminaire, Houphouët-Boigny parlait glorieusement de sa lutte pour l’indépendance. C’est alors que le président DerlinZinsou du Dahomey, actuel Bénin, a répondu à Houphouët-Boigny, que nous sommes allés aux indépendances grâces aux étudiants qui, avec les hommes politiques comme Sékou Touré et Kwame Nkrumah, menaient la lutte pour l’indépendance. Notre combat n’a donc pas été vain.

 

Pour qui alors écrivez-vous, puisqu’en 2010, vous souteniez vous-même et je vous cite : « On ne lit pas beaucoup en Afrique ? »

 

J’écris pour combattre comme le disent les marxistes : « L’exploitation de l’homme par l’homme ». J’écris donc pour moi-même et pour tous les exploités.

 

Je ne partage pas votre avis, dont j’aimerais avoir la source, avis selon lequel en Afrique, on ne lit pas. Le succès marchand d’Adoras, d’Anzatta Ouattara, Biton Koulibaly, prouve bien queles Ivoiriens lisent. Je pense plutôt qu’ils n’ont pas les moyens et donc le réflexe d’acheter les livres et qu’en outre, ils ne trouve pas leur compte dans ce que leur proposent Nokan, Kwahulé ou Zadi.

 

Je n’ai pas dit qu’on ne lit pas en Afrique, mais qu’on ne lit pas beaucoup ici. Même les auteurs les plus lus que vous citez en Côte d’Ivoire sont très peu lus parce qu’il y a certains pays où l’on a vite fait de vendre des millions d’exemplaires. Chinua Achebe par exemple a vendu plus de 10 millions d’exemplaires de son ouvrage intitulé « Le monde s’effondre ». Ces auteurs que vous avez là ne vendent qu’à peine 10 à 15 000 exemplaires.

 

Vos livres sont signés tantôt de Zegoua Gbessi Nokan (Cri/Ceda),  tantôt Charles Zégoua Nokan (Les affres de l’existence/Puci), et récemment avec Tout grand changement est un ouragan paru chez L’Encre Bleue, Charles Nokan. A quel besoin répond tout ce déroutant vagabondage identitaire et patronymique, surtout qu’on sait que vous êtes né Kacou Konan ?

 

Je suis né un dimanche, on m’a nommé Konan Kouagn. Vers l’âge de six ans, mon père m’a donné le prénom de son père. C’est ce qui est devenu Konan Kacou. Konan étant le prénom de mon père et Kacou, celui de mon grand-père. Sans cela, je devais m’appeler Konan Kouagn. Du côté de mon arrière-grand-père maternel, je suis un Gouro ; d’où « Zegoua Gbessi ». C’est ce qui explique les différents noms avec lesquels je me présente.

 

Confirmez-vous que Charles, d’ailleurs, ne serait pas votre prénom et que vous l’auriez subtilisé à Baudelaire ? Si oui, pourquoi ?

 

Le prénom Charles, je l’ai emprunté effectivement à Baudelaire, parce que j’aime sa poésie. Il me reste aussi un prénom donné par ma famille : « Djremgbé» que j’utiliserai pour la sortie d’un ouvrage.

 

Quelle importance particulière accordez-vous aux noms qui courent vos livres : que ce soit les personnages ou les lieux, ce sont des noms autochtones. Nfiwa, Yèfè, Nci, Nianga, Cèzè…Pourquoi ?

 

Ce sont des noms significatifs et souvent ces noms-là expliquent le récit. Par exemple :

 

Nfiwa : je viens de là

 

Nci : mon père

 

Nianga : regarde celui-là

 

Yéfè : nous souffrons… qui montre le combat que nous menons.

 

En un demi-siècle d’écriture, rien ne semble avoir changé puisque le népotisme, la corruption, les maux que vous dénonciez dans Violent était le vent en 1966, sont toujours d’actualité dans votre dernier-né.  Vos textes restent vains. Non ?

 

Je viens de montrer que mes textes ne restent pas vains dans la mesure où la lutte que les étudiants ont menée sans avoir connu l’entière victoire, a quand même permis d’obtenir l’indépendance nominale. Il a fallu plusieurs années pour que la révolution française de 1789et celle de la Russie en 1917 triomphent. Mon dernier livre traite de la guerre dont nous avons tous souffert, il est donc assez loin de mes autres ouvrages.

 

Qu’avez-vous à vous prévaloir du communisme, une idéologie à laquelle les initiateurs eux-mêmes ont renoncé ?

 

Je suis marxiste et je pense que le marxisme est une analyse sérieuse, elle a persévéré et sa victoire n’est pas éphémère. L’on ne peut, à l’heure actuelle, parler d’économie, de philosophie sans se référer au marxisme. Aucun des initiateurs n’a renoncé au marxisme : Marx, Hengels, Lenine, Mao TséToung.

 

En Côte d’Ivoire, c’est certain, et pour beaucoup, Houphouët reste l’un des plus grands présidents d’Afrique. Quel regard, avec le recul, jetez-vous sur la trajectoire et l’action politique de ce chef que vous aviez longtemps combattu ?

 

Contrairement à ce que l’on croit, la plupart des maux dont souffre la Côte d’Ivoire aujourd’hui sont pour la plupart imputables à Houphouët-Boigny. Selon moi, les deux plus grands présidents sont Kwame Nkrumah et Nelson Mandela.

 

Que lui reprochez-vous exactement ?

 

Je lui reproche d’être de droite et d’avoir participé à l’exploitation des travailleurs akouè.

 

Auriez-vous été plus indulgent si Houphouët n’avait pas été votre cousin ?

 

Je ne le crois pas ….

 

Votre relation est facilement perceptible dans votre avant-dernier ouvrage Yassoi refusa de manger le fruit mûr de Nianga. Yassoi c’est bien vous, le progressiste parti à Paris où il finit par épouser Irène, et Nianga, le dictateur, Houphouët-Boigny… Je me trompe ?

 

Oui, vous vous trompez. D’abord, je n’ai jamais épousé une Blanche et Nianga symbolise tous les dictateurs africains.

 

Pourtant, vous restez optimiste.  Dans Tout grand changement est un ouragan inspiré de la crise politico-militaire, vous rêvez de lendemains meilleurs. Dans Yassoi refusa de manger le fruit mûr de Nianga, vous dites à la page 251 « A l’horizon, une lumière singulièrement douce va poindre et aller pour régner sur le monde ». Qu’est-ce qui vous rend si optimiste ?

 

Le lutteur doit toujours être optimiste, il n’est pas certain qu’il gagnera la bataille en tant qu’individu. Mais, avec la persévérance de ses camarades qui lui succèderont et poursuivront sérieusement le combat qu’il a amorcé, il est sûr que s’il n’assiste pas à la victoire, ses successeurs, eux, l’auront.

 

Votre longévité littéraire vous a fait connaitre Présence africaine, Ceda, Puci, Nei, Frat-mat éditions, quelle vision avez-vous du monde de l’édition (satisfactions et regrets) ?

 

J’ai satisfaction avec certains et des regrets avec d’autres.

 

Théâtre, poésie, roman, vous avez utilisé tous les genres littéraires pour dénoncer, reprocher... votre écriture n’est-elle pas politique ?

 

Mon écriture est à la fois politique et littéraire. Elle combat, chante et danse.

 

Est-ce important d’être à l’Ascad ? Qu’est-ce qu’on y fait ?

 

Oui, nous essayons de travailler sérieusement à l’Ascad qui est une société savante, pour préserver le patrimoine culturel de la Côte d’Ivoire et permettre son plein développement. Elle est très importante.

 

Aké Loba, Bernard Dadié, Ahmadou Kourouma, Jean-Marie Adiaffi, Maurice Bandaman, Veronique Tadjo, Venance Konan, c’est la liste ivoirienne des Grands prix littéraires d’Afrique noire. Pouvez-vous la commenter

 

Le Grand prix littéraire les fait connaître un peu plus. Quant à moi, l’un des initiateurs du Grand prix littéraire d’Afrique, M. Cornevin m’avait écrit pour que je propose un de mes ouvrages à ce grand Prix, mais le militant que je suis a refusé car, être loué par l’adversaire, c’est emprunter sa voie.

 

Pouvez-vous citer quelques écrivains qui auraient mérité d’y voir figurer leurs noms ?

 

Ce n’est pas à moi de me prononcer sur cette question.

 

En revanche, Césaire, Chinua Achebe, James Nguigui, To Huu et peut-être Senghor mériteraient plus que le Grand prix littéraire d’Afrique noire, le prix Nobel de littérature.

 

 

 

Interview réalisée par

 

Alex Kipre