BAD: Le Tchadien Bedoumra Kordjé veut la présidence

Le Tchadien Bedoumra Kordjé veut la présidence
Le Tchadien Bedoumra Kordjé veut la présidence
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BAD: Le Tchadien Bedoumra Kordjé veut la présidence

BAD: Le Tchadien Bedoumra Kordjé veut la présidence

Le ministre tchadien des Finances et du Budget, Bedoumra Kordjé, est candidat à la succession de Donald Kaberuka à la tête de cette institution. De passage à Abidjan, il parle de ses atouts, évalue ses chances et révèle sa vision.

Peut-on savoir les motivations de votre candidature à la présidence de la Bad ?
Il faut se situer dans l’environnement  actuel où les populations et les dirigeants africains ont des aspirations légitimes de voir ce continent réellement émerger, peser par rapport aux questions du monde ;  mais surtout de voir leurs pays se développer par rapport aux questions du monde, atteindre un niveau de développement  qui permette de faire face à leurs besoins minimums.  Je crois qu’aujourd’hui,   il y a une attente légitime de ce continent qui a sa place et qui attire de plus en plus d’investisseurs. Tout le monde le reconnaît comme  étant le continent de l’avenir. Un tel continent a besoin d’un soutien fort  de ses institutions et l’une d’elles est la Banque africaine de développement qui est la première institution de financement du développement en Afrique, reconnue aujourd’hui comme étant une banque qui contribue largement à l’essor des pays africains. Elle a une mission, celle du développement de l’Afrique, de l’assistance de l’Afrique. Et c’est dans ce contexte que je situe ma vision.

Voulez-vous dire que vous êtes l’homme qu’il faut à la tête de la Bad pour qu’elle assume pleinement sa mission ?
Je suis la personne qui, à la tête de cette banque, peut contribuer à ce qu’elle soit mobilisée, organisée  pour répondre au mieux aux préoccupations des pays africains.

Pourquoi ?
Parce que je  connais l’institution, j’y ai passé 29 ans. J’ai été aux opérations dans le financement de programmes  au niveau des pays, puis secrétaire général de la banque. J’en ai été aussi le vice-président. C’est le dernier poste que j’ai occupé avant de rentrer dans mon pays. J’ai donc une ouverture d’esprit, une expérience élargie de la banque et je ne pense pas qu’il y ait aujourd’hui un autre cadre de cette institution qui ait eu cette chance d’avoir une telle expérience. Cela a été complété par l’expérience que j’ai eue au Tchad où j’ai été ministre du Plan, de l’Economie et de la Coopération internationale. J’ai également été secrétaire général du Président de la République, un poste stratégique qui  permet de comprendre le fonctionnement d’un pays. Aujourd’hui, je suis ministre des Finances et du Budget avec les bonnes performances que nous avons au Tchad.

Vous avez donc beaucoup d’atouts…
Tout cela mis ensemble, j’estime que je remplis les conditions pour être efficace immédiatement et permettre à cette banque  d’apporter l’appui attendu pour le développement du continent africain.

Vous venez de dire que vous avez passé près de 30 ans à la Bad. Mais de façon concrète, qu’avez-vous apporté à cette institution et  qu’est-ce qui va changer ?
Le changement est l’aboutissement d’un processus qui doit répondre à un objectif qu’on s’est fixé. La banque, aujourd’hui, a fait des progrès énormes, en termes d’appui au développement du continent africain. Il y a eu la stratégie décennale qui a été approuvée et est en train d’être mise en œuvre. Mon rôle, si je prends les commandes de l’institution, sera de travailler à ce qu’elle ait une plus grande efficacité. Mais je pense que de façon légitime, les pays voudraient voir une banque plus présente à leur niveau. Une banque plus efficace  en termes de performance dans la réalisation des opérations. Il faut donc, très rapidement, introduire les moyens de la rendre plus efficace pour permettre de répondre  aux préoccupations que j’ai mentionnées tout à l’heure. Mais aussi de se concentrer sur les préoccupations immédiates au niveau du continent africain.

Lesquelles ?
Ces préoccupations immédiates, ce sont les questions de l’emploi des jeunes, de l’intégration régionale qui, aujourd’hui plus que jamais, doit aller au-delà du discours parce que sera ce continent aujourd’hui sans des  marchés communs ? Les 54 pays pour 1 milliard d’habitants, c’est très peu par rapport à la Chine qui en a 1, 3 milliard ou à l’Inde qui en a 1,4 milliard. Voilà autant de préoccupations immédiates. Nous avons donc besoin d’un continent intégré et nous devons soutenir cette intégration. Car c’est la seule réponse valable à la transformation de notre économie, à la mise en commun de nos ressources, de nos compétences. C’est aussi la seule réponse valable pour les questions de sécurité et de paix. Nous devons aussi donner à la sécurité et la paix la place qu’elles méritent. Mais on ne peut pas faire tout cela si l’on ne met pas les Africains au-devant de tout,  si le capital humain n’est pas au centre. J’ai la conviction qu’il faut se concentrer très rapidement sur les domaines spécifiques qui répondent aux préoccupations des Africains et surtout d’avoir des résultats  par rapport à ces domaines là. C’est un débat  ouvert qui sera fait avec les actionnaires africains et non-africains  parce qu’il faut répondre à leurs préoccupations  et être performant. Mais mon avantage est que je connais  la maison, je sais où il faut agir et ce qu’il faut faire  pour atteindre rapidement la performance.

L’institution pourra-t-elle, si vous êtes à sa tête, financer la lutte contre les mouvements terroristes, Boko Haram, par exemple ?
La question de la sécurité, de la paix et de la stabilité est assez importante. Des pays font l’objet de financements assez importants  et en moins d’une année, ils sont déstabilisés. Une institution qui finance le développement ne peut pas ne pas s’intéresser à ces questions. Comment faire pour que l’argent ne se perde pas ? La banque n’a pas pour mission de financer les opérations militaires au sens strict du terme. Mais elle a l’obligation d’assister les pays dans la réflexion sur la prévention des conflits,  sur les fondements qui contribuent à alimenter l’insécurité et la déstabilisation du paysage africain.  Vous voyez la situation dans le Sahel. La pauvreté en est  l’une des causes profondes. Il faut apporter des solutions qui évitent de voir le terroriste sous cet angle et que les gens ne vendent des illusions la jeunesse. On va aborder ces questions différemment.

De quelle manière ?
Le coût  de toutes ces guerres en Afrique est énorme. Dans la région des Grands lacs, la Corne de l’Afrique, les énergies que ces pays perdent sont énormes. Il faut donc avec ces pays ce qu’il faut faire.  Mais  aussi avec ceux qui, peut-être, sont dans une situation déjà stable, les risques qui existent. Comment faire pour que les Africains regardent leur situation ? Cela ramène, évidemment, aux questions de gouvernance, d’équité, de partage de ressources.  Ce sont autant d’éléments qu’il faut regarder de plus près  pour aider les pays à se préserver de ce genre de risques.

Comment évaluez-vous vos chances dans cette bataille, quand on sait que les candidats à la succession de M. Kaberuka sont nombreux ?
Ma candidature à la Bad, c’est dans l’intérêt de l’Afrique, c’est pour servir le continent. C’est vrai qu’on n’est pas candidat à titre personnel, on est présenté par son pays. Des gouvernements interviennent, ce sont eux qui prennent la décision. Mais je pense qu’ils choisissent de nommer à la tête de l’institution la personne qui va aider à régler les problèmes de l’Afrique. On n’opte pas pour quelqu’un parce qu’il  vient de telle ou telle région. Ce qui importe, c’est si cet individu va permettre à l’Afrique de se développer, de bénéficier au maximum de l’institution. J’estime avoir des chances si l’on tient compte de la réponse qu’il faut apporter aux problèmes que j’ai mentionnés tout à l’heure.  Il faut une personne qui puisse apporter des réponses plus appropriées au développement du continent africain. Vu les différents contacts que j’ai, les différents éléments que j’ai pu avoir, objectivement,  j’ai toutes les chances d’être élu, même si c’est une compétition qui est ouverte aux candidats de valeur. Sur ce point,  il n’y a pas de doute, mais je pense qu’entre tout ce monde, il faut choisir la personne qui puisse répondre au mieux aux préoccupations des pays africains.

C’est vrai que le Tchad joue un grand rôle dans la Cemac, mais votre candidature est-elle aussi portée par cette organisation ?
Cette candidature est portée par la Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) et même au-delà parce que les  préoccupations des pays amis et d’autres personnes, c’est de voir quelqu’un capable de prendre cette banque en main, de la faire avancer. Elle a fait beaucoup de progrès, mais il y a encore des choses à faire. Je crois que c’est ce qui a dominé d’abord dans la convergence observée au niveau de la Cemac et des autres pays africains et non-africains qui sont de plus nombreux à soutenir cette candidature.

Lors du passage à Abidjan de  l’un de vos concurrents, le Président ivoirien a souhaité une candidature unique au niveau du bloc francophone. Qu’en pensez-vous ?
Je n’ai pas de commentaire à faire par rapport aux déclarations d’Alassane Ouattara. C’est un homme de grande envergure, mondialement reconnu et qui a fait des choses extraordinaires pour le développement de ce pays. Il a aussi  permis à la Bad de revenir à son siège. Je pense qu’il est préoccupé par le développement du continent africain, son émergence. Dans ses propos, c’est l’Afrique entière qu’il voit. Il s’agit. Et je pense qu’il faut rassembler l’ensemble des Africains par rapport à leurs objectifs, leur vision et que, quelle que soit la langue que les uns et les autres parlent, on puisse se retrouver dans un continent où l’on va davantage vers l’intégration régionale, vers un développement commun. C’est ce qui est le plus important.

Dans le cadre de la Francophonie, les Africains ont perdu le secrétariat général  à cause de divisions internes. On est tenté de vous demander si le fait d’avoir un ou deux bons candidats ou même de se rallier à une seule candidature ne peut pas peser dans la balance…
L’élection, comme je l’ai dit plus haut, est l’affaire des gouvernements. Sur ce point, il faut leur laisser le soin de décider s’ils veulent réduire le nombre de candidatures, ce qui serait souhaitable. Ce sont des choses qui relèvent beaucoup plus de leur compétence.

Comment les pays que vous avez visités déjà  ont-ils accueilli votre candidature ?
Dans l’ensemble, les pays que nous avons visités ont accueilli favorablement cette candidature sinon nous n’aurions pas poursuivi pas nos tournées. Nous sommes confiant car encouragés par ce que nous avons entendu dans ces pays.

Combien en avez-vous déjà visité?
J’en ai visité un grand nombre de pays en tout cas. Je ne veux pas entrer dans les détails.

Sur le plan économique, que comptez vous faire pour que l’Afrique attire le maximum de financement, si vous à la tête de la Bad ?
Je  disais tout à l’heure que la Bad a un rôle important à jouer sur le continent et je pense que les pays, eux-mêmes, sont  préoccupés  à attirer beaucoup d’investissements. Il existe plusieurs domaines d’attraction du financement. Au lieu de poser le problème en termes d’attraction des investissements, il faut mettre en avant la mobilisation de l’épargne et des ressources des Africains eux-mêmes d’abord.   C’est quelque chose qu’on néglige souvent. Il faut donc travailler à ce que les pays améliorent leur épargne et l’utilisent  au mieux pour financer leur développement. Parce  qu’il y a des sommes d’argent assez importantes et  cela doit être une préoccupation majeure. Il importe d’assister les pays dans la promotion et le développement de l’épargne nationale, des Bourses de capitaux nationaux et régionaux et la mobilisation de toutes les ressources en Afrique. La mobilisation des ressources doit aussi se faire grâce à l’environnement que les Etats eux-mêmes créent pour que d’autres pays aient confiance et viennent y investir. Cela touche à l’environnement des affaires, aux différentes facilitations qu’on fait au secteur privé national et international. Au niveau international, l’institution peut énormément contribuer. Beaucoup a été déjà fait avec la mise en place d’un certain nombre de financements, mais je crois que dans le monde d’aujourd’hui, les ressources existent. Il faut donc aller beaucoup plus loin dans leur mobilisation. On peut les trouver dans les pays développés mais aussi dans ceux dits émergents qui ont, aujourd’hui, une épargne très importante qui, je pense, peut être mobilisée aussi pour le financement du continent africain. C’est vrai que les Brics viennent de créer une banque, mais les ressources de l’Afrique ne sont jamais suffisantes. Cela va contribuer à renforcer les possibilités de  coopération et de mobilisation des ressources pour financer le développement  africain. Mais j’insiste, sur le fait qu’il faut  créer un environnement favorable, promouvoir le secteur privé, aider à l’épargne locale et mobiliser les ressources internationales. Ce sont des éléments qu’il faut prendre compte pour le développement du continent.

Cela suppose des réformes…
Nécessairement. des réformes, beaucoup de pays en font. Mais il faut aller plus loin. Les ressources existent, mais la question est de savoir comment les attirer. Je pense que l’expérience de la Côte d’Ivoire est encourageante. En très peu de temps, elle a donné des résultats satisfaisants. J’ai été épaté en voyant le pont qui vient d’être achevé. Ainsi que les  investissements importants qui sont faits. C’est dire que ce pays donne un exemple d’effort qu’on peut  faire rapidement dans la mobilisation des ressources  pour financer les infrastructures. Sur le marché mondial, la Côte d’Ivoire a mobilisé des ressources au niveau de l’Eurobond. Ce sont des exemples qui montrent bien qu’on peut faire des réformes, créer la confiance et mobiliser rapidement des ressources.

Quelles seront vos priorités au cas où vous seriez élu à la tête de la Bad ?
Dans un continent qui a des besoins immenses, il ne s’agit pas de montrer que tel aspect est important et que tel autre ne l’est pas. Aujourd’hui, la priorité, c’est d’abord de renforcer la banque, lui permettre de jouer, de façon plus importante,  son rôle de financement du développement. C'est-à-dire aller chercher les sources de financement là où elles se trouvent, aussi bien au niveau des pays que hors de ceux-ci, faire en sorte qu’on puisse mobiliser les ressources et travailler dans l’intérêt du continent africain. Il s’agit de se concentrer, comme je l’ai dit tantôt, sur des domaines qui sont une priorité majeure pour les Etats africains. Je les ai cités tout à l’heure, notamment la question de l’intégration africaine qui est incontournable. Parce que tant qu’elle ne sera pas effective,  on n’ira nulle part. C’est certainement la priorité parce qu’au tour de l’intégration africaine, vous avez les questions des infrastructures de connexion, de la liberté de mouvement des personnes, des biens et des capitaux. Vous avez tout ce qui est barrière non tarifaire qui empêche les gens de se développer, la mise en commun des marchés. Sans oublier cette capacité à mettre ensemble nos efforts pour être plus forts. Concernant, notamment l’Ebola, si les africains étaient dans un contexte d’intégration régionale, la Rd Congo, par exemple, ayant déjà une expérience de cette maladie, on aurait pu regrouper nos ressources, travailler ensemble. Il en est de même pour ce qui est des catastrophes naturelles. Face à l’ensemble de ces questions, compte tenu du fait que des pays sont plus avancés que d’autres, ont des compétences, des qualités, il serait intéressant qu’on mette tout cela ensemble. Pour moi, l’intégration africaine est devenue une priorité. On en parle beaucoup, mais j’estime il faut agir très vite pour soutenir tout ce qui va y contribuer. La transformation de nos économies pour faire de l’Afrique un continent émergent, qui a une forte croissance, développe son marché, ne peut pas se faire si l’on n’est pas intégré. Il faut soutenir, par tous les moyens, l’intégration africaine. Vous avez aussi la question de l’emploi des jeunes et des femmes dont j’ai parlé tout à l’heure qui implique nécessairement la promotion du secteur privé. Le développement du secteur financier, l’amélioration du travail dans les zones rurales des pays africains, donc le développement de l’agriculture, de  l’élevage. Tous ces éléments vont ensemble, mais autour d’un objectif. Il existe différents domaines sur lesquels il faut travailler pour atteindre cet objectif important qu’est l’emploi des jeunes et des femmes qui constitue aujourd’hui un élément clé pour le développement des pays africains. Je pense qu’il faut  très rapidement contribuer à cette transformation.

Avez-vous d’autres ambitions après la présidence de la Bad?
Mon ambition, aujourd’hui, c’est de servir l’Afrique. J’ai eu la chance de  le faire sous différentes formes. C’est une ambition que j’ai depuis étudiant. Je pense que mon intérêt pour l’Afrique était grand et mes longues années d’expérience à la banque m’ont  permis de servir ce continent. L’expérience acquise dans mon pays m’a permis de mieux comprendre l’importance d’une approche continentale, une approche d’intégration africaine. Si j’arrive à servir  l’Afrique à partir de la Bad, je serai très satisfait de ce que j’aurai apporté à ce continent.

Avez-vous autre chose à ajouter ?
Je suis ravi d’être à Abidjan parce que le retour de la Bad est important. Alors secrétaire général de la banque, puis vice-président chargé  du service international, j’y étais très impliqué. Je me suis battu pour son retour et je suis heureux de savoir qu’il est aujourd’hui  effectif. Cela traduit aussi la confiance que la communauté internationale a dans la Côte d’Ivoire et montre combien le pays est en train d’évoluer. Nous sommes tous heureux  de voir cette évolution, de voir ce pays reprendre de l’ampleur et jouer son rôle régional et international pour permettre à ce continent d’avancer. Ces changements intervenus en si peu de temps sont très encourageants pour nous les Africains et tous ceux qui veulent voir l’Afrique bouger. Il est important de le mentionner.

Interview réalisée par THEODORE KOUADIO et
EMMANUEL KOUASSI