Vridi-Canal : Sur les traces des descendants des migrants voltaïques

Daouda Kaboré et quelques descendants de ceux qui ont creusé le canal de Vridi
Daouda Kaboré et quelques descendants de ceux qui ont creusé le canal de Vridi
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Vridi-Canal : Sur les traces des descendants des migrants voltaïques

Abidjan. Commune de Port-Bouët. Samedi 29 juin 2019. Le Colonel Vaudro des Forces françaises de Côte d’Ivoire, à la tête d’une délégation de militaires, s’apprête à faire don de matériels orthopédiques à la section locale de l’Association nationale des personnes en situation de handicap. Daouda Kaboré, imam dans ladite commune et résidant précisément à Vridi-Canal, est invité par les autorités communales pour formuler des prières pour bénir cette cérémonie. Á ses côtés, un pasteur, œcuménisme oblige, pour respecter la forme.

L’imam Kaboré est descendant des migrants venus pour la plupart de l’ex-Haute Volta, aujourd’hui Burkina-Faso. Ils furent au nombre des ouvriers qui ont réalisé le canal de Vridi, inauguré le 5 février 1951. Depuis lors, l’homme vit à Vridi Canal en compagnie d’autres descendants de ceux qui ont travaillé sur le chantier. Aujourd’hui, il est à la tête d’une association qui les rassemble et réclame plus de 500 membres actifs.

Vridi-canal, le campement des manœuvres voltaïques

Localisé au sud de la presqu’île de Vridi, à proximité de l’entrée du canal, c’est un ensemble de constructions précaires qui s’étend sur plus d’un kilomètre près de la bordure maritime. Il est limité au nord par la zone industrielle. Ce campement a été créé par les manœuvres voltaïques (ex-Haute-Volta, aujourd’hui Burkina-Faso) employés sur les chantiers de percement du canal, date de la veille de la seconde guerre mondiale.

Daouda Kaboré fait partie des descendants qui jouissent aujourd’hui d’une certaine notoriété, due à la participation de leurs parents aux épreuves de la construction du canal. Son père, Noaga Kaboré, à l’époque fut matelot, 4ème catégorie comme mentionné sur sa carte professionnelle. Son employeur est TP, Port d’Abidjan. Le fils détient encore des documents de pointage tenu par son père comme ces cahiers où sont mentionnés les recrutements, les décès de travailleurs qu’il a répertoriés.

L’ouverture du canal de vridi en juillet 1950 stimule le développement des activités portuaires. Même si les migrants originaires de l’ex-Haute Volta sont les plus nombreux parmi la main d’œuvre sollicitée, il faut noter la présence de migrants venus d’autres colonies de la sous-région dans la mise en valeur de la Côte d’Ivoire, avec l’extension des cultures de rentes (café, cacao) et la construction d’infrastructures.

Pendant cette période de l’histoire, la politique française perçue comme répressive n’était pas de nature à attirer les populations voltaïques qui migrèrent alors vers la Gold Coast, (Ghana), révèle une étude de Dr Flan Moquet César sur  L’immigration du travail en Côte d’Ivoire : Histoire, enjeux et perspectives.

L’intérêt de la France

C’est donc pour remédier à ces fuites qui desservaient l’intérêt de la France dans la colonie de Côte d’Ivoire qu’en 1932, la métropole, par décret, supprima la colonie de Haute Volta pour des raisons économiques et financières. La Côte d’Ivoire s’étendra désormais de ses frontières actuelles à Kaya, à 100 km au nord de Ouagadougou. Soumis à une même autorité administrative donc, les voltaïques ne pouvaient que concentrer leur labeur au besoin de la colonie voisine. C’est en 1947 que la colonie de la Haute Volta fut reconstituée. C’est ce sacrifice consenti par leurs parents que Daouda Coulibaly et son association demandent aux autorités du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire de reconnaître et d’immortaliser ces travailleurs héroïques.

La psychose du déguerpissement...

Pour revenir à l’histoire : en 1837, l’Amiral Bouët Willaumez fut envoyé par le roi de France, Louis Philippe 1er, pour signer des traités de commerce, d’amitié et de protection avec les chefs côtiers. Sur la base de ces traités, ils firent venir des ressortissants de la colonie de Haute Volta en Côte d’Ivoire, pour faire des travaux dans l’intérêt de la France. Á commencer par le canal. « Ceux qui venaient ont laissé leurs parents, leurs frères, les amis, en Haute-Volta. Ils ne sont plus retournés chez eux. Les deux rives, gauche et droite du Canal, sont des cimetières pour nos parents », fait remarquer Kaboré.  Et de poursuivre : « La portion de terre qui existe aujourd’hui, c’est Vridi canal. On veut nous déguerpir, alors que ce sont, par des accords antérieurs à la colonisation, que nous sommes-là ».

Souvenirs

L’homme se souvient. C’est en février 1951 que le canal de Vridi et le Port d’Abidjan ont été inaugurés par François Mitterrand, ministre de la France d’Outre-Mer. Le canal mesurait 2.700 m de long sur 370 de large. Ce jour-là, mon père fut présent, avec le Moro Naaba et le président Houphouët-Boigny.

Daouda Kaboré et son association plaident pour une prise en compte de leurs préoccupations, tant par les autorités ivoiriennes que burkinabé ; et cela, à travers le Traité d’Amitié et Coopération (TAC) qui existe entre les deux États. « Un peuple sans histoire, est un peuple sans repère. Nous demandons aux plus hautes autorités de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso de revoir cette situation », plaide-t-il. Pour lui, il n’appartient pas seulement à la Côte d’Ivoire de se saisir de ce dossier si les autorités burkinabé n’en font pas cas.

Le 21 février 2019, lors de l’inauguration de l’élargissement et l’approfondissement dudit canal, les descendants de ceux qui ont participé au percement du Canal de Vridi, se sont mis à l’écart, ignorés, disent-ils : « Si les descendants des premières personnes qui ont creusé ce canal avaient été associés, la cérémonie aurait été meilleure et même historique », estime Daouda Kaboré.

Salif D. CHEICKNA

salifou.dabou@fratmat.info