Tourisme intérieur: Sur les traces de Nkrumah-le-Kroumen, la grotte-mosquée de Yacouba Sylla, le tunnel de la honte…

Face à la tombe de l’aïeul de Kwame Nkrumah, le Dg de Côte d’Ivoire Tourisme et les agents de la Bad découvrent le passé glorieux de Roc Olidie.
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Tourisme intérieur: Sur les traces de Nkrumah-le-Kroumen, la grotte-mosquée de Yacouba Sylla, le tunnel de la honte…

Dans le cadre de ses Eductours, Côte d’Ivoire Tourisme a convié des agents de la Bad à la découverte des curiosités du littoral sud-ouest ivoirien.

Grand-Béréby, Sassandra, San Pedro. Trois cités balnéaires du sud-ouest de la Côte d’Ivoire. Du 19 au 23 février, elles ont fait l’objet d’un Eductour (circuit intérieur avec un groupe ou une institution ciblés) avec la Banque africaine de développement (Bad), afin de marquer le retour de la prestigieuse institution panafricaine en Côte d’Ivoire (Abidjan) après une décennie de délocalisation à Tunis, la capitale tunisienne.

Derrière les images avérées de carte postale qu’elles pourraient susciter, ces villes au passé ô combien glorieux révèlent des trésors insoupçonnés ou peu promus au plans culturel, historique, voire anthropologique. Il en est ainsi des origines kroumen du père de l’indépendance du Ghana (ex-GoldCoast), Kwame Nkrumah, à Roc Olidie, près de Grand-Béréby, du tunnel dit «de la honte» à Bassa-Drewin, de la grotte-mosquée de Yacouba Sylla ou encore de la résidence d’été du gouverneur Binger (Sassandra). En tout cas, les 15 touristes de la Bad conviés par Jean-Marie Somet, directeur général de Côte d’Ivoire Tourisme, l’office ivoirien de promotion de la destination Côte d’Ivoire, sont unanimes pour affirmer que le caractère didactique allié au ludique est incontestable. C’est pourquoi et à juste titre, le président du Conseil du personnel de la Bad, Dr Gabriel Bayemi, entend apporter tout son appui et initier un lobbying auprès des organes dirigeants de l’institution qui compte plus de 70 nationalités au profit du tourisme intérieur et extérieur, notamment en matière de réhabilitation de la voirie qui pourrait y constituer un frein.Idem pour le secrétaire général adjoint par intérim du ministère d’Etat, ministère des Affaires étrangères, SEM. Robert Djérou Ly, qui indiquera qu’il est important de soutenir ce secteur en progression exponentielle. Et concernant particulièrement le cas des origines kroumen de Kwame Nkrumah, il entend saisir les gouvernements ghanéen,à travers l’ambassadeur à Abidjan, et ivoirien, ainsi que les chercheurs, aux fins de donner tout le cachet authentique à l’ascendance de l’Osageyfo.


Kroumen, «Krou man et «Crewmen»: la clé de voûte

Grand-Béréby, ville chargée d’histoire, située entre les départements de Tabou et Sassandra et à quelques encablures  de San-Pedro, possède un village, Roc Olidie, qui n’a rien de banal. En effet, s’y trouve, au dire des habitants et de toute la notabilité, la tombe du grand-père paternel de Kwame Nkrumah, GroYeba, créateur dudit village au XVIIe siècle. Dont la contraction en anglais du surnom «Kwame le Krou man» (L’homme krou) aurait donné le nom Kwame Nkrumah.

En contact avec les explorateurs portugais, puis hollandais et anglais, puis avec les colons britanniques et français dès le XIVe siècle, ceux-ci avaient baptisé la  zone de Grand-Béréby  «Le pays des hommes d'équipage» ou «Crewmen».  Les Kroumen furent les seuls nègres de la côte sud-ouest de l'Afrique qui quittaient volontairement leur pays pour se faire marins. Ils accompagnaient les navires pour l'embarcation et le débarquement des billes de bois. Ce peuple dont la localité était chargée d'histoires, de symboles et de richesses avec ses sites naturels a délaissé ses premières amours à la faveur du retour à la terre pour s'intéresser sur le tard au tourisme.

Ainsi, HonloGnepa, arrière-grand-père du premier Président du Ghana indépendant, homme d’équipage, a fini par devenir armateur et négociant sur toute la côte du golfe de Guinée, au dire des anciens du village, rebaptisé, depuis la fin du XIXesiècle, Roc Olidie par les colons français en intégrant la langue locale, après que les Anglais l’eussent appelé Rock Town, tel que l’atteste la pierre tombale édifiée en 1893 à la mort de Gro Yeba. Il avait deux épouses, l’une Ivoirienne,  et l’autre Libérienne. C’est la seconde qui enfanta GnepaDjro, le géniteur de Kwame Nkrumah, YuruYeba. Au gré des guerres tribales, le jeune Yuru est mis à l’abri chez sa grand-mère maternelle au Liberia voisin, déjà indépendant depuis 1847 et autonome depuis 1822.Commerçant avec les Anglais et fournissant des armes à ses «frères» de Roc Olidie dans leurs croisades tribales, il est accusé d’être un fauteur de troubles.

Entre-temps, intervient la Conférence de Berlin (1885) dont le traité signé par la France, le Royaume-Uni, l'Italie, les États-Unis, la Belgique, la Hollande, la Suède et l'Allemagne détermine les règles de comportement auxquelles les puissances acceptent de se soumettre dans le cadre de leurs politiques africaines respectives. C’est ainsi qu’avant qu’elle ne soit effectivement colonie française en 1893, la région littorale entre l’ex-Gold Coast (actuel Ghana) et ce qui équivaut au territoire de l’actuelle Côte d’Ivoire balance entre Britanniques et Français. YuruYeba est emprisonné à Grand-Bassam et encourt 20 ans de prison en attendant son procès pour subversion. Mais à son procès, il est acquitté et décide de s’installer à Half-Assinie, à la frontière ivoiro-ghanéenne, côté britannique. Il y contracte mariage avec une ressortissante de l’ethnie n’zima. Témoignant de cette époque, son cousin kroumen, Gnepa Robert, notable de Roc Olidie, affirme que conformément aux pratiques matrilinéaires des Akan, l’éducation et l’avenir de l’enfant Kwame sont confiés à sa génitrice.

Né, officiellement,  le 21 septembre 1909 à Nkroful (Gold Coast) non loin de Half-Assinie, le fils unique de YuruYeba, rebaptisé Kofi Nwiah et reconverti en chercheur d’or, et MagnaeKakuNyaniba, commerçante, est prénommé Kwame qui  signifie «né un samedi».

Mais avide de retrouver les siens, le père de Kwame revient à Grand-Béréby où l’accueil à lui n’est pas chaleureux. Alors il décide de retourner au Liberia chez ses parents maternels où il vécut jusqu’à sa mort et y est enterré.  Dans la communauté, le petit Kwame se voit affubler du surnom, quelque peu sarcastique, de Kwame «The Kru man» (le Kroumen). Nom qu’il gardera pour sa lutte anticoloniale et pour affirmer son authenticité africaine. Bref, la tombe du grand-père de l’un des pères du panafricaniste, en pleine plage, dans un matériau de pierre de Liverpool, aux côtés d’autres tombes de Kroumen et explorateurs, mérite être restaurée et surtout répertoriée et inscrite au patrimoine national et universel.


Le mythe du «deal» entre Mamy Watta et Yacouba Sylla

Mamy Watta, divinité mythique aquatique, marine notamment, sous la forme d’une sirène des eaux, est présente dans l’imaginaire populaire des peuples du golfe de Guinée. A Sassandra, à quelques centaines de mètres de l’embouchure du fleuve éponyme et l’océan Atlantique, se trouve la prison de la cité, jadis porte d’entrée de l’exploration coloniale. C’est là qu’étaient déportés certains des résistants africains à la pénétration des Blancs. Un peu à l’instar de Ndjolé au Gabon, Guélémou à Man ou encore Grand-Bassam.

Depuis des lustres, il y a un mythe qui perdure autour du séjour carcéral de Yacouba Sylla, riche opérateur économique, militant du Rda de Félix Houphouët-Boigny, déporté de la colonie du Soudan (actuel Mali) à la prison de Sassandra. De son emprisonnement, les populations retiennent sa grande piété en tant que soufi musulman. Notamment la grotte-mosquée qu’il s’est fait ériger au large de l’océan pour s’y retirer régulièrement pendant de longues heures et même de longues journées. Très vite après sa libération et au regard de sa prospérité grandissante qui l’a amené à investir dans tout le pays, de Sassandra à Gagnoa où il établit son quartier général, en passant par Divo, Bouaflé, Zuénoula, Soubré, Oumé, Fresco, San Pedro, Man, Abidjan…, le mythe qu’il ait reçu les clés mystiques de la fortune et de la gloire de la déesse Mamy Watta perdure.

A Sassandra, aujourd’hui encore, dans un syncrétisme surréaliste, des individus viennent en pèlerinage à la grotte-mosquée. Non loin, il y a un rocher aux formes simiesques baptisé «Tête de gorille». Qui, selon la légende, serait le fait de la transformation d’un gorille en pierre par Mamy Watta, après que celui-ci voulait s’en prendre à Yacouba Sylla qui venait de recevoir les secrets de la richesse par ladite divinité.  A quelques mètres, deux résidences cohabitent. Celle du gouverneur portugaisSoria Da Costa et la résidence initiale, avant de devenir la résidence d’été du gouverneur Binger, après qu’il a quitté Grand-Bassam, première capitale (1893) et établi ses quartiers à Bingerville, capitale entre 1904 et 1934.

Sous ses allures géographiques rocheuses avec une seule entrée et une seule sortie, Sassandra fait penser à Monaco. Avec pour autres attraits, son port de pêche artisanale sur les vestiges de l’un des derniers wharfs de la côte ouest-africaine, ses singes sacrés de La terrasse, restaurant panoramique avec une vue imprenable sur l’embouchure.

En outre, à Sassandra, contrairement à ce qui se fait dans les autres régions, l’hôte des Néyo et Godié donne de ses nouvelles avant son invité, quand en pays kroumen, la cola et le piment sont servis en guise d’hospitalité aux visiteurs. Mais les deux peuples ont en partage le vin de palme ou bandji qu’ils nomment « le lait maternel ».


Des vestiges de la traite négrière à restaurer

Mais, aussi bien à Sassandra qu’à quelque 7 kilomètres au village de Bassa contigu à celui plus connu de Drewin,  avec des plages paradisiaques, entre cocotiers, palétuviers, mangroves et arbres fruitiers exotiques, les traces de la traite négrière qui perdura au moins trois siècles entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique sont visible. En contrebas du palais du gouverneur, sous une forme d’atrium (amphithéâtre), se trouve le marché aux esclaves. Aujourd’hui, il sert de jardin potager pour la prison mitoyenne. A l’époque, raconte Serges, le guide touristique, après avoir ratissé les zones continentales à la recherche des bras valides, les marchands d’esclaves venaient proposer leur «marchandise» aux Blancs. Qui, une fois qu’ils avaient choisi ceux qui pouvaient effectuer le voyage du non-retour ver le nouveau monde, les entassaient dans l’entrepôt, véritable mouroir à Bassa. De là, les esclaves étaient acheminés par le tunnel de la honte vers l’Amérique.

Et c’est ce grand témoignage infrastructurel, creuset d’un devoir de mémoire qui s’impose à la conscience collective, qui risque d’être bradé à un opérateur économique. En effet, sans tenir compte de la valeur patrimoniale du site, une opération hôtelière y était en cours. Heureusement, elle a été suspendue après l’opposition des populations. Les autorités en ont été saisies et le site devrait faire l’objet d’une immatriculation au patrimoine culturel et bénéficier d’une inscription au circuit touristique national.


REMI COULIBALY
Envoyé spécial


Encadré:

A San Pedro,le tourisme a la peau dure

 


Selon les indicateurs de  performance de la saison 2014 affichés par  la Banque mondiale, le tourisme, en Côte d’Ivoire, représente 4,3% du Pib, derrière le cacao (5%). Les investissements dans le secteur s’élèvent à 147 milliards de Fcfa pour 3000 emplois directs et 9000 indirects. En l’affirmant et en tenant à accompagner la délégation de la Bad dans l’Eductour dans le Sud-ouest, le ministre Roger Kacou voulait surtout rendre hommage aux opérateurs du secteur de San Pedro et de toute la région qui contribuent à cette embellie, en dépit des difficultés. Notamment au niveau des infrastructures routières. La visite du Président Alassane Ouattara sonne comme le début de lendemains qui chantent pour les opérateurs. La compagnie nationale aérienne, Air Côte d’Ivoire, a commencé sa part avec la desserte de la région. Toute la ville est en chantier. Et à l’instar du complexe Sophia qui recevra la délégation présidentielle, des réceptifs tels qu’Enotel Beach à San Pedro, La baie des Sirènes qui attend une réhabilitation prochaine et Katum à Grand-Béréby, devraient voir leurs activités reprendre de plus belle. Surtout que la région est le paradis des fruits de mer, en plus de compter un patrimoine végétal et animalier hors pair ainsi que des rythmes et danses dont le Bolo est le fer de lance.

Mais s’il y a une observation qui est des plus encourageantes, c’est que le tourisme dans le sud-ouest n’est point en berne. Et c’est bon signe pour le futur. Surtout qu’après Assinie où a été lancé le plan cadastral des zones touristiques du pays, au niveau du littoral, principalement, les préoccupations des populations devraient être prises en compte dans l’exploitation des sites.

Qui plus est, en décernant des distinctions d’ambassadeurs volontaires du tourisme ivoirien aux agents de la Bad, Côte d’Ivoire Tourisme a un avocat supplémentaire pour financer l’essor du tourisme ivoirien.


R.C