Sénégal: Que devient l’École normale William Ponty de Dakar ?

Sénégal: Que devient l’École normale William Ponty de Dakar ?
Sénégal: Que devient l’École normale William Ponty de Dakar ?
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Sénégal: Que devient l’École normale William Ponty de Dakar ?

Des murs du bâtiment lézardés par endroits  laissant apparaître des barres de fer, à la place de la toiture, une grande charpente de fer rouillée pouvant s’écrouler à tout moment. Des gravats et enchevêtrements de fers rouillés ne facilitent pas non plus le déplacement en ce lieu. Voilà ce qui reste aujourd’hui de l’amphithéâtre de la célèbre École normale William Ponty du Sénégal, située à une quarantaine de kilomètres de la ville de Dakar.

Le visiteur accède à ces vestiges à partir d’une bretelle d’environ 300 mètres de la route nationale Dakar-Sébikotane. La voie serpentée et dégradée est envahie par les broussailles. Les conducteurs sont contraints de rouler très lentement et délicatement sur cette piste pour ne pas s’embourber. En tout cas, rien n’indique aux usagers de cette voie que l’on se rend sur un site historique et très important dans l’histoire contemporaine de l’Afrique noire francophone.

En effet, pas de panneau de signalisation ni d’écriteau indiquant l’emplacement du site de l’École normale William Ponty. Et pourtant, la localité a accueilli  l’établissement colonial de référence de 1937 à 1965, soit 28 ans.

Cette école a, pendant toute la période coloniale française, formé presque tous les cadres de l’Afrique francophone dont Félix Houphouët-Boigny de la Côte d’Ivoire, Modibo Keïta du Mali, Hubert Manga du Dahomey (Bénin), Daogo Mathias Sorgho de la Haute Volta (Burkina Faso), Hamani Diori (Niger), Mamadou Dia et Abdoulaye Wade du Sénégal...

 La nature a repris ses droits

Ce 5 novembre 2016, outre l’amphithéâtre, l’infirmerie et le réfectoire constituent pratiquement les seuls bâtiments de l’école qui soient encore debout et identifiables. Mais ils sont dans un état de délabrement très avancé, eu égard aux effets du temps et au manque de rénovation. En tout cas, tous ces bâtiments n’ont plus de fenêtres ni de portes. Les toitures ont foutu le camp depuis belle lurette. Des pans de murs ont simplement… disparu. Leur couleur ocre, depuis le temps colonial, reste visible de loin.

La nature a repris ses droits en ces lieux : broussailles, arbres, rongeurs et autres reptiles donnent l’impression de se trouver dans un parc animalier. « Faites attention, un serpent boa a élu domicile à l’intérieur de l’amphithéâtre », lance Baye Diaw, quinquagénaire, habitant d’un village voisin, Séby Ponty. Selon lui, ce reptile sort de temps en temps de sa tanière, une fois la nuit tombée.

Comment ne pas croire à l’avertissement de cet homme, surtout que de hautes herbes ont envahi les bâtiments et une bonne partie de la cours de l’établissement !

Selon les travaux de l’historien sénégalais Souleymane Séga Ndiaye, c’est en 1903 que le gouverneur général de l’Afrique occidentale française (Aof), Ernest Roume, basé à Saint-Louis, signe l’arrêté n° 806 du 24 novembre 1903 portant création et fixation de l’organisation homogène de l’enseignement en Aof.

Cet arrêté signait l’acte de naissance de l’École normale des instituteurs de Saint-Louis (270 km de Dakar). Elle fonctionne d’abord en tant que section de l’École des fils de chefs et des interprètes. Elle sera déplacée sur l’île de Gorée, au large de Dakar en 1913 et rebaptisée « École normale William Ponty », en l’honneur du gouverneur général de l’Aof en 1907 et de 1908 à 1915,  Merleau-Ponty (Amédée, William).

L’établissement est déplacé, en 1937, à une quarantaine de kilomètres de la ville de Dakar, dans la commune rurale de Sébikotane. Aujourd’hui, ce site qui a accueilli l’école pendant plus d’une vingtaine d’années est presque à l’abandon. Le village de Sébi-Ponty, créé par le personnel africain de l’école durant son transfert, s’agrandit sur l’espace de l’ancienne école. Certains anciens « Pontins », comme ils aiment se faire appeler, y vivent encore avec leurs familles.

C’est donc sous une chaleur estimée à 31 degré à l’ombre, selon la météo, ce samedi, que le fils d’un «Pontin» de la promotion 60-61 se propose de guider les visiteurs du jour. Youssoupha Niasse, la cinquantaine révolue, explique qu’après le transfert de l’école à Thiès, à 70 km de Dakar, une bonne partie des locaux de William Ponty a été transformée en maison d’arrêt et de correction de Sébikotane. L’ancien dispensaire sert de logement aux gardiens. 

Extension anarchique

La partie non occupée est aujourd’hui annexée par « l’extension du village » Sébi-Ponty de façon anarchique.  « Nombre d’anciens membres du personnel sont restés sur place, à Sébi-Ponty, après le transfert de l’école», indique-t-il. Selon lui, les familles s’agrandissant, elles ont besoin d’espaces pour se loger.

La nature ayant horreur du vide, les gens vont occuper progressivement les espaces disponibles. Qui, du reste, servent d’espace de jeu aux enfants du village. De nombreuses habitations y sont construites. « Certaines personnes n’hésitent pas à utiliser certains matériaux des bâtiments de l’école en ruine pour bâtir les leurs. Il s’agit des pierres, du fer. En tout cas, tout ce qui est encore utilisable », accuse Youssoupha Niasse. Lentement, mais sûrement, l’« École normale William Ponty » de Sébikotane, site important de l’histoire de l’Afrique noire Francophone, est en train de disparaître pour laisser place à un banal petit village.

Et pourtant, selon les documents, en 62 ans d’existence, en grande partie sous l’ère coloniale, William Ponty  a eu à former, en majorité, des instituteurs, mais aussi  des médecins et des cadres qui ont servi dans les écoles, les hôpitaux et occupé les fonctions les plus prestigieuses de l’administration de l’Afrique de l’Ouest.

Mieux, les « Potins » ont été les premiers Africains qui ont eu à prendre en main l’administration des différents pays d’Afrique de l’Ouest après les indépendances. Beaucoup sont même devenus des Présidents de la République ou ministres dans leurs pays. Il s’agit, entre autres, de Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire, Modibo Keïta au Mali, Hubert Manga au Dahomey (Bénin), Daogo Mathias Sorgho en haute volta (Burkina Faso), Hamani Diori (Niger), Mamadou Dia et Abdoulaye Wade au Sénégal.

Selon les archives de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), les productions de cette école sont estimées à plus de 2000.

Les élèves devaient, à partir de 1933, rédiger et soutenir des mémoires de fin d’études sur un sujet de leur choix. 791 travaux de recherche appelés « Cahiers de Ponty » ont été produits et sont conservés actuellement à l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan). Les «Cahiers de Ponty » abordaient les questions économiques, sociales et culturelles de l’époque.

Dans le corpus conservé, les pays les plus représentés sont le Sénégal (232), la Côte d’Ivoire (142), le Soudan (Mali actuel, 111), le Cameroun (111).

La reconstruction de William Ponty

Au début des années 1990, les autorités américaines avaient décidé de reconstruire l’école normale William Ponty de Sébikotane. Et ce, en raison de son importance symbolique et historique pour l’Afrique noire francophone. Cette école sera Baptisée «l’Université du Futur africain de Sébikotane ». La pose de la première pierre est effectuée en 1992, sous le régime du Président Abdou Diouf. Cependant, les travaux vont effectivement démarrer en 2002, non loin de l’ancien site de l’école. Plusieurs bâtiments vont sortir de terre. Mais les travaux vont s’arrêter subitement en 2006.

En 2012, en pleine campagne électorale pour sa réélection, M. Abdoulaye Wade  annonce devant ses sympathisants qu’il va reprendre les travaux de reconstruction de l’école normale William Ponty de Sébikotane. « Un établissement qu’il a fréquenté », révèle Niang Abdoulaye, un analyste politique sénégalais. Avant de dire que l’ancien Président a affirmé qu’il allait « reconstruire à l’identique, l’école normale William Ponty qui a vu défiler plusieurs cadres africains francophones du temps de la colonisation ». Mais depuis, rien, et Abdoulaye Wade a perdu l’élection présidentielle la même année, face à Macky Sall. 

Aujourd’hui, c’est un chantier abandonné dans les broussailles. Et pourtant les travaux sont très avancés. Un réfectoire, un amphithéâtre, des dortoirs, une bibliothèque bref, cinq bâtiments imposants, presque achevés, meublent le site qui était destiné à recevoir et former la future élite africaine.

Faute d’activités, nombre de villageois des localités voisines ont trouvé, dans les environs du chantier, une terre propice pour faire pousser légumes et autres produits maraîchères. Ainsi, selon les saisons, de grands jardins de choux, carottes, concombre salades, oignons, etc., sont réalisés. 

Théodore Kouadio

Envoyé spécial à Dakar au Sénégal


Encadré: Qui est William Ponty ?

De son nom complet Amédée William Merleau-Ponty, il est décédé au Sénégal à 49 ans, le 13 juin 1915. Il est né le 4 février 1866 à Rochefort-sur-Mer. Son père est Joseph Merleau-Ponty, directeur de messageries, et sa mère Marguerite Marie Sonolet. Les deux familles étaient originaires de l’Aunis. Il fait d’excellentes études au collège de Rochefort. Dispensé de service militaire parce que fils unique de veuve, il poursuit de brillantes études à Paris.

Le 11 février 1888, il pose sa candidature pour entrer dans l’Administration centrale des colonies. Le lieutenant Marchand qui prend le commandement de la colonne du Haut Fleuve lui propose le poste de secrétaire auprès de lui. Chef du secrétariat à Saint-Louis auprès du gouverneur du Sénégal, M. de Lamothe, le 30 janvier 1894, il est envoyé, l’année suivante, à Madagascar, pour mettre sur pied l’administration de l’île (1896-1897).

Le 18 février 1908, à peine âgé de 42 ans, il est nommé Gouverneur général de l’Aof, en remplacement d’Ernest Roume. En 1912, il met sur pied une véritable inspection de l’enseignement. Lors de la déclaration de guerre, en 1914, William Ponty assure au mieux le recrutement des tirailleurs qui vont, nombreux, combattre en France, au Maroc, au Cameroun. Sa santé s’était, cependant, dégradée et malgré l’insistance de son épouse, il refuse d’être rapatrié et décède à Dakar le 13 juin 1915. Ses obsèques ont lieu deux jours plus tard, au cimetière de Bel-Air à Dakar. 

T. K.